Inquiétudes sur l’indépendance de l’Agence France-Presse

Pétition électronique pour l’indépendance et la survie de l’Agence France-Presse

de Caroline Stevan

L’Agence France-Presse craint pour son indépendance, du moins ses salariés. Le gouvernement a en effet sommé Pierre Louette, son PDG, de proposer un nouveau statut pour l’entreprise. Il a jusqu’à fin mars.

Pour l’heure, elle est un savant mélange de coopérative, d’établissement public et de société privée. "Le statut de 1957 a été intelligemment pensé, de manière à poser très fortement le principe d’indépendance rédactionnelle, note Pierre Louette. Le problème est qu’il n’a pas véritablement organisé de financement solide de l’agence.
Nous manquons de fonds propres."

L’AFP entend en effet "accompagner ses clients dans leur mutation numérique" et doit, pour cela, achever sa propre conversion. Mais produire davantage de vidéos ou de contenus multimédias a un coût.

"En tant que membre du conseil d’administration, l’Etat a demandé à Pierre Louette d’étudier une réforme du statut qui permette de pérenniser l’agence et d’assurer son développement. Nous attendons ses propositions avant d’adopter une position", admet-on à Matignon.

« Contrôle de l’information »

Plusieurs scénarios sont possibles, dont celui d’une ouverture du capital à des fonds privés. Les salariés, dès lors, redoutent un coup porté à l’indépendance de l’AFP. Une pétition en ligne a déjà réuni quelque 12000 signatures. « La société ne rapporte pas d’argent, les actionnaires charitables n’existent pas. Le seul enjeu sera le contrôle de l’information, argue Maria Carmona, déléguée de la Confédération générale du travail (CGT). Nous pouvons craindre une approche des industriels français comme (Francis) Bouygues ou (Vincent) Bolloré ; ils s’intéressent tous aux médias. »

Certains, même, s’inquiètent d’une tentative sarkozienne de mainmise sur l’AFP et ses millions de dépêches rédigées par 2200 salariés et des milliers de pigistes à destination de quelque 5000 clients à travers le monde. « Sarkozy est très attentif à ce qui se passe dans les médias. Considérant la réforme de l’audiovisuel public et la nomination du patron de France Télévisions par l’Elysée, on se dit qu’on est les prochains sur les listes », avance un employé.

Avec ses 40% d’abonnements, l’Etat français bénéficie pourtant déjà d’un moyen de pression considérable, or l’indépendance de l’AFP n’a jamais été sérieusement malmenée, dit-on à l’interne. « Certes, répond le journaliste. Mais intervenir directement serait trop grossier, tandis que sous couvert de questions financières ou de stratégies de développement, par le biais d’entreprises amies du pouvoir politique, cela devient plus facile et plus durable. Sarkozy ne sera pas toujours à l’Elysée. »

« Fantasme »

« L’indépendance est une exigence éthique mais également commerciale. Personne n’a en tête d’y porter atteinte, rétorque Pierre Louette. Ces accusations relèvent du fantasme. L’agence américaine AP est la propriété de 200 actionnaires privés et elle ne semble pas en souffrir. »

L’AFP figure dans le trio de tête des agences d’information, avec les anglophones AP et Reuters. Elle abreuve la plupart de nos médias et façonne largement notre vision du monde. Depuis cinq décennies, elle se veut une vitrine de la puissance française autant qu’un outil de la francophonie. Nicolas Sarkozy, sans doute, n’est pas prêt à revenir là-dessus. Le président de la République s’était plaint, toutefois, durant la campagne de 2007, d’une couverture des événements trop favorable à sa rivale Ségolène Royal. « Pour l’instant, les critiques, quand il y en a, viennent de tous les côtés. C’est bien la preuve de notre indépendance », note Maria Carmona. Une indépendance que les salariés sont prêts à défendre en allant jusqu’à la grève. Une vitrine française, donc.

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