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Georges Cipriani : Lettre à Pauline

Publie le vendredi 29 septembre 2006 par Open-Publishing

Georges Cipriani : Lettre à Pauline

A l’occasion de la publication de "Le Poing", magazine rédigé et réalisé par les élèves de l’école supérieure de journalisme de Lille, Georges Cipriani a répondu aux questions d’une jeune rédactrice.

...J’ai bien reçu votre lettre avec vos questions et (...) vous pourrez comprendre que je ne suis pas mécontent du tout à ce que vous leviez le voile sur nos conditions, aspirations et réflexions par votre travail. Donc le plaisir est tout pour moi de pouvoir faciliter vos recherches et, au regard des délais qui sont les vôtres, je vais répondre prioritairement à vos questions.

Donc, voici mes réponses :

 Vous êtes issu d’une famille ouvrières. Votre origine sociale vous a-t-elle influencée ?

En vérité, je suis issu d’un milieu travailleur et non pas typiquement ouvrier puisque mon père était facteur et ma mère standardiste par intermittence, disons pour joindre les deux bouts. Pour eux cependant, nous faire accéder, mes frères et moi, à un métier manuel et à la condition sociale d’ouvrier était le signe d’atteindre à un mieux être. A cette époque nous étions alors en plein dans les Trente Glorieuses et ils ne pouvaient pas se douter encore de ce qu’il en adviendrait de la condition ouvrière en France, à peine 15 ans plus tard. Ni comme nous la connaissons d’ailleurs aujourd’hui par son énorme gâchis pour remplir les portefeuilles des actionnaires et nourrir l’Etat rentier.

C’est donc par le Centre d’Enseignement Technique et puis un emploi comme apprenti ajusteur, durant les vacances scolaires de l’été 65, que j’ai accédé pour la première fois à la condition ouvrière et qu’elle est devenue depuis lors ma cause, toujours plus consciemment.

Pour être précis, j’ai traité tout ce chapitre de ma chronologie biographique, qui va de 1965 à 1983, dans un texte rédigé sous forme d’interview où je répond à la plus grande partie de vos questions à son propos et que vous n’aurez certainement aucune difficulté à vous procurer sur un Site ou l’autre.

 Comment occupez-vous votre temps en prison ?

On entend souvent que la prison n’enseigne rien et est par là inutile ainsi qu’un lieu d’inactivité. Pourtant elle est vraiment une école du crime. Une école des crimes punis et punissables comme des crimes impunissables et impunis qui gouvernent la société et gèrent la prison. C’est ce qui la rend sans doute contradictoire.

J’occupe donc mon temps à m’instruire et à saisir quel genre d’Etat et de société la prison sauve.

 Quel genre d’homme êtes-vous devenu ?

Pour autant que l’on devient par l’égalité, la fraternité et la liberté des rapports sociaux et des relations affectives il est très improbable de devenir en prison. A cela s’ajoute, en ce qui me concerne, que je me refuserai toujours à un devenir dans une hiérarchie. Or, la prison est une perpétuelle hiérarchisation. Alors plus que de devenir j’évolue. J’évolue d’une grille à une autre, d’une promenade à la cellule sous l’œil des caméras silencieuses. Comme dans les 8 mètre carré de cette cellule. En écoutant de la musique, etc...

Pour le reste, j’ignore encore ce que ces années et années d’évolutions en vase clos me permettront de devenir dans un monde moins grillagé et barbelé sous la protection des caméras de service - mais ce monde-là l’est-il lui-même véritablement moins pour produire un tel envers que la prison ?!?

 Avez-vous des regrets ?

Des tonnes et des milliers, à commencer par ne pas pouvoir rôder la nuit et en jouir !
 mais est-ce vraiment une plaisanterie ?

 La prison a-t-elle infléchie vos positions ?

Dernièrement, à l’émission "Libre court", sur France-Inter, Robert Badinter, invité d’Anne Sinclair, déclarait : "les conditions de détention ne peuvent pas être améliorées tant que la situation et les conditions de vie des classes défavorisées de la société n’ont pas été elles-mêmes améliorées".

Une déclaration qui représente un véritable programme où pour une fois un homme d’Etat dit enfin tout ce qu’il faut savoir : les classes défavorisées menaceraient de devenir des classes dangereuses si les conditions de détention étaient meilleures, préférables à leurs propres conditions de vie.

C’est par une telle réalité que la prison a pu, selon où l’on décide de faire levier, conforter ou infléchir mes positions : soit accentuer les luttes revendicatives en prison, soit intensifier la lutte de libération du prolétariat dans la société - pour l’heure, c’est cette dernière option qui a ma faveur (comme je l’ai exprimé avec mon texte, interdit de publication, " ? battre ensemble pour la Sécurité Sociale", et par là bien entendu pour le droit à la santé...).

 Comment vous portez-vous ?

C’est la question décisive en l’état de mon parcours carcéral et psychiatrique, dû à l’isolement durant des années, depuis février 1987.

Disons qu’après des hauts et des bas, qui se sont poursuivis par 7 ans d’isolement, dont 2 ans et demi particulièrement intenses, quelques grèves de la faim et les années de quotidien de détention dites "normale", lesquelles ont culminées avec mes 17 mois d’internement psychiatrique à l’Unité pour Malades Difficiles de Sarreguemines, je ressors peu à peu la tête de l’eau depuis fin décembre 2002.

Donc, après les années de privation sensorielle, jusqu’à une incapacité à lire et à écrire, et après les troubles psychiques, qui s’étaient aggravés en Maison Centrale pour n’avoir pas été décelés et traités auparavant, maintenant j’ai recommencé à lire et à écrire.

Lire et écrire, un bien inestimable lorsqu’ils sont acquis et dont la privation, comme celle dont souffrent des millions et des millions de femmes et d’hommes, d’enfants, confinés dans l’analphabétisme et l’illettrisme, me fait frémir. Peut être est-ce ce sentiment et cette rage s’en dégageant qui me porte.

 Régis Schleicher a déclaré que la théorie de votre groupe avait "failli", qu’en pensez-vous ?

La teneur des propos de l’interview de Monsieur Régis Schleicher relève en vérité de cette maxime assez connue qui veuille que : quand on veut noyer son chien, on l’accuse d’avoir la rage.

Ou autrement dit, pour Régis Schleicher il fallait bien qu’Action Directe eut failli pour expliquer sa tentative d’évasion échouée de la prison de Moulins comme ses aspirations profondes à une libération conditionnelle prochaine.

Dans ces conditions, l’Etat a beau rôle de jouer du chantage au repentir contre une libération car il sait pouvoir faire ainsi plier l’homme qui n’est plus militant que de sa seule cause personnelle et de son unique salut. (Je vous signale en aparté avoir rédigé en date du 30.12.2005 une adresse à Régis Schleicher à propos de son interview du 22.10.2005 à "Libération ").

 Quelle vision aviez-vous alors du militantisme ?

 Avant le militantisme ou avant la prison ?

Avant mon engagement avec Action Directe, militer était encore abstrait et soumis aux aléas du moment, à mon humeur comme aux raisons invoquées des mobilisations ponctuelles alors à ,1’ordre du jour (là aussi référez-vous à mon interview), et cela jusqu’au moment -mobilisation contre l’installation des missiles nucléaires Cruises et Pershing américains en Europe de l’Ouest- où j’y ai vu aussi la possibilité de choisir une forme de lutte déterminée et de m’impliquer dès lors par là dans nombre de question par mon mode de vie et pour sa défense comme pour la défense de tout ce qui le rend possible, à commencer par la démocratie.
Et aujourd’hui encore militer signifie pour moi s’approprier une qualité de vie - mais cela requiert justement des conditions.

 Que recouvre le mot militer aujourd’hui ?

Il faut avoir atteint à un certain standing, à une certaine qualité de vie pour militer, car militer présuppose et est le résultat d’un choix entre plusieurs options. Et encore faut-il atteindre aux conditions de ce choix. Acculé économiquement à la survie on ne peut pas penser à militer mais seulement à vivre l’injustice et s’y imposer. Donc, le feeling de l’injustice pour militer présuppose de pouvoir y choisir une justice. Sa propre justice. Et pour moi il n’y a pas de plus grande injustice que de perdre sa vie à devoir la gagner tout en devant en sus engraisser un patron ou un actionnaire en lui faisant crédit de sa force de travail pour le gain d’un salaire.

Militer donc est où et quand l’on apprend d’expériences que la volonté de vivre est inséparable d’une certaine volonté d’organisation. De cela, du besoin de vivre, le besoin d’organisation et de militance dans le seul sens acceptable : s’émanciper par des rapports et des actions d’émancipation.

 Ouvrir son cœur et se libérer la tête, n’est-ce pas là des pas vers la vie ?!?

 Suffit-il d’être révolté pour être révolutionnaire ?

Ce n’est probablement pas suffisant en considération des expériences existantes, mais il existe dans l’histoire des 40 dernières années de nombreux exemples où des révoltés, comme les "frères de Soledad", en Californie, ont fomentés des révolutionnaires comme George Jackson et Angéla Davis.

Certes avec la complicité involontaire, comme toujours, d’un Etat et de ses forces de prévention et de répression, mais des hommes et des femmes révoltés ont pu et su aller au bout de leurs réflexions et laisser derrière eux quelques avantages immédiats et corruptibles nécessaires à un salut personnel pour se transcender en révolutionnaires qui comblent leur classe d’une histoire, dont elle peut se sentir forte et en jouir - c’est là que coïncident alors intérêts individuel et passion collective.

 Que signifie pour vous le terme révolutionnaire ?

Ce n’est jamais un habit par lequel l’on se masque malgré tout ce que la publicité véhicule et veut faire croire à tout un chacun.

Se déclarer un jour révolutionnaire peut être cause le lendemain de la plus brutale des chutes. Et c’est sans doute pour cela que s’y attache un certain respect et perplexité dans l’inconscient collectif.

Pour moi être révolutionnaire veut dire vouloir être perspicace et vouloir vaincre l’adversité - en cela c’est un choix.

 Que pensez-vous de l’action terroriste Kamikaze ?

Je doute que le qualificatif de terroriste soit approprié à des actes de guerre sainte qui sont en outre une évidente résurgence de la Contre-révolution, dont chaque kamikaze est un agent actif contre l’esprit et le besoin d’émancipation.

Et ces kamikazes sont actifs tout à fait dans la lignée des troupes fascistes de Franco qui montaient à l’assaut de la République espagnole aux cris de "viva la muerte". Le 11 Mars 2004, à Madrid, est tout à fait à situer dans cette lignée-là et correspond à la situation actuelle en Espagne.
Il est de fait donc que la violence aveugle des kamikazes se veut une réponse directe à tous ceux qui souhaitent, aspirent à une transition non-violente à une autre société, à une société émancipée.

Une transition à laquelle les bourgeoisies, monarchies et autres oligarchies opposeront toujours la Contre-révolution la plus aveugle et violente possible.

Donc, les kamikazes, sujets des forces obscures, en sont un summum, là où l’intérêt personnel, la raison individuelle et la passion collective ne doivent plus coïncider que par l’attentat massacre et la mort. Pulvériser tous ceux qui dérogent à la foi de leurs maîtres, voilà leur but. A un tel point, les kamikazes eux-mêmes ne peuvent se libérer de leur aliénation et se réapproprier personnellement que par la mort, révélant ainsi qu’ils ne se sont jamais jusqu’alors appartenus - quelle aubaine pour certains d’entre eux (lisez si vous le voulez bien à ce propos mon texte : "la guerre des civilisations : une afghanisation du monde" : également à propos de l’interview de Régis Schleicher).
En bref je dirais, la croyance en Dieu est une angoisse face à la liberté et elle est occasionnée par la solitude et la détresse morale individuelle.

Mais faire payer ces tares par la mort des autres pour les vivre jusqu’à l’ultime en révèle bien les dimensions et la profondeur. L’abîme constitué par cette angoisse.

 Pensez-vous avoir sacrifié votre vie pour votre cause ?

Pour que cela fût possible il me faudrait ne même plus sentir la souffrance que l’enfermement m’inflige en réaction à mon refus de m’infliger moi-même activement cette souffrance par le travail en usine et le salariat, ainsi que comme réaction à mon choix de militance avec Action Directe. Or, les troubles psychiques en réactivité et même en conformité avec la privation sensorielle vécue étaient bien réels en tant que sensation et refus désordonnés de mon corps à la souffrance de l’incarcération.

Tout comme cela serait et est également vrai pour toutes maladies pathologiques dues aux conditions de travail (Stress, maux d’estomac, du dos, etc...).

Et aujourd’hui encore mon corps continue de réagir plus vite que mon esprit et ma raison à la souffrance carcérale vécue et à la privation sensorielle par différents symptômes, disons comme celui de nervosité...

En cela je ne pense pas avoir sacrifié ma vie à ma cause comme il n’existe aucun idéal et pensée magique à même de me sauver de ma réalité physique et psychique.

Le sacrifice est réel et accepté lorsque l’on fait corps avec les conditions ambiantes sans les remettre en cause d’une manière ou d’une autre.

 Aujourd’hui répondre à cette interview est-ce l’occasion de revenir sur votre parcours ou de poursuivre votre action militante ?

C’est autant un des ces deux moments que l’autre car comment pourrais-je poursuivre mon action militante, comme je vais le faire maintenant en abordant vos questions sur le "groupe", sans être revenu pour ce faire sur mon parcours ainsi que j’en a/s saisis l’occasion jusqu’à présent en répondant à vos questions sur ma biographie et le militantisme, donc...

 Quel regard portez-vous sur les actes d’Action Directe, sur les assassinats ?

Si les exécutions et toutes les opérations d’Action Directe n’auraient pas été nécessaires, nous ne serions plus en prison aujourd’hui... et demain.

 Quelles étaient les particularités de votre groupe ?

D’abord de s’être attaqué dès sa fondation, en 1979, à l’ancêtre du MEDEF, le CNPF, le 1er Mai.

Ensuite d’avoir posséder dès 1982, avec deux opuscules : "Pour un projet communiste" et "Contre l’impérialisme", ce que l’on appelle communément une ligne politique et une ligne organisationnelle.

Et enfin, d’avoir aujourd’hui encore pour particularités d’être fondé sur deux impératifs pour son organisation et son fonctionnement :
 L’application de la dictature du prolétariat avant la révolution ;
 L’extinction de l’Etat dès /’après révolution mue par le soulèvement insurrectionnel du prolétariat.
Et cela, avec pour moyen de réalisation : la démocratie comme gouvernement du peuple en armes ; car le désarmement du peuple signifie toujours une restauration de l’Etat et une défection réelle de cette démocratie en un régime parlementaire gouverné alors par une classe polit/que qui exclue nécessairement le peuple de tout pouvoir de réalisation et prélude ainsi à sa paupérisation.

Ainsi, le but de ce double mouvement, qui a son renversement de perspective dans la grève insurrectionnelle comme générale et la constitution horizontale des conseils ouvriers et travailleurs, est bien de soustraire l’Etat à la bourgeoisie, lequel est pour elle l’appareil vertical de se reconstitution en classe gouvernante et notamment en classe dominante.

Des particularités à long terme, comme vous le pressentez, mais néanmoins réelles, possibles et nécessaires, ainsi que je vous l’ai par ailleurs exposé.

 Pourquoi recourir à l’action violente ?

Disons pour ajouter de la liberté à la liberté par des actes mûrement réfléchis. Pour imposer la démocratie, aussi réellement que possible, à une bourgeoisie qui ne l’accepte que du bouts des lèvres, à une classe politique qui confond scrutin majoritaire (où au maximum 33% du corps électoral assure une majorité) et démocratie. Pour ne plus jamais permettre Mussolini, Péta in, Hitler et 1933, Franco et 1936-38, etc, etc... Bref, pour opposer à toutes guerres impérialistes des forces de guérilla faibles certes mais décidées à l’émancipation du genre humain.
Entre quelques unes de toutes les bonnes raisons possibles.

 Pensiez-vous et pensez-vous toujours que le passage d’une société capitaliste à une société communiste passe forcément à un moment ou à un autre par les armes ?

Dans la mesure même où nous sommes engagés depuis 68 dans un processus (voir ma synthèse du 31.01.2006) qui mêle révolution et contre-révolution en Europe et que notre organisation y pratique la lutte armée depuis 1979, comme forme immédiate de dictature du prolétariat pour atteindre à la démocratie des conseils, nous sommes déjà dans le présent et le futur de cette transition vers une société émancipée.

C’est en cela que nous pouvons penser, aujourd’hui comme hier, que ce passage d’une société capitaliste à une société communiste passe nécessairement, à un moment ou un autre, par les armes, puisque c’est là une pratique réelle.

Ceci dit, à priori on ne doit rien exclure et ne pas exclure qu’une révolution ait la force et la potentialité à s’imposer par une non-violence - la question étant cependant là toujours :
 pourquoi une révolution débouche-t-elle sur la violence ?

 Et à partir de quel moment la non-violence est-elle encore une radicalité et n’est-elle pas précisément rétrogradée à une violence, à une souffrance à /’encontre de ses propres buts et objectifs ?

 L’attente et la désespérance de lendemain meilleur ?

Le fait est que si l’on considère 68, en France, en Europe et dans le monde, l’on ne peut que constater que 68 a partout effectivement débouché sur la violence et cela même aux USA avec les Black Panthers et les Weathermans (et sans même évoquer la Belgique, pourtant) - à mon avis cela a été du à la prise de conscience des formes de violence subies et des mécanismes inébranlables de son imposition même.
Ainsi, comme vous le savez vous même et comme cela commence a être dénoncé, la violence au travail est bien aussi celle que l’on s’inflige à soi-même pour tenir le coup.

Alors, de fait, il n’y a pas de rapport de violence plus brutal et insidieux que de devoir travailler une partie de sa journée pour constituer un profit à son patron et aux actionnaires ; donc, de devoir travailler sans être payé une partie de la journée. Devoir donner son temps une partie de sa vie pour toucher un salaire, aussitôt dépensé, et maintenir ainsi le rapport capitaliste d’exploitation en place
 est-ce vraiment volontaire ?

 Et comment ne pas en conclure que c’est là l’exemple le plu crû donné à la délinquance et à la criminalité organisée et mafieuse ?

 Bref, que c’est là l’exemple flagrant donné à toutes les violences !?!

 Il y a t’il des hiérarchies dans la violence ?

Ceux qui hiérarchisent la société lui donne sa forme verticale et pyramidale par l’Etat, hiérarchisant nécessairement la violence dont ils usent pour y parvenir.

Pour notre part, nous avons un concept de société horizontale, autogestionnaire, pour parler la langue des années 70, donc pour nous la violence n’est pas une fin en soi mais un moyen que nous pratiquons pour sortir de la violence des rapports capitalistes. En cela nous ne concevons pas de hiérarchies dans la violence.

Bref, il n’existe pas des objectifs et des actions plus valorisantes que d’autres.

Ce qui veut dire que c’est toujours à ceux et celles qui agissent de déterminer par leurs responsabilités politiques et humaines comme parles conséquences encourues dans quel cadre, à quelles fins et sur quel maillon de la chaîne de l’exploitation et de l’oppression leur pratique politique et sociale est axée - savoir ce qui doit être initié.

C’est pour cela qu’il n’existe d’actes et d’objectifs symboliques que comme échos du rôle contre-révolutionnaire dont la médiatisation s’investi : isoler, invalider l’acte réalisé. Car exécuter un PDG et incendier une ANPE ne peuvent jamais être des actes symboliques et hiérarchisés.
Lorsqu’ils ont lieu, ils ont réellement lieu, malgré ce que voudrait faire croire les appareils médiatiques du Capital et d’un Etat qui a besoin de rétablir son pouvoir verticale de la violence.

 Est-ce que toutes les formes de violence sont équivalentes face à la violence légitime de l’Etat ?

La politisation et l’organisation des travailleurs, des prolétaires, sont fortement stratifiées. Les formes de luttes, d’actions et d’intervention le sont donc nécessairement aussi - d’ailleurs il n’y a à considérer à ce propos qu’uniquement le taux de syndicalisation qui ne traduit effectivement pas le taux de mobilisation et de violence qui peut être atteint à certaines occasions.
Donc, de fait, nous nous situions aussi comme nous nous situons toujours dans cette stratification et c’est en fonction de la validité de sa complexité que nous avons opéré comme nous avions pu le faire et pourrons continuer à le faire.

La question essentielle à cet égard est donc bien plutôt : -qu’est-ce qui aujourd’hui absorbe et masque la violence qu’une telle stratification ne peut que produire et dont elle est elle-même un résultat ?

je pencherais pour dire, même si à première vue le rapport n’est pas évident, qu’il est question là du trou de la Sécurité Sociale, des dépenses maladie et du Stress auquel se soumettent la plupart des gens dans le système en retournant contre eux-mêmes cette violence, en s’infligeant une souffrance dont le seul relais est ensuite par là la production de symptômes médicalement constatée comme certifiée par les arrêts maladies ou les accidents du travail. Ce sont là les circonstances de la stratification comme l’inéquivalence des formes de violence.

Cette souffrance, cette violence que l’on s’inflige ne peut qu’exploser un jour ou l’autre comme cela s’est fait, par exemple, dans la "crise des banlieues" de la fin octobre à la mi-novembre 2005.

 Alors, est-ce tout cela qui légitime la violence de l’Etat ?

 Ou n’est-ce pas l’inverse ?

Dans les années 70 la violence a été théorisée par beaucoup de militants et certains ont refusé d’entrer dans la lutte armée. Prendre les armes est-il toujours un moyen pertinent pour arriver à ses fins aujourd’hui ?

Les années 70 ont été caractéristiques d’une décennie de liberté de réflexion et d’expression ; des années anti-totalitaires par l’expression possible et libre des peurs, angoisses, critiques, croyances et aspirations.
Un premier frein y a été la constitution et le clientélisme électoral autorisé du Front National.

Un deuxième frein, paradoxal et conforme au changement d’époque, a été la victoire électorale du Programme Commun de la "gauche" où dès lors tous et toutes devaient tirer dans le même et unique sens... et au mieux : en fermant sa gueule ! - dans le style : "Silence, nous gouvernons !".

Dans le déroulement de cette décennie 70 il a été tout aussi important que des gens, des militants ou non, aient pu mener leurs déductions jusqu’à conclure de l’importance d’une violence révolutionnaire pour sortir de la violence du capitalisme et cela tout en n’effectuant pas néanmoins eux-mêmes un pas irréversible dans cette forme de militance-là. Notamment, lorsque pour eux comme pour elles il n’existait pas une adéquation en particulier entre leurs analyses politiques et leur mode de vie réel. Un mode de vie qui ait pu les encourager à choisir la lutte armée comme forme privilégiée de lutte.

Ceci tout simplement car dans un processus révolutionnaire chacun comme chacune lutte pour se libérer et non pas pour s’aliéner et mourir en faveur d’une idée - mourir pour une idée, ça, c’est ce que demande le capitalisme pour mener ses guerres impérialistes et impérialisantes.

Ces militant(e)s ont donc été extrêmement sincères et honnêtes en s’abstenant tant avec le processus révolutionnaire lui-même et comme avec tout un chacun qui l’engage que par rapport à eux-mêmes en cherchant d’abord à s’appartenir.

Ceci dit, il faut souligner combien l’inadéquation entre leur mode de vie et leur analyse les auraient irrémédiablement rendus superflu et aurait fait d’eux des boulets à tramer avant l’heure dans une organisation de guérilla. Organisation où chacun comme chacune doit être entièrement responsable de ses actes, ne serait-ce qu’au regard des conséquences (prison, grèves de la faim, question du repentir, etc).

Ces gens-là auraient donc été rapidement superflu en faisant le mauvais choix de l’idéologie comme cela a malheureusement été le cas de ceux et celles qui ont choisi(e)s la lutte armée comme une mode générationnelle et n’ont plus su par la suite à quels Saints se vouer et se dévouer avec toute la servilité d’occasion requise.

Donc, aujourd’hui comme hier, le choix des armes (du stylo... à l’arme à feu) et en particulier le choix de la lutte armée est toujours pertinent pour ceux et celles qui s’en saisissent en fonction de leur mode de vie y conduisant.

Bref, pour défendre et vivre ce mode de vie entièrement et non pas pour s’engager au nom vénéré d’un idéal et d’une idée éternellement salvatrice.

Vivre ici et maintenant la révolution ainsi qu’on l’a choisie est singulier a chacun et à chacune et conserve par là toute sa pertinence - lutter sans modèle et décalcomanies, car la lutte est seulement un patrimoine d’expériences auquel appartient, entre autres, le choix de la lutte armée.

 Est-ce qu’une violence personnalisée m : légitime pas la violence de l’Etat tout en la renforçant ?

Puisqu’il est lui-même le prétexte d’une classe au maintien et à l’intégrité de la société comme à sa prétendue incapacité à s’autogouverner horizontalement, l’Etat ne peut reculer devant aucun prétexte pour masquer à la société sa véritable condition et cela s’appelle aliénation et aliéner. De là aussi le besoin de l’Etat de personnaliser la violence politique qui n’est pas de sa seule et unique émanation comme de son monopole.

Ce procédé, l’Etat en use à un tel point actuellement que le terrorisme patriarcal islamiste, parce qu’il sert son fond de commerce, constitut pour lui l’occasion rêvé d’engager silencieusement les sociétés occidentales dans l’Ere de l’Atome comme l’humanité a historiquement abordé avec la même violence épocale l’Ere du Bronze ou l’Ere du Fer. Et cela, l’Etat le réalise en sachant qu’Al Quaida le sait aussi d’expérience mais y trouve son propre intérêt de guerre sainte et d’attentats-massacres (et sans évoquer la politique nucléaire iranienne des mollahs). Notamment en ne s’attaquant pratiquement jamais directement aux stratèges en titre des Etats impérialistes et en ne privant ainsi jamais ces Etats qu’aucun prétexte à leurs prétextes et à leurs méfaits.

Lorsque les stratèges impérialistes étaient cibles, comme avec le Général Audran, alors la personnalisation de la violence ne pouvait masquer que c’était ces stratèges qui étaient directement cibles et qu’ils l’étaient en qualité d’agents, de fonctionnaires de l’Etat et de son Capital. Et tout cela n’est pas incidemment puisque l’on ne combat toujours que ses ennemis réels (de classe).

A une telle époque, une résistance de la société était encore possible aux prétextes liberticides et anti-démocratiques de l’Etat sur la condition de la société comme sur les dangers la menaçant et sur son devenir.

Ainsi, par cette absence, c’est une réaction bienséante de la société aux prétextes de l’Etat qui est en perte de vitesse tout à fait dangereuse.

Bref, nous ne sommes plus seulement dans l’autoritarisme mais nous avançons insidieusement vers une forme encore inconnue de totalitarisme.
Et la caractéristique du totalitarisme est bien de ne supporter aucune critique, ni l’expression d’aucune autre croyance et d’autres peurs que celles officielles.

Donc, la violence révolutionnaire contre des objectifs personnalisés ou des stratèges particuliers ne légitime pas mais révèle la violence de l’Etat tout en usant jusqu’à la corde les prétextes que cet Etat emploie pour s’imposer face à la société.

 L’action pacifique, comme celle de Gandhi, pour prendre le plus célèbre, n’est-elle pas plus efficace que les actions terroristes ?

Passons dans ce contexte sur le terme "efficace" qui révèle qu’il ne s’agit pas de processus de libération et d’exercice du pouvoir mais de conquête de l’Etat et des appareils de domination, dont la visée énoncée d’ "indépendance" est le masque.

Gandhi, pour m’en tenir à cet exemple significatif, a mené une lutte de décolonisation dans un contexte international où il a pu bénéficier de ressort des Etats-Unis, donc ainsi de la "DoctrineWilson", qui en était le fer de lance politique, d’une manière générale, comme de l’essor de l’industrie cinématographique, en particulier, qui lui a fourni la caisse de résonance à son action "pacifique".

Par là, sa lutte de décolonisation ne remettait en cause à aucun moment l’essentiel du rapport capitaliste, à savoir l’extraction de plus-value, la procréation d’un profit de l’exploitation du travail et de la terre.

Au contraire, cette "non-violence" (qui a coûté quand même 500 000 morts) lui ouvrait même des perspectives à terme comme nous le voyons aujourd’hui à la situation économique de l’Inde - je ne parlerai pas de celle des indiens selon les castes et de celle ignoble de violence contre les femmes.

Cette lutte de décolonisation était donc un présupposé à l’extension du rapport d’exploitation capitaliste et à sa globalisation pour dégager de la main d’œuvre corvéable et serviable à bon marché pour l’avenir - à ce compte-là, ta non-violence est tout à fait permise, si ce n’est recommandée.

Comparé à la situation de blocus économique de Cuba depuis des décennies, il est possible de saisir ce qui se cache derrière les termes de violence et de non-violence comme celui de pacifique : la perpétuité accordée ou non au système capitaliste.

 Etes-vous toujours aussi en colère ?

 Ai-je été en colère ?

Probablement à des instants précis comme en ayant eu la "rage" à l’égard de faits particuliers et par là avoir alors été colérique comme pouvoir toujours le devenir, mais je ne me pense néanmoins pas coléreux.

Etre dans un état perpétuel de colère ne me correspond pas du tout et je considère même que c’est là quelque chose d’handicapant.

Disons donc sue je suis plutôt serein et "placide" et plus précisément : cognitif.

Je réfléchis surtout par le recueil d’informations comme par déductions afférentes et lorsque mon opinion est faite par irrémédiabilité alors je m’engage et cherche à trouver l’action appropriée. Bref, la colère n’est pas mon choix et je préfère la vaincre, en saisir les causes, que de lui laisser libre court.

Donc, je n’ai pas choisi de m’engager dans la lutte armée afin d’entrer dans la violence mais bien pour sortir de la violence du quotidien des coups de coudes autour de soi et des coups de pieds sous soi-même en ravalant les humiliations venues de plus haut et cela afin d’atteindre à un enrichissement pécunier personnel comme à une "meilleure" situation dans une hiérarchie sociale où la colère est justement prétexte à tout et à n’importe quoi !

 Après Action Directe, aucun groupe adepte de l’action violente n’a réussi à surpasser l’influence d’AD. Pourquoi ?

Ah bon. Vous me l’apprenez. Là je suis incapable de répondre. De fait, je suis prisonnier politique d’AD et militant d’aucune autre organisation de lutte armée, ni en France, ni en Corse, ni dans le monde.

Je ne peux donc pour l’instant vous en dire plus à ce propos.

Pour toute conclusion à ce chapitre-ci de vos questions je voudrais ajouter deux choses :

 Pour l’une : c’est uniquement dans un monde de cauchemars que le rêve peut être promu au rôle de méthodes d’endoctrinement... bien malheureusement - c’est dire ainsi les abîmes qui nous isolent.

 Pourtant des ponts sont possibles s’il y a des rêves... en avez-vous un ?

Le mien, c’est la lutte des "LIP", en 1973/74, reprise, organisée et étendue à la dimension de la France, de la Corse et de l’Europe : comme autogestion ouvrière, hospitalière et paysanne dans laquelle nous ne sommes qu’un rouage avec...

 Pour l’autre : la retranscription épistolaire d’un des derniers, si ce n’est le dernier interview de Joëlle Aubron, dont vous avez certainement appris le décès le 01. Mars 2006 à la suite d’un cancer.

J’imagine qu’elle n’aura donc pas pu répondre à votre attente et je veux vous communiquer cette partie de son témoignage afin que vous sachiez comment vous situer à son égard.

Voici donc les quelques lignes que j’ai retranscrit :

"Je peux expliquer dans quel contexte ont eu lieu ces actes, c’est international, c’est politique, c’est social et pour moi ça c’est très important à présenter.
Le fait que, je pense toujours, aujourd’hui, qu’à ce moment-là nous pouvions redresser la barre et ne pas arriver à la situation à laquelle nous sommes arrivés 20 ans plus tard. Aujourd’hui, on peut me dire que, ben, vous avez échoué, mais enfin j’ai envie de dire : oui, c’est facile de le dire 20 ans plus tard. Ça n’a pas de sens. "

 Joëlle Aubron, en 2004/05.

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Georges Cipriani

source Action directe

Publié le 22 septembre 2006 par torpedo