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Gauche-classes populaires, un divorce, mais non définitif

Publie le lundi 2 août 2004 par Open-Publishing

Le politologue Henri Rey décortique les raisons du divorce durable entre la gauche et les classes populaires, et donne quelques raisons d’espérer.

La gauche oublieuse du peuple est devenue, à en juger par la profusion éditoriale, une tarte à la crème de la réflexion politique depuis un certain 21 avril 2002. Le politologue Henri Rey (1), plutôt que d’entonner le refrain, préfère replacer le divorce d’avec les couches populaires dans une histoire plus longue que celle de la gauche plurielle, narrant une érosion par étapes, " sous le double effet de la marginalisation communiste et de l’embourgeoisement socialiste ". À travers un ouvrage tout autant engagé que rigoureux, il reprend l’histoire, pour esquisser le futur.

L’histoire d’abord, avec la relation des rendez-vous manqués de la gauche, assez connus pour ne pas s’y attarder ici, et pointer plutôt des motifs de divorce moins souvent mis en exergue. À commencer par la professionnalisation à l’extrême de la politique. Plus d’un tiers des adhérents socialistes de 1998 détenait ou a détenu un mandat d’élu. Dans le même temps, 56 % d’adhérents socialistes sondés cette année-là déclarent consacrer moins d’une heure par semaine à leurs activités de parti, relève l’auteur. " Quand les effectifs se réduisent, quand le renouvellement des générations s’opère très difficilement, quand l’activité militante est très réduite et que la dynamique partisane tend à se confondre avec l’exercice professionnalisé de la politique par les élus, il devient bien difficile d’attribuer au parti un rôle de transformation sociale (.). Qu’après une déroute aussi brutale que celle de 2002 les équilibres internes aient été aussi peu modifiés tend à rendre l’hypothèse qu’une ligne politique alternative l’emporte au PS peu crédible. "

Autre vision déformante : jamais en réalité, démontre-t-il, il n’y a eu en France de parti monopolisant les voix des couches populaires. Et c’est là qu’après avoir observé l’histoire, c’est vers l’avenir qu’Henri Rey porte le regard. Ce qui fut longtemps signe de faiblesse pourrait à ses yeux devenir un avantage, celui de la " souplesse dans une recomposition qui s’est traduite ailleurs par une conversion déchirante du socialisme au centre-gauche ", telle la conversion de Tony Blair.

Henri Rey ne veut pas s’en tenir non plus à un schéma traditionnel d’alternance. Il pose l’équation que le PS n’a " pas la volonté de résister aux courants dominants de l’économie ", mais, a contrario, comme en témoignent les débuts des gouvernements Mauroy et Jospin, " a pu mettre en ouvre des réformes importantes (.), surprenant, ce faisant, bien des sceptiques ". Le PCF " qui ne peut plus à lui seul représenter une perspective de changement politique ", a capitalisé " une expérience considérable de lien et de proximité avec les classes populaires ", et " tentant de rompre avec une culture d’encadrement autoritaire, a opéré une conversion vers des pratiques de démocratie participative et d’ouverture ". Quant aux Verts, " ils ne se limitent pas à la caricature de club réservé aux bo-bos, dont ils sont en partie les auteurs involontaires ". Il y a donc, pour les différentes composantes de la gauche de gouvernement, " des appuis dans l’établissement d’une continuité entre gestion et animation de la démocratie ", et régénération de la gauche.

Car " la politique est moins que jamais enfermée dans l’espace partisan. On n’attend plus que les partis produisent des synthèses orientées vers l’action. Il y a souvent plus de rigueur et de véritable effort d’analyse dans ce que disent, sur les mêmes sujets, des rapports syndicaux ou des documents d’ATTAC par exemple, que les textes partisans ".

Reste donc pour la gauche à. être de gauche, tout simplement. Et à s’atteler à quelques questions prioritaires. Définir d’abord le rôle, " plus modeste ", de partis devant " surmonter la crainte de la manipulation qu’ils inspirent très largement, s’astreindre à un respect attentif de leurs partenaires individuels et institutionnels ". Henri Rey voit à cette condition la possibilité pour la gauche de renouer des liens avec l’électorat populaire, sous la forme d’un " contrat " de partenariat mêlant partis - dont l’extrême gauche - syndicats, associations.

Les expériences de démocratie participative, " encore balbutiantes ", locales, et concernant une minorité active de citoyens encline à participer, pourraient dans ce schéma " permettre d’atteindre indirectement le plus grand nombre, qui découvre progressivement l’existence des dispositifs participatifs ". Resterait, ultime condition, à réduire significativement l’insécurité sociale, " pour redonner du sens à des valeurs mises à mal ; solidarité, sens du collectif, civisme, confiance dans la puissance publique ". " C’est bien de la garantie d’un revenu et de la permanence d’un emploi qu’il est question (.) défi immense lancé à ceux qui raisonnent en termes d’alternative politique, mais défi proportionné à l’état d’une société malade. "

Lionel Venturini

(1) La Gauche et les classes populaires, histoire et actualité d’une mésentente, Éditions La Découverte, 15 euros.

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