Accueil > Hors statut, point de salut
Nous sommes identifiés par le milieu académique de la recherche comme 
"électrons libres de la recherche", "jeunes chercheurs" (quand bien même 
nous avons passé la trentaine, approchons la quarantaine ou la 
dépassons), plus communément chercheurs "hors statut" ou "en attente de 
titularisation". Autant de qualificatifs pour désigner une espèce de 
chercheurs sauvages en voie d’expansion, qui nous situent 
systématiquement sur les marges de la recherche.
Aujourd’hui nous sommes des chercheurs en situation de survie dans un 
système qui produit de la précarité et se garde sous le coude un vivier 
de ressources humaines et de forces vives de recherche scientifiquement 
reconnues mais non titularisées. Forces vives, actives et créatives, 
nous revendiquons notre droit de cité.
La précarité, on le sait, ne date pas d’hier. Un ample mouvement de 
solidarité a permis dans les années 70-80 de la résorber ponctuellement 
par une intégration massive des chercheurs hors-statut présents dans les 
laboratoires. Mais cette mesure n’a aucunement transformé le système de 
production et de reproduction de la précarité qui, faute d’avoir été 
remise en cause, ne cesse de s’accentuer.
La diversité de nos parcours crée une diversité des attentes qui toutes 
convergent vers une exigence commune : chercheurs nous sommes, et c’est 
en tant que tels que nous voulons être clairement reconnus. Jeunes ou 
moins jeunes, débutants ou confirmés, de quoi est fait notre quotidien ?
Enseigner à l’université (parfois sous un prête-nom, parfois en demi ou 
quart de poste) sans pouvoir bénéficier du chômage, ni de couverture 
sociale. Rappelons qu’enseigner à l’université, à titre de vacataire, 
impose d’avoir déjà un emploi principal (1000heures). Par conséquent, 
l’université ne donne du travail qu’à ceux qui en ont déjà (du moins 
officiellement).
Accepter les frais de mission en lieu et place de salaire ce qui nous 
prive de couverture sociale et de droits au chômage comme à la retraite, 
nous soustrayant ainsi au droit du travail.
Jongler entre les recherches contractuelles variablement rémunérées et 
les inscriptions à l’ANPE, Assedic, RMI, et autres aides sociales…
Cumuler un plein-temps de chercheur à titre bénévole et un travail 
alimentaire.
Aujourd’hui, les mesures et plans gouvernementaux qui se sont succédé 
pour aménager la recherche produisent cette aberration inacceptable au 
nom d’une supposée "excellence" qui ne dit pas ce qu’elle est. Alors 
même que le nombre de postes ne cesse de diminuer, on observe 
l’abaissement constant de la limite d’âge pour se présenter aux concours 
de recrutement. Or, comment concilier, en particulier dans les SHS, la 
nécessaire accumulation d’expérience et de capital culturel, avec cette 
inquiétante norme du jeunisme ? En outre, ces conditions d’âge sont 
avant tout l’instrument d’une sélection sociale puisqu’elles écartent 
les postulants chercheurs qui ont dû (et doivent) travailler pour 
financer leurs études sans pouvoir s’appuyer sur un quota de bourses 
d’études universitaires de plus en plus réduit.
A l’issu du diplôme de doctorat, nous sommes confrontés aux restrictions 
des conditions d’accès (par l’âge) aux bourses de recherche ainsi que de 
leur nombre et à la réduction du nombre de postes.
Il en résulte une dilatation du temps d’attente d’un poste, période 
durant laquelle le chercheur diplômé, désireux d’exercer son métier, est 
piégé. Il se retrouve face à une double nécessité : assumer à temps 
plein une activité de chercheur (recherche, publication, colloque…) sans 
en avoir ni les émoluments ni les privilèges tout en devant faire face 
au quotidien. Majoritairement docteur dans nos spécialités respectives, 
nous sommes ainsi devenus des experts de la "double vie". Certains 
d’entre nous parviennent, au coup par coup, à vivre décemment de bourses 
généralement étrangères, de recherches contractuelles. Dans ce cas, il 
n’en reste pas moins que les chercheurs non titulaires se retrouvent 
côte à côte avec les chercheurs titulaires lorsqu’il s’agit de répondre 
à des appels d’offres (ce qui nous oblige à réviser à la baisse nos 
budgets). Voici le singulier et inquiétant portrait du chercheur précaire.
Aujourd’hui, cette logique que nous dénonçons contamine le dernier pré 
carré de la recherche scientifique publique en touchant de plein fouet 
les sciences dites exactes. Il n’est pas trop tard pour réaliser que le 
problème ne se résoudra pas avec l’obtention de quelque 550 postes, et 
avec une simple restitution des budgets. Ce n’est pas en fermant les 
yeux sur notre existence ou en nous concoctant un statut de hors-statut 
ou en envisageant de nous affecter à des emplois périphériques que le 
problème sera résolu mais bien en ayant une vue panoramique du paysage 
de la recherche. C’est bien en prenant conscience que la précarisation 
de la recherche n’est pas une menace à venir mais une réalité déjà bien 
établie.
Quelles sont les perspectives du chercheur hors de la fonction publique 
dans l’impossibilité de recruter ceux qu’elle forme ? Faut-il que 
celle-ci accepte de se plier aux restrictions budgétaires ou choisisse 
le développement "durable" de toutes ses forces créatives ? Que nous 
souhaitions exercer nos compétences en dehors ou dans la fonction 
publique, nous demandons :
un état des lieux de la recherche précaire en France,
l’intégration dans les organismes de recherche de tous les chercheurs 
hors-statut qui en feront la demande.
Et nous exigeons :
la reconnaissance de notre identité professionnelle par la création d’un 
statut unifié de chercheur qui assure la garantie pérenne pour tous de 
la continuité des droits sociaux et des revenus et le libre accès aux 
outils de travail ;
un droit au travail, si et seulement si, il s’agit d’un travail de 
chercheur.
Mouvement Chercheurs Précaires,
Antenne parisienne, 23 avril 2004




