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Interview Militant AntiPub

Publie le jeudi 9 mars 2006 par Open-Publishing

Bonjour, est-ce que tu peux te présenter en quelques mots ?

Euh... Je peux te dire que j’habite à Liège en Belgique, que je suis étudiant et que ça fait 2 à 3 ans que je participe à des actions antipub. Mais je préfère pas trop parler de moi.

Ok, alors, pourrais-tu me dire qui sont les antipubs en général ?

Je ne peux parler qu’en fonction de mon expérience particulière et des quelques dizaines de personnes avec lesquelles j’ai travaillé. Je dirais que ce sont des gens qui ont entre 16 et 40 ans, plus d’hommes que de femmes. La plupart ont un niveau d’enseignement supérieur. Et presque tous viennent d’un milieu urbain, même si certains veulent le quitter.

Mais il y a d’autres gens ou collectifs qui font le même genre d’actions... Et il y a aussi des graffeurs qui se mettent à utiliser les panneaux publicitaires pour leurs oeuvres... Et là, j’ai peu de contacts.

Commençons par une question très générale : pourquoi agissez-vous contre la publicité ?

Il y a de nombreuses raisons à cela. Certaines raisons sont spécifiques à des campagnes de pub qui peuvent être sexistes, culpabilisantes, insultantes ou particulièrement mensongères. Mais je crois qu’il y a 3 ou 4 caractéristiques générales de la pub qui nous rebutent.

La première qui me vient à l’esprit est la surconsommation prônée par la pub. Notre mode de consommation est catastrophique pour la planète et ses habitants, et la pub nous pousse à consommer toujours plus, sans prendre en compte le coût écologique et humain de cette consommation. A ce niveau, il me semble que la pub symbolise (et sert) très bien notre système économique : elle est la matérialisation de l’aveuglement des théories libérales dans le mythe de la croissance. Sur ce point, nous posons une question simple : comment une croissance infinie est-elle possible alors que les ressources de la terre sont finies ? Il est plus que temps de trouver d’autres modes de vie et de consommation plus respectueux de la planète.

Un autre point est l’omniprésence de la pub, que ce soit dans les médias, dans la rue ou même sur les gens eux-mêmes. Les pubs défigurent le paysage urbain, s’attaquent aux rares espaces verts qui nous restent. Il parait qu’on subit plus de 3.000 pubs par jour... Ca a inévitablement des effets sur nous, que ce soit une influence dans nos choix de consommation, ou dans notre attitude en général. Etre agressé en permanence par des flashs visuels ou audios nous incitant à acheter, c’est fatiguant et ça énerve. D’une certaine manière, ça empêche de communiquer, ça transforme l’espace public en espace marchand, on passe d’un lieu politique à un lieu d’aliénation, l’agora devient une courroie de transmission de la doxa libérale.

Sinon, il y a tout le conditionnement induit par la pub, qui nous dit que si on possède pas ça, si on ne ressemble pas à telle image, on est nul et ringard, on ne peut pas être heureux. La pub cherche à construire nos imaginaires, nos représentations de la société et nos valeurs. Et quelque soit notre rapport à la pub, aussi critique que l’on puisse être, on subit la pression de ces modèles et, à mon avis, on les intègre en partie. C’est un processus d’aliénation, de colonisation de notre esprit, qui nous touche tous.

Enfin, il y a un côté ludique dans ces actions. Ca fait du bien de s’exprimer, surtout dans des domaines comme la pub qui entretiennent une relation à sens unique, dans laquelle on n’a habituellement pas droit à la parole. Puis ça nous permet de développer notre créativité. Ca fait toujours plaisir que quelqu’un trouve un slogan qui détruit complètement le message délivré par la pub.

Tu parlais il y a un instant du « mythe de la croissance ». En France, le mouvement antipub est très développé et a beaucoup de liaisons avec des groupes à vocation écologique, notamment autour de la question de la décroissance. Est-ce que tu peux expliquer un peu plus en quoi consiste cette idée ?

On ne peut pas dire que je suis pas un spécialiste de la question. Je dirais que ça vient d’une prise de conscience que notre mode de vie va droit dans le mur au point de vue écologique. C’est un refus de participer au suicide collectif de la consommation, un refus qui est lié à une série de pratiques mises en oeuvre au quotidien. Par exemples : utiliser peu la voiture et l’utiliser de préférence avec des carburants alternatifs, consommmer des produits n’ayant pas fait 5.000 km pour arriver jusqu’à nous, construire des maisons autonomes au niveau de l’énergie, réduire la production de déchets,... Bref, chercher à atteindre un certain équilibre par rapport à notre environnement.

Quand tu énumères les motivations des militants antipubs, on voit tout de suite une très grande diversité dans ce mouvements et dans ses messages. Est-ce qu’on pourrait dire que l’antipub serait plus une nouvelle forme d’expression, une nouvelle méthode d’action de diverses sensibilités déjà présentes dans l’espace social qu’un nouveau courant de l’activisme politique ?

Je crois que c’est un peu des deux.

D’une part, il y a clairement des groupes qui font dans l’antipub « strict », c’est-à-dire qu’ils axent principalement leur discours sur la surconsommation et des thèmes touchant directement à la publicité. Il me semble que ces gens-là, parmi lesquels on retrouve les tenants de la décroissance, représentent un nouveau courant politique. Bon, il faut reconnaître que la décroissance va de pair avec une critique du libéralisme, et déborde donc souvent sur un engagement dans d’autres domaines. Mais il arrive aussi que certains "décroissants" éprouvent un rejet total de notre mode de vie, et y compris des mouvements qui cherchent à le transformer de l’intérieur.

Mais d’un autre côté, s’attaquer à la pub, c’est s’approprier un canal, une part d’espace urbain, à l’intérieur duquel le message peut être très varié. S’il est clair que par cette forme d’expression, il y a un positionnement par rapport à notre surconsommation, à l’aliénation publicitaire, etc, on voit aussi que certains s’en servent pour faire passer des messages touchant à d’autres questions politiques (il y a par exemple eu des appels à la grève ici à Liège, et je sais que l’idée a été évoquée chez les intermittents du spectacle en France).

Cette réappropriation de l’espace urbain qui est au coeur de votre démarche, comment la mettez-vous en oeuvre : concrètement, comment procédez-vous ? Comment se passent vos actions ?

Il y a différentes possibilités d’action.

La plus pratiquée (et la plus simple) consiste à acheter quelques bombes de peinture et à se lancer sur les grands panneaux ou les "sucettes" (c’est-à-dire les panneaux de 1,7m sur 1,2m qui se trouvent dans les arrêts de bus).

Il y a moyen de s’attaquer aux énormes pubs qui recouvrent des façades (lorsqu’il y a des travaux) en montant sur les échafaudages. Ces pubs sont faites d’une sorte de tissu-plastique qui se déchire facilement au couteau. L’ennui c’est la durée assez longue de l’opération. La solution est soit de déchirer la pub de manière barbare et de se barrer, soit de prédécouper toutes les lettres en laissant intact les 4 coins de chaque morceau, ainsi il ne reste qu’à couper les coins, ce qui réduit considérablement le temps de visibilité des activistes, et donc le risque qu’ils prennent.

On peut aussi s’attaquer aux sucettes en remplaçant directement l’affiche dans la pub. En fait le modèle de sucette le plus récent et le plus répandu peut être ouvert en utilisant des clés allene de 6mm avec un trou de 3mm au milieu. C’est un peu compliqué de produire des clés percées, mais une fois qu’on les a, il suffit de 5 secondes pour introduire la clé dans la serrure et ouvrir la pub.

Dernier type d’action, pas encore mis en oeuvre à Liège pour ce que j’en sais : la destruction pure et simple de la pub.

Dans tous les cas, il vaut mieux être prudent, on place des guetteurs, on prévoit par où filer en douce, etc. Parce que même si on fait 15 actions sans problème, on finit toujours par avoir des contacts avec la police. Ceci dit, les 4 ou 5 fois où des policiers nous sont tombé dessus, ils ne nous ont jamais attrapés.

Justement, à ce sujet, ne craignez-vous pas des poursuites judiciaires ?

Oui évidemment, aucun d’entre nous n’a envie de devoir payer des milliers d’euros d’amende ou d’avoir une condamnation dans son casier judiciaire, particulièrement les gens ayant besoin d’un certificat de bonne vie et moeurs pour pouvoir travailler. Mais c’est un risque que nous acceptons de prendre, parce que nous pensons que les questions que nous soulevons sont importantes.

Cela dit, je crois que les antipubs suscitent une certaine sympathie chez pas mal de gens, qui seraient prêts à nous aider financièrement si besoin était. Par exemple en France, plusieurs militants antipub ont été condamné à une grosse amende (plus de 10.000 euros), ils affirmaient leur droit à s’opposer à l’omniprésence de la pub et revendiquaient donc de nombreuses actions. Une campagne de solidarité a été lancée, et elle a permis de payer l’intégralité de l’amende et de financer d’autres actions.

Par ailleurs, je ne pense pas que les sociétés publicitaires aient réellement intérêt à attaquer en justice et à médiatiser cette problématique. La publicité ça marche tant que personne n’y pense, quand on commence à en parler, à s’interroger dessus, l’efficacité diminue et les critiques augmentent. Toujours en France, Decaux et consorts ont choisit l’attaque frontale, ça a entraîné des débats dans les médias, sur le net, et maintenant, d’après les instituts de sondage, une majorité de Français se déclare publiphobe. C’est peut-être notre chance...

Mais qu’est-ce qui attire des militants à s’emparer de ce médium ? Est-ce que c’est une méthode efficace pour interpeller les gens, pour faire passer un message, comme tu sembles le dire ? Car, il faut souligner que les panneaux sont souvent nettoyés rapidement... Les messages sont souvent difficile à comprendre et on peut douter que les personnes non sensibilisées aux questions que vous soulevez voient dans vos joyeux peinturlurages autre chose que du vandalisme ?

C’est normal que certaines personnes voient ça comme du vandalisme, dans la mesure où d’un point de vue légal ça en est.. Mais je ne considère pas nos actions comme du vandalisme gratuit, ce serait plutôt de la désobéissance civile. Nous ce qu’on revendique c’est notre droit à s’insurger contre le système publicitaire, ses méthodes et ses messages.. Le respect de l’ordre ne peut avoir de sens que si l’ordre nous respecte. Et on en est loin en ce qui concerne l’ordre publicitaire.

Maintenant ça me semble indubitable que ces actions ont une certaine efficacité : je crois que toute action, à partir du moment où elle a lieu, a une influence. Il se passe quelque chose qui fait partie de notre monde, qui crée des réactions. Les réactions sont différentes. Pour certains ce sera de l’énervement. Mais pour d’autres, ça peut amener un questionnement. Je pense particulièrement aux enfants, qui sont une des cibles privilégiées de la pub et dont le sens critique est en formation ; et puis, pour les gens qui sont convaincus des nuisances causées par la pub, ça leur met un peu de baume au coeur... et ça peut pousser certains d’entre eux à passer à l’action.

Oui, mais qu’en est-il de l’ampleur réelle du mouvement suscité chez les gens et de la direction de ton action ?

Vu qu’ici en Belgique, on ne fait pas de sondage pour savoir ce que "tout le monde" pense de la pub, je peux pas dire grand chose à ce sujet.. J’ai juste quelques échos autour de moi.

Pour ce qui est de la « direction de mon action », je ne travaille pas pour la révolution ou le grand soir, ni pour que les politiciens récupèrent le truc pour faire des voix, en fait j’en ai rien à foutre de l’efficacité politicienne de mon action. Enfin, ce serait bien que certaines lois soient votées (comme l’interdiction des pubs pour enfants à la TV, en vigueur dans d’autres pays), mais c’est pas en taggant des pubs que ça arrivera. Y a d’autres personnes avec d’autres méthodes qui font pression à ce niveau-là. Moi ce qui m’interesse ce serait plutôt l’effet micro, local. Comme je le disais, si quand on fait une action, y a 5 personnes qui réfléchissent un peu à la pub et que ça met un sourire sur les lèvres de 50 autres, ça me suffit.

Justement que penses-tu de la mouvance antipub « légale » ? Celle qui préfère agir par des moyens comme des pétitions, la publication d’info (revues, sites web,..), l’organisation d’action de protestation,... ?

Je trouve ça très bien. Il m’arrive parfois de participer à des actions légales, de sensibilisation. Je crois que ce sont 2 aspects complémentaires de l’antipub.

Je pense que les actions « hardcore » interpellent plus, elles créent un contexte, mais elles sont plus limitées en terme d’impact « profond » sur les gens, qu’une conférence ou qu’une discussion autour d’un tract par exemple. Ceci dit, je crois que les actions de remplacement des pubs dans les abribus (assez rares hélas) sont les actions les plus efficaces, en raison du nombre de personnes touchées, de la disponibilité des gens et des possibilités de développement du discours (on peut mettre 10 pages de texte si l’envie nous prend).

Quant aux actions comme les pétitions, les « séances » de tractage ou les conférences, elles permettent de se faire une idée de la progression des idées que nous défendons et de leur impact auprès du public, et permettent de meilleurs contacts avec les gens. Elles ont aussi un rôle plus classique de moyen de pression sur le monde politique.

Bien, nous allons en rester là. Merci, et bon vent à toi.