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Interview de GI’s en Irak : « J’appuyais juste sur la gâchette... »
Publie le dimanche 23 mai 2004 par Open-PublishingA première vue, on dirait l’achétype de la Bande de Frères du mythe hollywoodien, des types braves et honnêtes unis dans une cause commune.
Mais un regard plus attentif sur ces G.I.’s en train de suffoquer dans la chaleur d’un Irak inhospitalier, révèle des yeux glacés et des expressions de ceux qui ont été témoins d’une guerre qu’ils ne comprennent pas et contre laquelle ils ont commencé à éprouver du ressentiment.
De leur propre aveu, ces soldats américains ont tué des civils sans hésitation, achevé des combattants blessés. et laissé d’autres agoniser.
Ce qu’ils m’ont raconté, dans une série d’interviews extraordinaires, sera une lecture pénible pour les politiciens US et britanniques, et pour les staff de haut-gradés, désespérés d’éviter que la libération de l’Irak ne tourne en un bourbier de proportion comparable au Vietnam, où le comportement des troupes alimente la haine du peuple occupé.
Le sergent de 1e classe John Meadows révèle l’état-d’esprit qui a conduit à ce que des centaines de civils Irakiens innocents à être tués à côté de combattants délibérément habillés en civils. "Vous ne pouvez distinguer entre ceux qui essayent de vous tuer et les autres." dit-il "La seule manière de passer à travers une pareille merde était de se concentrer sur le fait de passer à travers en tuant le plus de gens que vous pouvIez, des gens que vous savIez essayer de vous tuer. Les tuer d’abord et retourner chez soi".
Ces G.I.’s, de la compagnie Bravo de la 3/15e division d’infanterie US, sont pris dans une situation impossible. Plus de 40 d’entre eux ont été tués par des forces hostiles depuis le 1er mai - lorsque le président Bush a déclaré que les opérations militaires majeures étaient finies - et le nombre d’attaques où l’on ’frappe et s’enfuit’ va en s’accroissant. Ils font face à une population civile pleine de ressentiment, et, caché parmi elle, un nombre de combattants de guérilla toujours loyaux à l’ancien régime. [...]
Dans cette atmosphère hostile, on demande aux hommes de la compagnie Bravo de maintenir l’ordre, mais en même temps de gagner les coeurs et les esprits. Ils ne se sentent pas capables de résoudre ce dilemme. Ils m’ont parlé, habillés dans les uniformes qu’ils portent depuis 6 mois, à leur base de Fallujah. Ici, les troupes US ont tué 18 manifestants lors d’un rassemblement pro-Saddam quelques jours après la guerre et maintenant ils font face aux combattant locaux qui brûlent de se venger.
Leur attitude face à ces dangers est résumée par le ’Spécialiste’ (Caporal), Michael Richardson, 22 ans : Il n’y avait pas de dilemme lorsqu’il y avait à abattre des gens qui ne portaient pas d’uniforme, j’appuyais seulement sur la gâchette. C’était presque tout le temps un corps à corps. Si ils étaient là, c’était des ennemis, qu’ils soient en uniforme ou non. Certains l’étaient, d’autres non"
Le Spécialiste Anthony Castillo ajoute : "Lorsqu’il y avait des civils là, nous faisions la mission que nous avions à faire. Lorsqu’ils étaient là, ils étaient au mauvais endroit, donc ils étaient considéré comme ennemis" Dans une bataille majeure, à la périphérie sud de Bagdad à l’intersection des principales autoroutes, les soldats estiment que 70% des + ou - 400 combattants ennemis étaient habillés en civil.
Le sergent Meadows explique : "Le combat a duré à peu près 8 heures, et ils ont continué à arriver toute la journée de partout, de tout côté. Ils étaient tous en civil"
Nous avions lancé des tracts quelques jours avant, disent aux gens de s’en aller de la zone si ils ne voulaient pas se battre, donc fondamentalement, quiconque était là était un combattant. S’ils étaient assez stupides pour se tenir devant des tanks, ou pour conduire une voiture en direction d’un tank, alors ils étaient là pour se battre. A partir de ce jour-là, je me suis débarassé du dilemme de sur qui tirer, toute personne qui était là était un combattant".
Le caporal Richardson ajoute : "Ce jour-là, rien n’était comme à l’entraînement. Il y avait des femmes qui se battaient ; il y en avait qui, quand il vous voyaient arriver, laissaient seulement tomber leur merde et essayaient d’abandonner ; et certains étaient abattus et faisaient semblant d’être mort, et quand vous vous approchiez d’eux, ils se précipitaient sur leurs armes. Ce jour là, c’était juste le bordel complet. Lorsque nous étions en face d’une femme, ou d’un blessé qui essayait encore de saisir son arme, on l’achevait. Vous n’avez pas le choix."
Leur niveau de haine est tel qu’ils préfèrent tuer plutôt que simplement blesser. Le sergent Meadows, 34 ans, dit : "La pire chose est de tirer sur l’un d’eux, puis d’aller l’aider.". Le sergent Adrian Pedro Quinones, 26 ans, éclate : "Dans cette situation vous êtes furieux, vous êtes en rage. Ils viennent juste de tirer contre mes hommes, ils étaient en train de mettre mes gars dans un cercueil et 8 pied sous terre, c’est ça qu’ils étaient en train de faire".
"Et maintenant ils sont couchés là et vous devez les aider, j’ai la responsabilité d’assurer que mes hommes les aident". Le caporal Richardson dit : "Merde, je n’ai aidé aucun d’entre eux, je n’aiderait pas ces salopards. Il y avait certains que vous laissiez mourir. Et il y avait certains auxquels vous donniez un coup de grâce"
Il tient sa main comme s’il était en train de tirer, et fait claquer sa langue deux fois. Il dit "Une fois que vous avez atteint l’objectif, et une fois que vous avez tiré dessus et que vous êtes en train de vous déplacer à travers tout, vous tirez encore. Vous ne voulez aucun prisonniers de guerre. Vous les haïssez tant pendant que vous vous battez, et vous êtes tellement terrifié, vous ne pouvez pas réellement transmettre cette sensation, mais vous ne voulez pas qu’ils vivent."
Ces soldats ont été face à des combattants d’autres pays arabes. "Ce n’était même pas des Irakiens qqu’on tuait, c’était des Syriens", dit le sergent Meadows. "Nous avons parlé à quelques personnes, et Saddam avait lancé un appel à ses frères arabes pour une guerre sainte contre nous, et ils disent qu’ils sont venus ici pour nous combattre. Qu’est-ce que nous leur avons fait ?"
Le caporal Richardson intervient :"Merde, ça n’a pas vraiment d’importance qui ils étaient. Ils voulaient nous combattre, donc c’était l’ennemi. Nous avions à nous emparer de Bagdad, point, ça n’a pas d’importance qui y était".
Les G.I.’s parlent du mitraillage de civils aux barrages routiers. Le sergent Meadows dit : "Lorsqu’ils utilisaient des drapeaux blancs, on nous avait dit de les stopper à 400m puis de les mettre nus, et puis de les faire traverser. La plupart ont obéi aux ordres. Nous avions entendus parlé d’autres qui avaient eu des problèmes avec des Irakiens qui portaient des drapeaux blancs et puis qui ont ouvert le feu sur nos gars. Nous connaissions tous les trucs qu’ils essayaient de faire. Alors ils ont utilisé des voitures pour essayer de les lancer sur nous. C’était des hommes, des femmes et des enfants. Ce jours là, nous avons abattus plein de véhicules.
"Nous faisions des tirs de sommation, et ils continuaient à avancer, alors on les tuait. Nous faisions le tir de sommation au-dessus d’eux, ou sur la route. Lorsque les gens nous critiquent de tuer des civils, ils ne savent pas que beaucoup de ces civils étaient des combattants, ils l’étaient réellement. Et ils le sont toujours."
Les hommes ont été traumatisés par leurs expériences. Le caporal Richardson dit : "Pendant la nuit, vous pensez à tous les gens que vous avez tués. Ca ne sort jamais de votre tête, rien de ce truc n’en sort. Il n’y a aucune chance de l’oublier, nous sommes toujours ici, nous sommes ici depuis si longtemps. La plupart sont partis après les combats, mais pas nous."
Le sergent Meadows dit que des hommes sous son commandement ont cherché de l’aide pour dépression sévère : "Ils ont déjà consulté des psychiatres, et la chaîne de commandement a intercepté des lettres de réponse, disant que ’ces hommes ont besoin d’être sortis de cette situation’. Mais rien ne s’est passé". Le caporal Richardson ajoute : "Certains soldats n’arrivent même plus à dormir la nuit. Ils restent assis toute la nuit à faire de la "merde" pour se tenir occupé, pour garder leurs esprits hors de ce fichu bordel. C’est la seule manière pour eux de gérer cela. Ils ne sont pas loin de devenir fou, mais c’est leur manière de faire face. Il y a un gars qui essaye de construire une petite piscine, un truc qui ne rime à rien, mais ça le tient occupé."
Le sergent Meadows dit : "Pour moi, c’est comme des instantanés. Comme les images d’asticots sur les langues, les bébés avec leur têtes sur le sol, les hommes avec leur têtes à moitié arrachée et leurs yeux grand ouverts, et leur bouche grande ouverte. Je vois cela chaque jour. L’odeur des torses en train de brûler, la route entière jusqu’à Bagdad, du 20 mars au 7 avril, rien que des corps brûlés."
Le spécialiste Brian Barnhart, 21 ans, ajoute : "J’ai aussi des images comme des instantanés dans ma tête. Il y a des corps que nous avons vus lorsque nous sommes retournés pour sécuriser une place que nous avions prise. Les corps étaient toujours là, et ils avaient cuit au soleil. Les corps avaient enflé jusqu’à 3 fois."
Le sergent Quinones explique : "Il y a des psychiatres qui essayent de démêler leurs problèmes, mais ils disent que c’est à cause d’un environnement de combat prolongé. Ils savent qu’ils ont besoin d’être retirés de cet environnement." Mais la période de service du groupe a été allongée, et les hommes ont été forcés de rester comme peacekeepers. Le caporal Richardson dit : "Maintenant nous sommes dans ce maintien de la paix, nous tirons toujours un coup de semonce pour les gens qui ne veulent pas vous entendre. Vous inventez les lois au fur et à mesure"
"C’est comme à Falluja, nous avons reçu des pierres jetés par des gamins. Vous voulez vous retourner et abattre un de ces petits salauds, mais vous savez que vous ne pouvez pas faire cela. Les parents savent que si eux venaient et nous jetaient des pierres, nous les abattrions. Donc c’est pourquoi ils envoient les gosses". Le sergent Meadows : "Est-ce que vous pouvez vous imaginer être un soldat et qu’on vous a dit : ’vous faites la guerre et quand vous avez fini, vous pourrez rentrer à la maison’"
"Vous y allez et vous faites cette guerre, et vous gagnez de manière décisive, mais maintenant vous devez rester et stabiliser la situation. Nous devons passer en une nuit d’un état d’esprit complètement orienté pour faire la guerre, à un état d’esprit de maintien de la paix. Juste après avoir abattu les gens qui essayaient de vous tuer, vous devez maintenant les aider"
La colère envers leurs supérieurs est évidente. Le caporal Richardson dit "Nous n’étions pas entraînés pour cette chose. Ca nous remplit de ressentiment, le fait qu’ils nous maintiennent ici. [...?] On nous avait dit qu’une fois la guerre finie, on quitterait lorsque les remplaçants seraient arrivés. Et bien, nos remplaçants sont arrivés et nous sommes toujours ici."
Le Spécialiste Castillo dit : "Nous sommes plus fâchés contre les généraux qui ont pris cette décisions et qui n’ont jamais touché le sol, et qui n’ont pas de coup de feu contre eux ou qui n’ont pas à voir les corps ensanglantés et les corps carbonisés, et les bébés morts et tout ce genre de choses". Le sergent Quinones ajoute : "La plupart de ces soldats ont autour de vingt ans. Ils ont vu en moins d’un mois plus que tout homme ne devrait voir dans toute sa vie. Il est temps pour nous de rentrer."
Sur la question de savoir si cette guerre valait la peine d’être faite, le sergent Meadows dit "Je m’en fous de l’Irak d’une manière ou d’une autre. Je ne pourrais pas m’en foutre plus. Saddam pourrait toujours être au pouvoir et, pour moi, cela ne valait pas la peine de quitter ma famille pour lui ; pour qu’on vous tire dessus et que vous risquez de mourir deux ou trois fois, il n’y a rien qui vaille la peine de cela pour moi." Même si aucun Irakien n’est impliqué, et qu’il n’y a aucune preuve que Saddam était derrière cela, l’attaque sur le World Trade Center fournit au caporal Richardson et à beaucoup d’autres la justification d’envahir l’Irak.
"Il y a une image du World Trade Center suspendue au dessus de mon lit, et j’en garde une dans mon Kevlar. Chaque fois que j’éprouve de la compassion pour ces gens, je la regarde. Je pense ’Ils nous ont frappés chez nous et, maintenant, c’est à notre tour.’ Je ne veux pas dire rendre la monnaie de la pièce, mais, vous savez, c’est assez bien cela"