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Interview de Maître Sanguinetti, avocate des chômeurs recalculés de Marseille

Publie le mardi 4 mai 2004 par Open-Publishing

Interview de Maître Sanguinetti, avocate des chômeurs recalculés de
Marseille : retour sur la décision du TGI de Marseille du 15 avril 2004.

1- Pouvez-vous présenter rapidement votre formation et parcours professionnel ?

Je suis avocate depuis 1977, cela fait donc 26 ans. J’ai toujours été spécialisée en droit du
travail bien que je n’ai pas de formation en la matière. A l’époque où j’ai fait mes études, il
n’était pas nécessaire d’avoir un 3ème cycle comme aujourd’hui. Ma connaissance de la matière vient de
l’expérience. J’ai commencé dans un cabinet dans lequel je m’occupais de la défense des salariés.
J’y suis restée pendant quinze ans puis me suis installée à mon compte dans une structure qui
comprend trois collaborateurs dont une spécialisée également en droit social. (Cabinet Sanguinetti, 58
rue Saint Ferréol, 13001 Marseille. Tel : 04 96 11 13 40 )
Je travaille notamment avec les comités de chômeurs. J’ai toujours connu Charles Hoareau, le
représentant des comités de chômeurs de Marseille et nous avons toujours traité des affaires ensemble.

2- Avant que je vous interroge sur le fond de l’affaire proprement dit, pouvez-vous me dire ce qui
vous a motivée dans cette affaire ?

Ma motivation a été essentiellement humaine. J’avais envie d’aider des gens que je trouvais dans
une situation injuste. Cela n’a rien à voir avec le côté politique de l’affaire. D’ailleurs, j’ai
toujours refusé -bien qu’on me l’ai proposé à plusieurs reprise- de prendre la carte d’un parti
politique. Mon désir est de rester neutre et loin de toute pression afin d’exercer mon métier en
toute indépendance Ce n’est pas non plus l’aspect pécuniaire bien que cette profession me permette de
gagner ma vie.

3- Quels sont les principaux axes de votre argumentaire ?

 Tout d’abord j’ai utilisé un argument historique. En effet, nous avons expliqué au juge que ce
n’était pas la première fois que nous venions contester le PARE. En 2000 déjà, je soutenais
d’autres chômeurs qui refusaient de signer le document du PARE (Plan d’Aide au Retour à l’Emploi). A
l’époque, nous avons perdu la procédure. Mais nous avons utilisé cette décision pour le cas des
recalculés de l’UNEDIC et avons rappelé ce que nous avait dit le juge à l’époque à savoir : qu’il
fallait appliquer le droit du travail et donc signer le PARE mais qu’en cas de problème d’exécution,
nous ; pourrions saisir le tribunal de grande instance qui serait alors chargé de régler le litige.

 Mon deuxième axe d’argumentation est celui de la contractualisation du PARE. Je me suis tout
simplement basée sur l’article 1147 du code civil qui dispose qu’en cas d’inexécution d’une
obligation contractuelle, le débiteur est condamné à verser des dommages-intérêts.

Or, en signant le PARE et le PAP (plan d’action personnalisé), les chômeurs se sont engagés dans
un véritable contrat les liant à l’ANPE et aux ASSEDIC. Ce qui est intéressant c’est que nous avons
en fait utilisé les arguments du patronat de l’époque lors de la mise en place du PARE. Nous avons
demandé l’application par l’UNEDIC d’obligations qu’elle a elle même créées. En effet, l’article 2
de la convention parle de la nécessité de contractualiser les rapports entre les chômeurs et les
organismes en charge de l’assurance-chômage. Il y avait une volonté de responsabiliser les chômeurs
en tant que sujet de droit, ce que je trouve très bien dans l’idée. L’intérêt c’est que nous
sommes allés sur leur terrain.

Par ailleurs, il y avait eu à l’époque de la mise en place du PARE de fortes discussions
auxquelles j’avais participé. Or, un professeur de droit avait annoncé que le principal problème qui se
poserait au sujet du PARE serait précisément la question de savoir s’il s’agissait ou non d’un
contrat.

 Le troisième argument découle du second en ce sens que, du fait qu’il s’agit d’un contrat,
celui-ci ne peut être remis en cause de façon rétroactive. Il semble étonnant, en effet, que l’on
veuille appliquer des dispositions postérieures à la conclusion d’un contrat en ne respectant pas
l’obligation d’information du co-contractant, bien qu’il s’agisse d’un accord particulier comme celui
de l’UNEDIC.

4-Etes-vous satisfaite du résultat obtenu ?

> Rétablissement des droits à compter du 1er janvier 2004 (sous astreinte de 500 euros / jour de
retard pour chaque demandeur dans les 20 jours de la signification)
> 1000 euros pour le préjudice moral
> 35/37 chômeurs ont obtenu gain de cause, pourquoi ?

Les demandes essentielles ont été accueillies. En effet, le plus important était bien évidemment
le rétablissement des droits à indemnités de chômage à compter du 1er janvier 2004. Le fait qu’ils
aient également obtenu 1000 euros pour le préjudice moral était un plus dont je suis satisfaite.
Je suis donc globalement très contente du résultat obtenu.

Cependant, certains points restent en suspens :

Tout d’abord, sur les 37 chômeurs que je défendais, 35 ont obtenu gain de cause. J’ai donc fait
appel pour les deux femmes dont la demande n’a pas été accueillie. Le juge a considéré que leur
droit à indemnités était éteint au moment où la nouvelle convention est entrée en application, le 1er
janvier 2004. Je vais démontrer qu’en fait il y a eu interruption des périodes de chômage et que
ces personnes n’avaient pas épuisé leurs droits à indemnités. Nous avons agi au cas par cas pour
chacun de ces chômeurs dans le cadre de leur contrat Les défendeurs, au contraire, n’ont pas tenu
compte des cas particuliers.

Par ailleurs, le juge n’a pas retenu l’obligation d’information de l’ASSEDIC à propos de cette
suppression des droits à l’assurance chômage. Il y a eu à ce sujet un phénomène troublant en cours
d’instance puisque les ASSEDIC ont produit un document qui avait selon eux été adressé à un
allocataire et qui indiquait que les droits à indemnités allaient être supprimés alors que nous avions
dans le dossier un document produit par mes clients qui indiquait seulement que les droits allaient
être revus…

5- Souhaitez-vous que la convention UNEDIC du 20 décembre 2002 soit annulée ? Pour quelles raisons
 ? Pensez-vous qu’elle le sera ?

Je souhaite bien sûr que la convention UNEDIC de 2002 soit annulée. En effet, une telle annulation
s’inscrirait dans la logique de notre demande. AC chômage a entamé une procédure et attaque la
convention pour vice de forme reprochant la façon dont le gouvernement a agréé cette convention. La
procédure est très importante en droit administratif et un texte qui n’a pas été adopté selon la
bonne procédure s’en trouve fragilisé.
Pour ma part, je souhaiterais que la convention soit annulée pour son contenu.

A priori, il y a des chances pour qu’elle le soit puisqu’il semble que tout cela ait été pris en
compte ; ils en ont préparé une nouvelle. De toute façon, si cette convention est annulée, il
faudra renégocier.

6- Qu’attendez-vous de l’appel ?

La confirmation de la décision du TGI, bien sûr. J’appréhende beaucoup plus que pour le premier
degré, car je ne voudrais pas que le résultat soit remis en question.

7- Avez-vous envie d’ajouter quelques mots pour conclure ?

Je voudrais simplement dire que cette affaire a fait l’objet d’un formidable mouvement de
solidarité. Chacun s’est révolté contre une situation jugée injuste. Ce qui a été extrêmement positif,
c’est que la dimension humaine a primé et a dépassé les clivages politiques habituels puisque des
personnes de tout bord ont été scandalisées par cette situation et se sont mobilisées. Je tiens à
souligner également le courage dont ont fait preuve les magistrats malgré la pression politique et
financière qui pesait sur eux. Ils n’ont pas reculé.

8- Pensez-vous que les autres tribunaux saisis un peu partout en France s’aligneront sur la
décision du tribunal de Marseille ?

Je ne sais pas ce qu’ils feront, mais ce que je peux dire c’est que l’argumentation développée par
les chômeurs est juridiquement défendable.

Propos recueillis par Agnès Desfontaines

http://www.village-justice.com/cgi-bin/news/viewnews.cgi?category=all&id=1083670985