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Enjeu social, la culture est absente du débat électoral

Publie le mardi 16 mars 2004 par Open-Publishing

Après six ans de gestion de la région Ile-de-France, la gauche menée par
Jean-Paul Huchon indique qu’elle a "quadruplé" le budget de la culture. En
tête de ses réalisations vient l’appui au cinéma et à l’audiovisuel, que ses
concurrents ne remettent pas en cause.Benjamin Biolay contre Henri Salvador.
A quelques jours des élections régionales des 21 et 28 mars, les têtes de
liste en Ile-de-France sortent leur va-tout culturel : le chanteur
trentenaire de Saint-Germain-des-Prés (avec le comédien Pierre Arditi, la
metteuse en scène Julie Brochen, etc. ) s’affiche au côté du président
sortant de la région Ile-de-France, le socialiste Jean-Paul Huchon, tandis
que l’éternel "jeune homme" de la chanson française est membre du comité de
soutien de Jean-François Copé, tête de liste UMP, comme l’humoriste
Jean-Marie Bigard ou la comédienne Fiona Gélin.

Lundi 15 mars dans l’après-midi, le porte-parole du gouvernement, M. Copé,
devait organiser une rencontre avec des professionnels de la culture, à
l’Hôtel Costes, à Paris. Pendant ce temps, au Cabaret sauvage, à La
Villette, M. Huchon devait procéder à quelques échanges avec des "témoins" -
une danseuse, un représentant des arts du cirque, un membre de la
Coordination des intermittents du spectacle, etc.

Dans la région la plus riche de l’Hexagone, la plus peuplée (11 millions
d’habitants), où se trouve la plus forte concentration de créateurs et
d’entreprises culturelles, la culture ne peut laisser les candidats
indifférents : outre M. Copé et M. Huchon (qui fait alliance avec les
Verts), figurent dans la course André Santini (UDF), Marie-George Buffet
(PCF), Marine Le Pen (FN), tandis qu’Arlette Laguiller (LO) fait tandem avec
la LCR. Mais comment concilier tous les contrastes de l’Ile-de-France ?
Paris reste la capitale du cinéma, de l’édition, du théâtre, de la danse,
des arts plastiques, de toutes les musiques, et un pôle majeur du tourisme
culturel. La banlieue bénéficie encore de l’encadrement culturel mis en
place par le Parti communiste dans ses années fastes et des maisons de la
culture héritées d’André Malraux. Mais l’Ile-de-France est aussi la région
où les poches de pauvreté, les cités à problèmes, sont les plus nombreuses,
où l’écart entre les riches et les pauvres est le plus flagrant, où les
différences culturelles sont les plus perceptibles. C’est enfin une terre où
le métissage, né de la mondialisation, est une donnée incontournable.
Quel bilan la gauche laisse-t-elle en Ile-de-France ? "En six ans, nous
avons quadruplé le budget", souligne Marie-Pierre de la Gontrie (PS),
adjointe de M. Huchon chargée de la culture. En 2004, le budget a dépassé 50
millions d’euros, atteignant 3 % de son budget général, et hissant
l’Ile-de-France dans le peloton moyen des régions françaises. En 1998, quand
les socialistes l’ont emporté de justesse, ce domaine n’était pas du ressort
de la région.

Parmi ses réalisations, la gauche met l’accent sur le cinéma et
l’audiovisuel. Elle a mis en place un fonds de soutien aux industries
techniques, en vue de lutter contre la délocalisation des tournages (qu’une
commission régionale du film a été chargée de faciliter) et d’attirer des
productions étrangères. En 2004, le budget consacré au septième art s’élève
à plus de 11 millions d’euros. Ce choix n’est pas innocent, puisque le
territoire francilien concentre 90 % des industries techniques du cinéma
français, à travers 600 entreprises.

HABILE "ACADÉMIE"

Cette politique n’est pas remise en cause par les concurrents de M. Huchon,
qui proposent des variantes. Francis Parny, tête de liste (PCF) dans le
Val-d’Oise, souhaite l’étendre en direction du documentaire. Marine Le Pen
joue la préférence nationale : "La région n’a pas à financer des films
américains (Le Divorce, de James Ivory, et The Statement, de Norman
Jewison)." Pendant toute la mandature, l’UDF a défendu ce soutien au cinéma,
même si M. Santini estime que le budget attribué aux nouvelles technologies,
l’un de ses dadas, est trop faible (moins de 5 millions d’euros) ; le maire
d’Issy-les-Moulineaux cite en exemple un établissement de sa ville, le CUBE,
"premier espace culturel entièrement dédié à la création numérique, amateur
et professionnelle".

Habilement, M. Copé propose une Académie du spectacle reliée au projet de
studio de cinéma de Luc Besson, qui pourrait s’installer à Saint-Denis
(Seine-Saint-Denis). Une initiative très attendue par le maire de cette
commune, le rénovateur communiste Patrick Braouezec, comme par le
département, et que ne peut que soutenir le candidat socialiste. Il
s’agirait d’une école d’apprentissage formant des artistes, des techniciens
et des gestionnaires, et financée par un partenariat public-privé
(entreprises de spectacles et de l’audiovisuel). "Nous sommes partis d’une
idée simple : il y a une très forte croissance des cours de chant, de danse,
etc. Nous ne sommes pas insensibles à l’effet Star Academy", explique le
directeur de campagne de M. Copé, Bastien Millot.

La gauche vante aussi son chèque-culture. "Pour combattre l’inégalité face
aux prix des spectacles, la région a voulu offrir à ses lycéens et apprentis
la possibilité de se rendre à trois spectacles par an, pour 5 euros chacun",
explique M. Huchon, qui envisage d’"étendre ce soutien aux livres". Sans
remettre en cause ce dispositif, dont le coût s’élève à "près de 2,5
millions d’euros", selon M. Santini, les candidats plaident pour son
élargissement ou la redéfinition de ses contours. La LCR estime, par
exemple, qu’il faut l’ouvrir à d’autres publics, demandeurs d’emploi ou
RMIstes. "La culture en Ile-de-France reste réservée à des personnes
totalement insérées, avec un revenu fixe, un logement...", note Matthieu
Barbances (LCR), numéro huit sur la liste d’Arlette Laguiller, en
Seine-Saint-Denis, et "comédien intermittent". Le parti d’Olivier Besancenot
demande la création de maisons de quartier, qui serviraient de lieux de
répétition pour les artistes comme pour les amateurs. Comme l’explique M.
Parni, les communistes rêvent d’établir dans chaque région une commission
composée d’élus, de représentants de l’Etat, de citoyens et d’artistes
cooptés, pour définir et gérer la politique culturelle locale.

Au-delà de ces idées décalées, et de quelques différences d’approche, la
campagne n’est animée d’aucune opposition frontale sur la plupart des grands
dossiers. Apparemment, la culture n’est pas un sujet polémique à l’échelle
régionale, malgré la fronde des intermittents et la grogne des intellectuels
et des chercheurs vis-à-vis du gouvernement. Tout le monde sait que la
culture a une importance croissante au sein de la société, comme sur le plan
économique, mais personne ne semble croire qu’elle puisse faire gagner les