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Egypte : la mascarade du premier scrutin présidentiel "pluraliste"

Publie le vendredi 19 août 2005 par Open-Publishing

L’Egypte entre en campagne électorale pour son premier scrutin présidentiel pluraliste

de Cécile Hennion

En égypte, les grands spectacles sont généralement réservés aux touristes, devant les pyramides et autres édifices célèbres datant de l’époque pharaonique. Mais ce mercredi 17 août, pour l’ouverture officielle de la campagne pour l’élection présidentielle, le spectacle qui se donnait en pleine ville du Caire était destiné aux électeurs égyptiens, dans un style qui n’avait rien à envier aux fastes de leurs ancêtres pharaons.

Dans un contexte tendu par les récents attentats du Sinaï et par la recrudescence de manifestations contre son régime, le président Hosni Moubarak n’a pas ménagé ses efforts pour convaincre les électeurs de ses bonnes intentions au moment de se lancer dans la course à un cinquième mandat. Sous son impulsion, et pour la première fois dans l’histoire du pays, l’Egypte pourra choisir son prochain chef de l’Etat entre dix candidats. Le scrutin au suffrage universel direct se tiendra le 7 septembre.

Hosni Moubarak a prononcé son discours dans un parc situé derrière la mosquée Al-Azhar, en présence de Gamal Moubarak, son fils, et de son épouse, promettant la "poursuite des avancées démocratiques" , la création de millions d’emplois, de centaines de milliers de logements, d’écoles, la hausse des salaires... La foule de ses partisans a ensuite assisté à une projection géante à ciel ouvert d’un film retraçant sa vie depuis la petite enfance.

"L’événement sans précédent" , selon la rhétorique officielle, que seront ces premières élections pluralistes et au suffrage universel, est cependant vivement critiqué par l’opposition, qui dénonce une "mascarade" , en raison des conditions rédhibitoires imposées aux candidats indépendants.

Les amateurs de suspense risquent d’être déçus. Aux côtés de M. Moubarak concourent sept chefs de petits partis inconnus du public, ainsi que deux personnalités politiques plus médiatiques, Noaman Gomaa, du Néo-Wafd, issu d’un parti autrefois célèbre pour sa lutte anticolonialiste, et Ayman Nour, du parti ultralibéral Al-Ghad, à la popularité récente au sein de l’opposition. Tous deux auront toutefois toutes les difficultés à faire le poids face à M. Moubarak et à sa puissante machine du Parti national démocratique (PND), au pouvoir depuis vingt-quatre ans.

Réunie sous le slogan "Kefaya" ("ça suffit !"), l’opposition apparaît affaiblie par ces deux candidatures issues de ses rangs alors qu’elle prônait le boycottage, divisée sur les prochaines actions à mener et confrontée à ce que l’un des ténors du mouvement, Amin Iskandar, décrit comme "la perte de l’espoir et de confiance des Egyptiens en tout ce qui concerne la politique en général" .

Ce pessimisme n’a pas découragé Ayman Nour, résolument parti en campagne. A 1 kilomètre du parc Al-Azhar, il a tenu un meeting moins somptueux que son rival mais aux promesses tout aussi grandiloquentes. Arrivé dans un fiacre tiré par un cheval blanc jusqu’à son fief de Bab Al-Charia, M. Nour a fendu la foule, debout, adressant de grands saluts. "Je reconnais n’être pas le meilleur Egyptien pour la présidence , a-t-il déclaré, mais je sais que je suis le meilleur des dix candidats." Il a promis l’abolition de la loi d’urgence, la libération des prisonniers politiques, la liberté de la presse, la création d’un RMI pour les chômeurs, "trois repas par jour pour tous" , et finalement, "l’Egypte aux Egyptiens" , le tout dans un délai de vingt-quatre mois.

Devenu la star de l’opposition au moment de son emprisonnement, fin janvier, M. Nour était tombé en disgrâce après que la secrétaire d’Etat américaine, Condoleezza Rice, s’était déclarée "préoccupée" par son sort. Le chef du Ghad a ensuite été régulièrement la cible d’attaques, désigné par la presse comme "agent à la solde de l’Amérique" ­ un qualificatif éliminatoire aux yeux de la plupart des 32 millions d’électeurs égyptiens. Depuis, sous le coup d’une procédure judiciaire pour falsification de papiers ­ une accusation qu’il considère être une manoeuvre pour le disqualifier ­, il a repris de la prestance, en multipliant les insolences à l’égard du régime.

Dernière provocation en date, la version quotidienne de son journal, Al-Ghad, vendue au prix imbattable de 24 piastres (la plus petite division de la monnaie égyptienne s’élevant à 25 piastres), en référence aux vingt-quatre années "de trop du règne de Moubarak" et au délai de vingt-quatre mois promis par M. Nour pour réformer l’ensemble du pays.

Depuis, il peaufine son image. Les Egyptiens l’ont récemment vu en photo priant derrière Mohammed Mehdi Al-Akef, guide suprême de la confrérie des Frères musulmans. Un soutien de la confrérie, principale force de l’opposition, lui serait précieux mais reste aléatoire. Selon leur communiqué, les Frères musulmans se prononceront sur l’élection présidentielle la semaine prochaine, mais leurs propos restent contradictoires. D’après Abdel Monem Aboul Foutouh, cadre réputé de la confrérie, le mot d’ordre serait "le boycottage de cette élection taillée sur mesure pour Moubarak et pour laquelle aucun candidat ne présente de programme convaincant" .

Selon plusieurs spécialistes égyptiens, la confrérie serait traversée par de profondes divergences et rien n’exclut, au final, qu’elle prenne partie pour Hosni Moubarak, en échange de la libération d’une partie des 200 Frères encore emprisonnés, ou d’une percée lors des prochaines élections législatives.

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