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Iraq : Les enfants sont sous-alimentés par Denis J. Halliday*

Publie le jeudi 28 février 2008 par Open-Publishing

Horizons et débats no 5, 4 février 2008

On raconte que les enfants de réfugiés irakiens en Syrie souffrent de sous-alimentation – ils vivent de tartines de pain sucrées – l’argent qu’ils avaient amené de chez eux étant épuisé depuis longtemps, ces gens n’ont pas de emploi en vue et leurs visas sont périmés. Une nouvelle fois, la prétendue communauté internationale abandonne le peuple irakien. De nouveau, notre négligence amène les enfants de l’Irak à la sous-alimentation – d’abord sous les sanctions des Nations Unies et maintenant, comme conséquence de l’invasion américano-britannique et de l’occupation qui a entraîné des millions de réfugiés.

La souffrance des réfugiés exige l’attention internationale

La souffrance atroce des réfugiés irakiens expulsés de leur patrie et désignés maintenant comme des personnes déplacées à l’intérieur du pays (Internally Displaced Persons, IDPs), exige notre attention et notre intervention. L’expulsion tragique d’êtres humains s’est produite en infraction délibérée de la Charte de l’ONU et du droit international. La préméditation était déjà clairement annoncée avec la terreur du bombardement américain : Le bombardement « shock and awe » (choc et peur) a été suivi par l’invasion contre la souveraineté, la destruction d’une ancienne culture et de l’infrastructure civile. D’irréparables dommages ont été infligés à la société et aux droits de l’homme fondamentaux. Cet acte d’agression sans précédent et sans fondement a apporté à l’Irak une nouvelle fois les horreurs de la guerre. La frappe préemptive de Bush et Blair a causé la mort de centaines de milliers de civils innocents, comme on peut le lire dans le Report de la John Hopkins School dans Lancet.

Pendant l’occupation, les atrocités américano-britanniques avec des bombes à sous-munitions, des blockbusters (des mines aériennes pour briser des bâtiments), l’utilisation de l’uranium appauvri et des M85 (fusil à munitions de grand calibre) n’ont été que trop bien connus. Environ 250 000 « héros » américains, ensemble avec 100 000 mercenaires, ont tué et mutilé des civils. Des « dommages collatéraux », c’est l’expression obscène utilisée à Washington. Cette guerre illégale a mis en route la violence terrible de la résistance légitime. La propagande américaine a délibérément mis en route l’horreur de la querelle de la division. Le souhait américain et britannique de briser l’Irak, ses habitants et toute « menace » qu’ils semblent représenter – s’est accompli de manière tragique.

Les conséquences sont vastes et, comme il est coutumier dans l’histoire moderne de l’Irak, ce sont les habitants qui en ont payé le prix de leur vie.

L’impérialisme, le pouvoir, la convoitise immodérée pour le pétrole et une situation militaire avantageuse ont détruit l’Irak sous nos yeux. Mais bien sûr, l’esprit du peuple irakien est indestructible. Les Irakiens ne peuvent être rompus. Ils résisteront et finalement ils mettront tous les intrus dehors. Ils s’en remettront aussi. Le peuple irakien surmontera la catastrophe de ces dernières années.

Et de nouveau ce sont les femmes et les enfants qui payent le prix fort …

Aux pertes massives concernant la vie civile s’ajoute la conséquence tragique de la misère des réfugiés. On estime que ce sont dans les 4,7 millions d’enfants, de femmes et ­d’hommes qui ont été chassés de leurs maisons et qui sont en fuite – les uns à l’intérieur, les autres à l’extérieur de l’Irak. Cela signifie que plus de 20 % de la population entière a été déracinée de manière brutale par la violence de cette guerre d’agression – un crime de guerre pour lequel on devra demander les comptes aux Etats-Unis, à la Grande Bretagne et aux autres Etats également responsables.

J’ai appris que les deux tiers des expatriés, des déracinés et des appauvris sont des femmes – tout comme lors des sanctions, c’étaient les femmes et leurs enfants qui ont payé le prix fort. Nous entendons parler de « prostitution pour la survie » à Damas. Nous avons connaissance des souffrances, des privations et de l’humiliation dans les conditions terribles du statut d’apatride dont les femmes souffrent – être des réfugiés et en même temps devoir lutter pour rassembler les familles et pour leur survie. Nous avons également connaissance de la sous-alimentation des enfants.

… comme pendant les sanctions contre les enfants

Nous ne devons pas non plus oublier, que ces réfugiés irakiens ont d’abord été générés en treize ans de sanctions génocidaires de l’ONU – des sanctions ciblées contre les enfants de l’Irak, mises en marche et soutenues par un Conseil de sécurité guidé par les Etats-Unis et la Grande Bretagne – avec des conséquences mortelles.

Malgré le silence assourdissant de Washington et de Londres, quelques projets du UNHCR sont en cours pour venir en aide aux réfugiés. Mais c’est trop peu. Les projets ne sont pas connus et les ressources manquent partout. Ce qui manque, c’est la reconnaissance adéquate et le soutien par les responsables aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne de cette misère humaine.

Appel à l’aide du UNHCR

Le Haut commissaire de l’ONU pour les réfugiés demande d’urgence une augmentation de l’aide entre les Etats et des « visas humanitaires », surtout pour les Etats voisins, la Syrie et la Jordanie. Combien de visas les Etats-Unis et la Grande-Bretagne ont-ils déjà mis à disposition ? Dans le cas de la Syrie, la présence de 1,5 millions de réfugiés augmente la pression sociale – d’où la réticence contre davantage de visas. Il faut d’urgence de l’argent pour l’hébergement et d’autres besoins humains de sécurité.

Le tableau d’une tragédie humaine

Le UNHCR parle de plus de 800 000 IDPs, c’est-à-dire des personnes expatriées à l’intérieur de leur propre pays, au Kurdistan irakien, proche de la frontière turque. L’actuelle situation instable près de cette frontière crée de nouveaux problèmes pour ces réfugiés et conduit à de nouvelles expulsions. Le UNHCR parle de 2,3 millions d’Irakiens déplacés dans tout le pays. Parmi eux, plus d’un million expulsés avant 2003, pendant la période des sanctions de l’ONU. D’autres 190 000 ont été expulsés entre 2003 et 2005, et plus d’un million depuis le premier bombardement américain de Samarra en février 2006.

Le UNHCR estime qu’en plus des 1,5 millions en Syrie, environ 500 000 à 700 000 Irakiens se sont réfugiés en Jordanie. Quelques familles reçoivent 100 à 200 dollars par mois, mais il y en a beaucoup qui souffrent terriblement car les fondations privées arrivent au bout de leurs ressources, les habitations sont trop chères et l’école, s’il y en a une, est impayable, le chômage prédomine et les besoins médicaux, même les besoins alimentaires, ne peuvent être satisfaits de manière adéquate.

Le 23 novembre, le UNHCR de Genève a dit, prenant connaissance de rapports sur les retours limités de quelques réfugiés, qu’il était d’accord de les soutenir mais ne croyait pas que c’était le moment d’organiser et d’encourager le retour, tant que les conditions n’étaient pas sûres. Maintenant il y en a beaucoup qui veulent rentrer pour ne calmer qu’un seul souci, c’est-à-dire que leurs enfants puissent retourner à l’école encore avant la fin du premier trimestre !

Le UNHCR constate une augmentation des IDPs durant ces derniers mois et arrive à une nouvelle estimation globale de 2,4 millions de réfugiés. Ce chiffre élevé est dû à la détresse, la violence sans fin et les frontières fermées, et, de façon tragique, à la continuation des « épurations ethniques » comme expression de l’échec des puissances d’occupation et du gouvernement.

Terreur résultant du deux poids deux mesures du Conseil de sécurité

C’est le tableau d’une tragédie humaine. D’autant plus si l’on considère l’aisance que les Irakiens avaient avant et si l’on connaît l’innocence de ces gens qui ont été balayés par une guerre qu’ils n’ont pas provoquée eux-mêmes. Le chaos, les tueries, les atrocités qui ont été mis en route, tous ces dommages irréparables ont été causés parce que le Conseil de sécurité de l’ONU est resté figé dans l’inertie législative, et qu’il a rendu possible la corruption des paroles et de l’esprit de la Charte de l’ONU. Cet échec a rendu possible le terrorisme américain, l’invasion et l’occupation militaire violant la souveraineté et beaucoup de mesures de sécurité internationales. Encore un exemple du double-standard de l’ONU, qui fait que les cinq membres permanents s’imaginent au-dessus des lois et se permettent également des agressions préemptives sans l’accord du Conseil de sécurité.

Initiative pour les droits des réfugiés irakiens

Certains lecteurs auront certainement remarqué que dernièrement un groupe a lancé une initiative importante, connue comme « Initiative irakienne internationale pour les réfugiés irakiens », qui travaille à partir de la région. Les objectifs et le plan d’action de cette initiative peuvent être trouvés sur le site Internet : www.3iii.org. Résumée brièvement, l’initiative reconnaît que les réfugiés et les expatriés à l’intérieur de l’Irak, qu’ils soient à l’extérieur ou à l’intérieur du pays, ont le droit, comme citoyens irakiens, de recevoir des ressources financières des revenus pétroliers. Tous ceux parmi nous qui se soucient de la paix et de la justice doivent soutenir activement cette initiative.

Le site www.3iii.org nous rappelle que la communauté internationale et le gouvernement actuel à Bagdad ont l’obligation légale de soutenir des réfugiés et des déplacés à l’intérieur de façon adéquate et de les protéger. (cf. termes of reference du UNHCR). Les réfugiés irakiens ont les mêmes droits selon les conditions internationales, y compris la Déclaration des droits de l’homme – la dignité, le droit au retour, la famille, le travail, la sécurité, – le droit à la vie… comme nous l’avons tous.

L’initiative argumente que le Conseil de sécurité a le devoir de demander à la communauté internationale et au gouvernement de Bagdad de répartir les revenus pétroliers irakiens aux agences responsables et aux pays d’accueil. Elle demande qu’un tel soutien soit aussi donné pour le retour et la réinsertion, dans la mesure où les conditions de sécurité et l’infrastructure le permettent. Le site www.3iii.org met à disposition encore plus d’informations et contient une pétition que vous souhaiteriez peut-être signer – cela pourrait être un bon point de départ.

Des paiements de réparation par les agresseurs

Comme l’Irak qui, à travers l’ONU, a dû payer – et continue de le faire – des milliards de dollars de réparation pour les dommages au Koweït, il est clair que des réparations semblables, mais beaucoup plus élevées, doivent être payées au peuple irakien. C’est pourquoi je propose au public de réfléchir à l’idée que les gouvernements de l’Assemblée générale poussent le Conseil de sécurité à approuver une résolution exigeant un paiement immédiat comme acompte pour de telles réparations et cela en plus des propres revenus de l’Irak pour les réfugiés. Je parle des réparations auxquelles les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et les autres pays impliqués dans la guerre d’agression contre l’Irak doivent être forcés par le biais d’une résolution du Conseil de sécurité.

C’est difficile de définir le montant, mais les réparations à payer par les USA et les autres semblent s’élever à 2 à 3 milliards d’euros. Nous de l’UE, de la Grande-Bretagne, des USA, de l’Australie et du Canada et d’autres collaborateurs riches – toutes des nations agressives – ne pouvons pas être excusés. Les réparations sont une obligation. La même ONU, qui a échoué à stopper Bush et Blair, a maintenant le devoir de fixer le montant de la réparation, et quand et comment les paiements commenceront. Nous ne pouvons ramener les morts irakiens à la vie, mais nous pouvons soutenir la reconstruction et le retour des réfugiés et des déplacés et soutenir la reconstruction de millions de vies détruites.

Le site www.3iii.org sur la crise des réfugiés irakiens parle de lui-même. Je suppose cependant que beaucoup de lecteurs, comme moi, sont profondément touchés par toutes ces crises dans la région – nous ne pouvons oublier l’occupation de la Palestine, ou les menaces militaires contre l’Iran, ou bien la violence qui se prolonge en Afghanistan, et les insécurités réelles ailleurs. Nous devons cependant attirer d’urgence l’attention sur cette nouvelle catastrophe humanitaire d’environ 4,7 millions de réfugiés et déplacés irakiens.

Dans cet article, je me suis concentré sur les réfugiés. D’autres thèmes qui sont en relation doivent aussi être nommés. Je parle de l’abolition ou au moins d’une réorganisation du Conseil de sécurité de l’ONU pour y représenter aussi le Sud à juste titre avec des sièges en rotation mais permanents ; La destitution des Etats-Unis et de la Grande-­Bretagne du Conseil ; la plainte en cours contre le commando qui a entrepris l’invasion et l’occupation ; et l’ordre de payer les réparations à l’Irak par les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et les autres collaborateurs que j’ai cités plus haut.

Des enquêtes internationales sont nécessaires…

Une enquête internationale des atrocités américaines est nécessaire : tortures, meurtres de civils, actions des services secrets, opérations de tireurs d’élite agissant en dehors de tout droit, l’incarcération arbitraire de milliers de personnes, l’utilisation de l’uranium appauvri, des bombes à sous-munitions et la destruction génocidaire de certaines villes comme Falludja.

Retrait des troupes et autodétermination du peuple irakien

Nous devons exiger le retrait immédiat de tous les « combattants ennemis », qu’ils soient américains, britanniques ou d’autre provenance ; exiger que les conditions pour l’élection d’un gouvernement représentatif soient créées, libre de toute ingérence ; exiger la suppression d’une constitution qui a été élaborée illégalement par les Etats-Unis sous l’occupation militaire, et soutenir des décisions irakiennes libres et justes sur des thèmes comme la privatisation, les revenus pétroliers et la présence de bases militaires américaines.

Il est urgent de soutenir nos amis irakiens pour trouver le chemin le plus court possible quant à la reconstruction de la souveraineté nationale. Nous devons exiger une fin de ­toutes les formes d’ingérence étrangère. Nous devons reconnaître que seul le peuple irakien peut décider quel sera l’avenir du pays et de quelle façon cet avenir pourra être planifié et atteint. •

L’article est basé sur un discours tenu à Londres le 1er décembre 2007 lors d’une conférence internationale de la Coalition britannique contre la guerre.

(Traduction Horizons et débats)

Compte-rendu de la conférence :

http://internationalnews.over-blog.com/article-15230826.html

http://www.mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=7469

http://internationalnews.over-blog.com/article-16663873.html