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ID : Cyberpunk !

Publie le mercredi 23 février 2005 par Open-Publishing
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de Marc Alpozzo

« Résister à la technologie en tant qu’outil de contrôle et d’abus ? Oui, bien sur, on doit être constamment en alerte et sur nos pieds. C’est important d’acquérir une connaissance sophistiquée de ces outils. Il n’est pas possible de simplement tourner le dos et ignorer, il faut apprendre à utiliser le Cyberspace, cet espace où nous sommes. Et si nous sommes concernés par la politique et les considérations sociales qui régissent ce monde, il faut agir au mieux dans cet espace ? C’est notre territoire, celui que nous devons assumer et dont nous devons préserver la liberté », R.U. Sirius, co-fondateur de Mondo 2000.

Le « cyberpunk », avant d’être un mouvement underground de pirates informatiques, est avant tout un mouvement littéraire, dont le pape est William Gibson. Le terme même de « CYBERPUNK » est la contraction des termes : « Cyber » qui désigne la « cybernétique », c’est-à-dire l’art de gouverner, et, de là, les nouvelles technologies associées notamment à l’informatique, et à l’Internet et ses réseaux virtuels, et « Punk » qui renvoie au célèbre mouvement de contre-culture de la fin des années 70, qui porte ce nom.

Certes, pour les punks de l’époque, les nouvelles technologies associées à l’informatique sont aliénantes : ces punks n’avaient aucun espoir dans le futur de l’humanité, d’où cette expression devenue depuis si célèbre : « No future ! » Leur « outil de communication » n’était autre que leur propre corps, qu’ils utilisaient de façon provocante. Et leur projet était à terme, l’autodestruction d’eux-mêmes ; une philosophie bien mise en lumière par cette réflexion de Tyler Durden dans Fight Club de Chuck Palahniuk : « Peut-être que l’amélioration de soi n’est pas la réponse. (...) Peut-être que la réponse, c’est l’autodestruction. »

Les cyberpunks en revanche, voient dans les nouvelles technologies une libération possible. Ils portent en celle-ci un espoir probable de transformation de la vie sociale.

Progressivement, le « cyberpunk » devient à la fois un mouvement littéraire et une contre-culture. Un mouvement de contre-culture, ou plus précisément de culture rebelle : rebelle contre l’establishment. L’establishment informatique, économique, et juridique entre autre... Les cyberpunks sont des gens qui cherchent à se libérer. Ce sont des idéalistes qui rêvent d’un monde meilleur.
Cette réflexion nourrit bien entendu la littérature cyberpunk. Un « sous-genre » littéraire pour l’académie des lettres, puisque le mouvement cyberpunk investit essentiellement le monde de la SF, un genre majeur pour les amateurs de science fiction. Une science-fiction qui se déroule à l’ère de l’urbanisme et des réseaux informatiques, ce qui est complètement nouveau dans la SF. Certes, il y eut déjà beaucoup d’auteurs du genre qui réfléchirent aux rôles de la machine, à sa compétition avec l’Homme, bien avant le mouvement cyberpunk, mais toutes les perspectives à la fois fascinantes et effrayantes ouvertes par les réseaux et les mondes virtuels, n’avaient pas été vraiment entrevues jusque là.

Fini les space-opera flamboyants, les extra-terrestres méchants et dangereux qui voulaient nous envahir, ou de toutes les mises en gardes écologistes contre les méfaits de la technologies ! Fini donc, l’âge d’or, souvent optimiste et naïf ! Les intrigues des livres de cyberpunk ne concernent plus l’exploration spatiale ou les luttes d’intérêts dépassant les millénaires, comme dans la SF traditionnelle. Car, pour le cyberpunk, l’avenir est déjà là !

Un avenir en forme de cité grise et rouillée en plein naufrage où la haute-technologie et les mondes virtuels côtoient une démocratie sur la brèche. Un avenir qui est en réalité notre vie réelle d’êtres humains, réel dans lequel nous sommes embarqués bien malgré nous, surnageants dans un monde de technologies ultra-avancées. Humains trop humains, plongés dans les technologies modernes, les intelligences artificielles, les nanotechnologies, les réseaux qu’il nous faut maîtriser pour leur survivre. Le premier roman du genre, Neuromancien de William Gibson, paru en 1984, en est la preuve vivante. Cette œuvre pionnière, qui fut aussitôt couronné d’un succès fulgurant et de tous les prix de SF tels, les prix Hugo, Nebula et Philip K.Dick, nous propose à la fois la panoplie habituelle de la SF, et y rajoute les technologies alors émergentes comme le réseau Internet et la réalité virtuelle. Mais ce qui est précisément marquant dans ce livre emblématique du cyberpunk, c’est l’univers dans lequel William Gibson fait évoluer ses personnages. Sur fond de mégalopoles en décrépitudes, il met en scène des corporations sans âme, des hackers au cerveau branché sur le silicium, des avatars paranoïaques et des intelligences artificielles psychologiquement perturbées.... Bref, un avant-goût du film culte de la fin des années 90 : Matrix.

Ce vaste mouvement de contre-culture dont les écrivains de science fiction « cyberpunk » sont bien sûr partie prenante, a vécu une évolution semblable à celle qui s’était produite au temps des « beatniks » : le terme avait désigné d’abord un groupe restreint d’écrivains, de poètes américains dont William Burroughs, qui est d’ailleurs très apprécié chez les cyberpunks, avant de devenir l’étiquette même d’un vaste mouvement juvénile de contre-culture. Même si, dans le cyberpunk, le mouvement dépasse largement le cercle de quelques jeunes « branchés », puisqu’on peut aussi trouver au sein du mouvement, des ingénieurs, des informaticiens, des musiciens, ou encore des plasticiens, tous fanatiques de prospectives et de nouvelles technologies.

D’où le cyber-activisme qui s’y raccroche. L’information peut devenir ainsi un élément de libération et on donne souvent en exemple les hackers, dont le modèle éthique est de rendre la technologie accessible à tous, en décentralisant l’information, ainsi qu’en créant des codes sources plus compréhensibles. Un « hack » est tout objet comportant un minimum de composants technologiques que l’on employait à un usage autre que celui prévu à l’origine. C’est d’ailleurs ainsi que se distingue le hacker d’autrefois, tentant de diffuser de l’information aux masses, de certains hackers modernes qui accumulent à leur seul profit des fichiers textes musicaux. L’hacker originel est un homme qui préfère « programmer plutôt que dormir », et qui, par la révolution de l’ordinateur personnel, libère l’Amérique.

Les cyber-activistes, c’est-à-dire les pirates informatiques ou hackers respectant l’éthique originelle, ne détruisent pas la technologie, ils la détournent en l’utilisant contre les représentations du pouvoir, que ce soit la police, les mega-entreprises, ou les medias, et en faisant circuler l’information. Ils ne pratiquent pas l’espionnage industriel : ils « libèrent » l’information pour lutter contre les abus de pouvoir de l’Etat ou des trusts industriels.
Pour eux, les nouvelles technologies sont libératrices et non pas asservissantes, car elles font circuler le savoir, et là est la clé de la liberté individuelle.

Parmi la « cyberpunkitude » française, bien évidemment, on retrouve Maurice G. Dantec. Avec un polar en forme d’ultimatum : Les Racines du Mal ! Beaucoup disent que c’est un polar-culte. J’atteste !

C’est en réalité, bien plus qu’un polar : véritable roman de SF, avant que Maurice G. Dantec ne plonge définitivement dans le genre, ses 636 pages sont une réelle entrée dans un vingt-et-unième siècle à la fois bouleversant et terrifiant. Et à la suite des Racines du mal, Villa Vortex, vient confirmer que Maurice G. Dantec est devenu un auteur culte d’une littérature cyberpunk ambitieuse, aussi efficace et solide que ses équivalents américains. Certes, le nihilisme politique et la ferveur métaphysique ont pris le pas sur l’intrigue ; certes Villa Vortex souffre de quelques longueurs, mais il n’est en rien le roman illisible, qualifié tel par certains. Roman-monstre, c’est un excellent livre mêlant avec force les recettes du roman noir et de la SF, doté d’un ton ultramoderne, et dont la moindre qualité est de jeter des ponts entre science, littérature, religion, philosophie et divers autres domaines du savoir.
A l’occasion du cinquantième anniversaire de la collection « Série Noire » des éditions Gallimard, Maurice G. Dantec signa alors, le premier texte du feuilleton du journal Le Monde, et cela s’appelait : Là où tombent les anges. Un texte marqué par l’influence de William Gibson. Une nouvelle à tendance cyberpunk que vous pouvez télécharger ici.

Bienvenue dans les ruines du futur. N’ayez pas peur !

Bibliographie indicative :

Gibson William, Neuromancien, J’ai lu.
Gibson William, Comte zéro, J’ai lu.
Gibson William, Mona Lisa s’éclate, J’ai lu.
John Brunner, Tous à Zanzibar, Le livre de poche
John Brunner, Le troupeau aveugle, Le livre de poche
Bruce Sterling, Mozart en verres miroirs, Folio SF
Maurice G. Dantec, Les racines du mal, Folio
Maurice G. Dantec, Villa Vortex, Folio SF

Liens utiles :

http://biblioweb.samizdat.net/article27.html

http://biblioweb.samizdat.net/article48.html#nh6

Le site de William Gibson : http://williamgibsonbooks.com/

Messages

  • Intéressant sauf en ce qui concerne Dantec, qui, d’après ce que j’ai compris, a beaucoup trop gobé depuis les Racines du Mal et la Sirène rouge, et aurait même eu des dérapages un peu extrêmes-droitiens...
    Mais hackons, mes frères, hackons avant que Big Bisou ne nous mange tous crus...
    Stella l’Interstellaire