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ESCLAVAGE MODERNE : Les pratiques barbares perdurent
Publie le mercredi 23 juin 2004 par Open-PublishingESCLAVAGE MODERNE. — Les pratiques barbares perdurent. Un procès s’est ouvert hier à Meaux, et notre région n’échappe pas au phénomène
Des centaines de cas connus :
Hier à 17 h 30, Sylvie O’Dy a franchi les portes du tribunal de grande instance de Meaux. La présidente nationale du Comité contre l’esclavage moderne (CCEM) s’est rendue dans cette juridiction pour soutenir une victime : Cyril Elong, un Camerounais âgé aujourd’hui de 24 ans. Ce jeune homme est arrivé mineur en France, en 1989, chez ses oncle et tante. A l’image des affaires récentes de Castillon (lire ci-dessous) où de jeunes Marocaines ont été maltraitées, l’adolescent était régulièrement affamé et violemment battu. Il a même été victime d’une pratique particulièrement barbare : la torture au piment dans les yeux, qui l’a rendu aveugle.
410 cas répertoriés Le procès qui se déroule en ce moment est celui d’un des 410 cas répertoriés à ce jour en France par le CCEM. Comme les affaires de Castillon, ce dossier renferme tout ce qui permet de définir l’esclavage moderne : la confiscation des papiers, l’interdiction d’aller et de venir, l’isolement total ou partiel, le travail sans rémunération et des conditions d’hébergement indignes. « Les jeunes qui sont victimes de ces pratiques se trouvent la plupart du temps dans un état psychologique qui nécessite une véritable reconstruction », souligne la directrice du Comité contre l’esclavage moderne, Zina Rouabah.
Ce comité, très présent à Bordeaux, est le seul qui lutte en France contre ces tortures perpétrées dans un pays riche et moderne. Il est né en 1994 grâce à la volonté d’une femme, la journaliste Dominique Torrès (1). Cette dernière avait découvert à Londres un cas particulièrement horrible d’esclavage domestique lié à l’immunité diplomatique. Son combat a commencé ainsi, par la prise de conscience de l’existence de ces calvaires vécus derrière les murs des appartements cossus. Au même moment, au début des années 90, les premiers procès ont été conduits en France devant les juridictions correctionnelles avec les premières condamnations des employeurs.
D’Afrique et du Maghreb Mais les 410 cas répertoriés par le Comité ne sont, de l’avis de sa directrice, qu’une « goutte d’eau » dans l’océan des violences sur ces jeunes esclaves. Elle en veut pour preuve les très nombreux signalements qui suivent presque systématiquement la médiatisation d’une affaire. La diffusion au journal de France 2 de la libération de Mehret, une jeune Ethiopienne exploitée dans la région parisienne, en a été un exemple, en 1996. Mais, au quotidien, ces signalements sont pour une grande part (un tiers) le fait d’associations ou de services sociaux. Un autre tiers provient de proches anonymes ou de voisins.
Les cas les plus courants d’esclavage moderne recensés par le Comité concernent de jeunes femmes venues, pour une majorité d’entre elles, d’Afrique. Et les employeurs sont à plus de 50 % des Africains et des Arabes, seulement pour 20 % des Européens. « Ils exportent en fait des pratiques qui sont courantes dans leurs pays. Mais la différence est qu’une jeune fille qui travaille à Madagascar ou ailleurs n’est pas isolée. D’autres domestiques l’aident. Alors qu’en France elle est en général seule pour tout faire. » Des situations qui concernent à peu près tous les milieux. « Du petit pavillon au grand hôtel, en passant par l’immeuble HLM », résume Zina Rouabah.
Pas de statut des victimes Même si des centaines de cas sont répertoriés et qu’ils ne constituent, de l’avis général, qu’une petite part de ces pratiques, le procès de Meaux et celui de Castillon restent pourtant exceptionnels. Les chiffres du Comité sont, de ce point de vue, éloquents : 128 victimes ont déposé plainte, et 20 condamnations ont été prononcées par des juridictions pénales. « La lenteur des procédures judiciaires et le nombre élevé des dossiers classés explique ces chiffres », souligne-t-on au CCEM.
Zina Rouabah rappelle qu’un des moyens d’améliorer cette situation serait la « reconnaissance en France d’un véritable statut de victime d’esclavage domestique » : « Il faudrait faire ce que ne fait pas l’Etat : créer ce statut, avoir de véritables associations agréées afin de créer des lieux d’accueil. Ces jeunes sortent sans rien. Ils ont besoin d’une prise en charge complète. »
Pour faire face aux situations les plus difficiles, le Comité a ouvert en 2000 un appartement d’accueil des victimes à Paris. Mais les moyens sont de plus en plus difficiles à obtenir. En quatre ans, le CCEM a perdu quatre salariés. Il ne peut fonctionner que grâce aux dons privés (2) qui complètent les subventions et au bénévolat. « Je suis incapable de vous dire de combien nous disposerons pour le prochain budget », conclut la directrice.
(1) Dominique Torrès a démissionné du conseil d’administration du CCEM à la fin de l’année 2003.
(2) Pour les dons, se renseigner sur Internet à www.esclavagemoderne.org ou au tél. 01.44.52.88.90.