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En Irak, photographier la rébellion conduit dans les camps américains

Publie le lundi 25 septembre 2006 par Open-Publishing

de Claire Guillot

Depuis plus de cinq mois, l’Irakien Bilal Hussein, 35 ans, photographe de l’agence Associated Press (AP), est détenu à Camp Cropper, près de Bagdad, par l’armée américaine. Mais aucun procès n’est prévu. Aucune charge n’a été retenue contre lui. D’abord silencieuse, l’agence américaine a fini par tirer la sonnette d’alarme : "Bilal Hussein est retenu en violation des lois irakiennes et des conventions de Genève, a protesté Tom Curley, président d’AP, dans un communiqué du 17 septembre. Il doit être poursuivi devant la justice irakienne ou être relâché immédiatement."

Mais le Pentagone ne l’entend pas de cette oreille. Selon un porte-parole, Bilal Hussein "a des liens étroits avec des insurgés connus et il était impliqué dans des activités qui allaient bien au-delà de ce qu’on peut attendre d’un journaliste". L’armée dit être en possession de "preuves" - qu’elle ne dévoile pas.

Le photographe a surtout attiré l’attention par des photos montrant la rébellion irakienne. L’une d’elles, où l’on voit quatre insurgés pendant la prise de Fallouja, en novembre 2004, lui a même valu le prix Pulitzer, remporté avec onze membres d’AP en Irak. Alors que les photographes occidentaux ne peuvent pratiquement plus travailler qu’"embedded" - "enrôlés" auprès des troupes américaines -, ces images de l’autre côté du conflit ont fait sensation aux Etats-Unis. Et déclenché une campagne hostile sur les sites Internet conservateurs, en particulier celui de l’éditorialiste Michelle Malkin. Depuis le communiqué d’AP, les blogs se sont encore déchaînés, décortiquant une à une les photos d’Hussein disponibles sur le Net.

Selon l’armée américaine, le photographe a été arrêté à Ramadi en avril, dans un endroit où se trouvait du matériel explosif, en compagnie de deux insurgés, dont Hamid Hamad Motib, soupçonné d’être un responsable d’Al-Qaida en Irak. "Le fait d’être capturé en même temps que les insurgés ne fait pas de lui l’un d’entre eux", déclare Kathleen Carroll, rédactrice en chef d’AP, jointe au téléphone.

Pour le reste, dit-elle, les accusations sont "vagues". L’armée américaine avait évoqué une participation d’Hussein à l’enlèvement de deux journalistes arabes : "Nous avons contacté ces journalistes, dit-elle. Ils ont dit au contraire qu’Hussein leur était venu en aide après leur enlèvement. Et qu’ils n’ont jamais été interrogés par les Américains à son sujet."

AP assure avoir mené son enquête sur le photographe, un commerçant qui vendait des téléphones portables à Fallouja avant d’être recruté par AP, en septembre 2004. "Nous avons passé en revue toutes ses photos. Nous avons parlé à tous ceux qui ont travaillé avec lui. Et nous n’avons rien trouvé d’autre qu’un travail de journaliste, effectué dans des conditions très dangereuses. C’est tout ce qu’on lui demande. Quant aux photos d’insurgés, elles ne sont pas majoritaires. Et c’est notre travail de montrer les deux côtés du conflit."

Avant de se décider à alerter les médias, l’agence avait recruté des avocats, contacté les autorités militaires américaines et l’ambassadeur américain en Irak - en vain. A présent, elle espère attirer l’attention sur le cas d’Hussein "et sur celui des 13 000 autres personnes détenues comme lui en Irak".

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