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Hania Mufti, l’Irak et le procès de Saddam

Publie le dimanche 28 janvier 2007 par Open-Publishing
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de Catherine Wendell

Mufti
Elue parmi les personnalités de l’année 2005 de Time Magazine, cette Jordanienne de 47 ans enquête depuis plus de 20 ans, pour le compte d’Amnesty International, puis Human Right Watch, sur les horreurs commise par le régime de Saddam Hussein (Chiites, Kurdes, opposants Sunnites), dans le plus grand secret et souvent au risque de sa vie.

Hania Mufti est née à Amman, en Jordanie. Après avoir quitté ce pays, puis le Liban livré à la guerre civile, elle part à Londres terminer ses études où elle se fait embaucher par Amnesty International. Nous sommes en 1981, un an près l’offensive de Saddam contre l’Iran.

En 1984, Amnesty lui confie l’ensemble du dossier irakien, l’un des pays réputé comme l’un des "plus difficile" de la région.
Le pire ? "Un cas à part", rectifie-t’elle.
Rapidement, Hania découvre l’efficacité des services secret du Baas, très actifs en Europe et notamment à Londres, où elle réside. La prudence est de rigueur car il s’agit pour elle de protéger ses sources et ses contacts.
"Les informations que nous récoltions étaient si dramatiques, le nombre d’exécutions si élevé et les techniques de torture tellement dures... que nous développions un sens particulier de la mesure. Ce qu’on nous rapportait paraissait à ce point incroyable que j’avais en permanence des doutes sur ma capacité à déceler le vrai du faux. Au final, nous n’écrivions dans nos documents publics qu’une infime partie de ce que nous entendions".

Le 16 mars 1988, au matin...
quelques mois avant la fin de la guerre contre l’Iran, Saddam intensifie son offensive contre les guérillas kurdes. Sous prétexte d’une infiltration de soldats iraniens dans la ville de Halabja, il ordonne à son aviation de déverser des bombes chargées de gaz mortel. Ce sera le massacre d’Halabja. On parle d’abord de 4 000 morts, peut-être le double. Et puis de 100 000 personnes massacrées avec la destruction de près de 90% des villages kurdes irakiens.

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Le jour de la tragédie, Hania est à Londres. Elle rassemble immédiatement toutes les infos disponibles. Mais Amnesty hésite à condamner l’attaque, craignant de déroger à la règle de neutralité des organisations de défense des droits de l’homme en temps de guerre ! Hania insiste et se bat mais devra attendre un mois avant qu’Amnesty ne condamne ce que l’on peut assimiler à un génocide. "C’était très dur... d’autant plus dur que l’on apprendra quelques années plus tard que ce n’était pas la première attaque chimique contre les populations kurdes..."

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La communauté internationale se tait également. À l’époque, l’Irak étant l’allié des grandes puissances, celles-ci se contentent de vagues condamnations. Quant aux États-Unis, le Président Bush père, donne même son consentement pour une allonge d’un milliard de dollars afin de soutenir l’Irak contre l’Iran... (ici, Rumsfeld et Saddam en 1983 >)

Hania part pour le Kurdistan turc où elle recueille les témoignages auprès des quelques 100 000 réfugiés entassés sous des tentes de fortune. Elle se heurte aux autorités turques, pour lesquelles attirer l’attention sur les traitements des Kurdes irakiens risquent de mettre en lumière la situation des Kurdes de Turquie.

En bref, de 1985 à 1990, Hania dépose devant la Commission des Droits de l’Homme, à Genève, des rapports alarmants sur la situation irakienne (Kurdes, Chiites, opposants Sunnites). En vain.

Ensuite, c’est l’invasion du Koweït, le 2 août 1990 avec sa litanie d’horreurs, qu’elle rapporte suite à un séjour à Ryad où elle rencontre des centaines de réfugiés koweïtiens. Mais là, elle commet une erreur, suite à une information fausse qui pèse encore aujourd’hui sur ses épaules : c’est l’affaire des 300 couveuses de bébés koweïtiens, qui auraient été débranchées par les soldats irakiens. En fait, de tels agissements se sont produits, mais seulement 7 à 8 cas individuels.

"J’avais l’impression que les crises en Irak n’allaient jamais finir" se souvient-elle en évoquant l’année 91 et la répression sanglante des Chiites au sud et des Kurdes au nord par Saddam.

En 1992, Hania profite de la relative autonomie du Kurdistan irakien pour se rendre sur place, rencontre les opposants kurdes, visite les bâtiments qu’occupaient encore récemment les agents du régime baassiste. Elle met la main sur des centaines de documents concernant les opérations meurtrières menées par le régime. Et poursuit jusqu’en 1997 sa quête contre l’oubli. Epuisée, elle finit par quitter Amnesty pour se reposer.

Pas longtemps, car en 2000 Human Right Watch lui propose de devenir chef de son bureau irakien. Elle repart à nouveau en Syrie et en Jordanie, à la rencontre des opposants de Saddam.

Début 2003, la guerre menace. Une nuit, Hania traverse le Tigre pour atteindre l’Irak et arrive finalement à Bagdad fin avril.
"Je n’ai vu que la version détruite de la ville... il flottait pourtant dans l’air un sentiment d’accélération de l’histoire, une impression incroyable de liberté. Mais très vite, après seulement deux ou trois jours, la situation a changé."

Hania Mufti adopte une position fort réservée sur l’occupation militaire de l’Irak. Mais lorsque l’administration américaine met en place un Tribunal Spécial Irakien (3 jours avant la capture de Saddam Hussein), elle propose aussitôt ses services et ceux de Human Right Watch.
Elle rencontre juges et magistrats, fraîchement adoubés par Washington et prépare ses dossiers afin de
nourrir le réquisitoire.

Elle recommande également la mise en place d’une cour de justice mixte, composée d’Irakiens et de spécialistes internationaux indiscutables et rappelle qu’une juridiction crédible doit respecter les droits des accusés.

Et là, elle se heurte à un mur : "Dès le début, ils (les Américains et les autorités irakiennes) avaient décidé que le procès serait organisé par eux, et par eux-seuls".
Un envoyé de George W Bush finit par lui cracher le morceau : "A Washington, ils ne veulent pas de toi dans la procédure. Ils ont peur que tu remettes en question tout le dossier des charges que nous essayons de mettre en place".

Avec Human Right Watch, elle n’est que la spectatrice du procès contre Saddam. Un procès qui "doit avoir lieu magré tout, malgré la précipitation... malgré cette cour qui ne semble pas en mesure de rendre une justice équitable."
Pourquoi alors ? "Parce que j’ai bien peur que pour beaucoup de victimes de la dictature, ce procès soit la seule forme de jugement qui leur sera jamais offerte."

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La suite a démontré sa clairvoyance avec la pendaison express
de Saddam Hussein, le 30 décembre 2006, condamné à mort pour la répression de Doujail en 1982.

Hania consacre désormais son temps à recenser les violations des droits de l’homme perpétrées par les troupes d’occupation, violences, tortures, sévices infligés aux prisonniers sunnites.

Elle veut rester la porte-parole de la souffrance irakienne, un objectif qu’elle s’est fixée voilà plus de vingt ans.

Source : Nicolas Bourcier - Le Monde 2 - 22 octobre 2005

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