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Etrangers : le diplôme ne fait pas l’embauche

Publie le mardi 2 janvier 2007 par Open-Publishing

Recruter de brillants étudiants d’origine étrangère est un casse-tête pour
les boîtes françaises. Cas d’école.

Par Sonya FAURE www.liberation.fr/actualite/economie/226205.FR.php

QUOTIDIEN : mardi 2 janvier 2007

Monsieur Garnier est un patron qui aimerait bien embaucher des hauts cadres
africains, des « hauts potentiels » arabes. Mais en six mois, quatre de ses
jeunes espoirs étrangers ont été « priés » de quitter la France par la
Direction départementale du travail et la préfecture. Sa société de conseil
emploie une centaine de collaborateurs (1).

Onze nationalités différentes. « ça fait six ans qu’on existe, on recrute à
tour de bras. » Notamment des étudiants, qui y effectuent leur stage
obligatoire de fin de scolarité et à qui l’employeur propose régulièrement
des CDI.

« Quatre d’entre eux n’ont pas obtenu de permis de travail à la fin de leur
stage, raconte l’employeur. J’avais pourtant délivré une attestation : je
les embauchais en CDI dès qu’ils avaient l’autorisation de travailler. L’un
était sorti parmi les tout premiers d’HEC, un autre était centralien.
Au-delà de leur situation personnelle très difficile, j’ai passé six mois à
former ces jeunes prometteurs dont on m’a privé ! »

Copier-coller. Ce genre de mésaventure serait assez répandu.

« C’est un cas classique : en France, beaucoup d’étrangers sont enfermés dans
leur statut d’étudiant, commente Nathalie Ferré, présidente du Groupe
d’information et de soutien des immigrés (Gisti).

Le passage d’un statut d’étudiant à celui de salarié est difficile à
obtenir. A chaque fois, on oppose à ses jeunes la situation de l’emploi. » En
cause : l’article R 341-4 du code du travail. Qui pose comme principal
critère à la délivrance d’une autorisation de travail, « la situation de
l’emploi présente et à venir dans la profession demandée par le travailleur
étranger et dans la zone géographique où il compte exercer cette profession »
.
« Nos services comparent le nombre d’offres d’emplois déposées à l’ANPE et
celui des demandeurs d’emplois inscrits à l’agence, explique Ivan Davidoff,
de la direction régionale du travail. S’ils estiment que, dans le bassin
d’emploi, il y a suffisamment de chômeurs pouvant répondre aux besoins de
l’employeur, ils peuvent refuser l’autorisation de travail à l’étudiant
étranger. »

C’est à l’employeur de démontrer qu’il a utilisé tous les moyens pour
trouver un employé mais que celui-ci est le plus adapté au poste. Une loi
mal adaptée aux stagiaires. « C’est un cas de figure qui nous a été plusieurs
fois rapporté, reconnaît Davidoff. L’employeur a formé un jeune qui,
initialement, n’était pas destiné à rester en France pour travailler. »
Homogénéiser.

La règle de la « situation de l’emploi » a la froideur de la mathématique.
Malheureusement pas sa précision. « A lire les refus des différentes
préfectures, il semble qu’il n’y ait aucune règle. Mise à part celle de
l’arbitraire, juge l’employeur parisien. Deux de mes étudiants tunisiens
avaient exactement le même cursus universitaire. Mais au gré de leur
préfecture, l’un a eu son autorisation de travail, l’autre pas. »
Parfois, cela frise le n’importe quoi. Comme par exemple le cas de ce
stagiaire camerounais à qui M. Garnier propose un poste de consultant en
nouvelles technologies informatiques.

Dans sa réponse, la préfecture du Loiret a visiblement abusé du
copier-coller.

Le premier paragraphe mentionne bien la demande d’autorisation de travail du
jeune homme. Le second évoque un emploi de « directeur administratif » au sein
d’une entreprise de construction... Enfin, la préfecture justifie son refus
 : « Votre employeur n’évoque en aucun cas votre apport à l’entreprise eu
égard à votre maîtrise des langues étrangères ou de votre connaissance du
tissu industriel et commercial de votre pays d’origine, ni d’une quelconque
implantation de succursale ou de développement de marché à l’étranger. » Des
qualités qui n’ont effectivement rien à voir avec la technicité de son
poste.

L’étudiant avait passé les six années de ses études supérieures en France.
« Depuis six mois, nous essayons d’homogénéiser les délivrances
d’autorisations de travail, plaide Ivan Davidoff. Nous tentons d’avoir des
éléments statistiques communs d’un département à l’autre, et de trouver des
critères plus fins pour limiter ce sentiment de disparité. » Par ailleurs, la
loi Sarkozy votée en juillet, prônant une « immigration choisie » (lire
ci-contre), prévoit d’améliorer le sort des étudiants au diplôme équivalent
au mastère (bac + 5). Les fameux « hauts potentiels ». Si les décrets
d’application confirment le texte, ceux-ci auraient un délai de six mois
pour trouver un emploi et une simple promesse d’emploi par une entreprise
suffirait pour obtenir une autorisation de travail. Ce qui concernera certes
le diplômé d’HEC ou de Centrale de M. Garnier, mais pas le stagiaire à bac +
2 qu’il voudrait pourtant embaucher.

En attendant, ce patron de SSII parisienne dit s’arracher les cheveux. « Mon
entreprise est l’objet de testings par des associations antiracistes. On
reçoit un CV avec un nom maghrébin, trois semaines plus tard, le même avec
un nom versaillais... On fait tout un flanc sur la non-discrimination à
l’embauche ­ et c’est très bien ­ mais il faut être cohérent. » Les quatre
stagiaires de M. Garnier, eux, sont retournés, contraints et forcés, dans
leur pays d’origine. « Certains m’ont dit qu’ils allaient chercher un
employeur aux Etats-Unis. »