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JESSE JAMES : Il séduisit les médias et ainsi naquit la légende

Publie le mardi 18 juillet 2006 par Open-Publishing

JESSE JAMES était-il un criminel ? Oui. Le faisait-il pour l’argent ? Oui. Choisissait-il ses objectifs pour obtenir un effet politique ? Non.

de Tommaso Pincio traduit de l’italien par karl&rosa

Qu’avait-il de si spécial pour passer à l’Histoire avec la réputation sans fondement d’un Robin Hood ? Un contexte turbulent derrière lui et devant lui, la clairvoyance d’exploiter la presse pour transformer sa vie de criminel commun en image de héros de son temps. Quand il mourut, il était aussi célèbre que le président des Usa.

Courageux et sans pitié, loyal et raffiné, il était tout autre qu’un inculte vengeur des pauvres, comme l’éclaire la biographie écrite par T.J. Stiles "Histoire du bandit rebelle" qui vient de sortir.

"Jesse James était un jeune homme qui tua nombre de gens. Il prenait d’assaut les trains et volait les riches pour donner aux pauvres", ainsi commence, plus ou moins, la Ballade de Jesse James, une vieille chanson populaire qui exalte les vertus présumées du hors-la-loi le plus fameux de l’Histoire américaine.

Quand il fut tué par trahison, le 8 avril 1882, sa notoriété était probablement égale à celle du président des Etats-Unis. Les décennies ont très peu entamé le souvenir de ses gestes aussi légendaires qu’affreuses. Seul Billy the Kid peut espérer soutenir la comparaison avec Jesse James. D’autres, comme Butch Cassidy et John Dillinger doivent être placés au moins un empan au dessous de lui ne serait-ce que parce qu’ils s’inspirèrent de lui. Rédiger une liste complète de films et de romans qui d’une façon ou d’une autre ont redonné la vie à son personnage est une entreprise difficile. Le titre d’une production à bas coût des années Soixante, Jesse James rencontre la fille de Frankenstein, en dit long sur la portée du mythe.

A quoi doit-on sa légende

Mais souvent la popularité est fondée sur une équivoque. A part le nom, qui avec toutes ces J et ces S, sans aucun doute, sonne bien, la raison principale du succès de Jesse James réside dans sa réputation de moderne Robin Hood. Mais l’idée qu’il volait les riches pour donner aux pauvres est loin de la réalité. L’imposante biographie de T.J. Stiles, Jesse James. Storia del bandito ribelle (Il Saggiatore, trad. de Maria Eugenia Morin, pp.603, Euros 23) rejette précisément l’interprétation d’école néo-marxiste sur la base de laquelle il est décrit comme « un inculte vengeur des pauvres ». Il n’y a aucune preuve qu’il ait volé dans d’autre but que son pur profit personnel, et il ne semble pas plausible qu’il n’ait attaqué que les banques qui, du fait de leurs grandes dimensions, devenaient la cible du mécontentement populaire. C’est plutôt le contraire qui est vrai : en général, ce furent les petits instituts de crédit qui dépendaient de capitaux locaux qui firent les frais de son activité criminelle. Il est toutefois impossible d’ignorer qu’à cette époque les attaques contre les banques, les assauts aux trains et les meurtres de personnes innocentes étaient quasiment monnaie courante. Mais les si nombreux hors-la-loi pour la capture desquels on offrait de généreuses récompenses sont fatalement tombés aux oubliettes. Tous sauf un.

Qu’avait donc de si spécial Jesse James pour passer à l’Histoire en conquérant une réputation infondée de Robin Hood ? Deux choses : le contexte pour le moins houleux dans lequel il agit et son talent de publiciste amateur. En effet, James envoya de nombreuses lettres à la presse pour expliquer ses raisons et établit un rapport d’étroite collaboration avec le directeur d’un important quotidien. Autrement dit, il fut le premier bandit de l’Histoire à comprendre que les médias, s’il sont adroitement manipulés, peuvent servir à se construire une image, à transformer un criminel commun en héros de son temps.

Un background turbulent

Nul besoin d’être de ses sympathisants pour convenir que le contexte où est né et a grandi Jesse James le destinait dès sa naissance à devenir un assassin. Il naquit en 1847 et passa son enfance dans la contée de Clay, Missouri, un Etat qui devint quelques années plus tard le théâtre de batailles sanglantes, écrasé entre le Nord abolitionniste et le Sud esclavagiste et parce qu’il était entièrement partagé entre l’aire industrielle de Saint Louis, une vaste zone agricole où la force de travail était constituée par des hommes libres et une bande plus restreinte de contées connue comme Little Dixie, où l’esclavage persistait encore et les Noirs étaient souvent lynchés même si, à la différence du Sud profond, on leur concédait le droit à un procès pour leurs crimes.

Le père de James, prédicateur baptiste d’un grand charisme et très aimé dans sa communauté, alla en Californie pour porter la parole de Dieu aux chercheurs d’or et y mourut quand le futur hors-la-loi avait trois ans à peine. Jesse fut élevé ainsi par sa mère, une femme indomptable et partisane fervente de la cause sécessionniste. A l’époque le pays était dominé par un curieux mélange d’inéluctabilité et d’incertitude. D’un côté on considérait comme chose sûre que le conflit entre le Nord et le Sud était inévitable, de l’autre on doutait que les deux parties eussent eu vraiment recours aux armes. En 1861, quand éclata la guerre de Sécession et que les divergences politiques dégénérèrent dans un bain de sang, Jesse James était en train de passer de l’enfance à l’adolescence. Il avait quatorze ans à peine mais il était déjà entré en contact avec le cours tourbillonnant des évènements : il avait assisté à des passages à tabac d’esclaves et peut-être aussi à des pendaisons. Immergé dans une atmosphère de défi belliqueux, le garçon avait été initié à la violence de tous les côtés. En commençant par sa mère et par son frère aîné, Frank.

Selon la tradition populaire, Jesse James devint un féroce guérillero pour se venger des torts subis, mais cette explication est plutôt une façon d’édulcorer un processus très articulé de « violentisation », un terme par lequel les sociologues américains définissent les expériences transformant un individu en un objet sans pitié et dangereux, capable de commettre des crimes terribles. Quelle que soit la façon dont on veut la voir, une chose est certaine : à dix-sept ans ils s’unit à une bande de guérilleros conduits par Bloody Bill Anderson, un sale type qui à cause de ses atrocités a mérité l’appellation de « personnification de l’horreur ».

La guerre de Sécession achevée, quand la majorité des vétérans confédérés furent retournés à une vie normale et pacifique, les frères James mirent sur pied une bande qui tantôt se consacrait au meurtre de ceux qui pendant le conflit avaient soutenu l’Union et tantôt dévalisait des banques et des trains.

Jesse commença à devenir fameux en 1869. Ce fut en décembre de cette année-là que son nom atterrit pour la première fois sur les journaux. Lui et son frère attaquèrent la Caisse d’épargne de la contée de Daviess. Le coup ne rapporta pas grand-chose mais Jessie tira sur le caissier en croyant que c’était Samuel Cox, le milicien qui défit et tua pendant la guerre Bloody Bill Anderson. Le meurtre et la fuite rocambolesque qui s’ensuivit l’imposèrent à l’attention de la presse. Ce fut particulièrement John Newman Edward, à l’époque directeur du « Kansas City Times », qui fut frappé par les implications politiques de ce crime. A ses yeux, Jesse James était un sudiste prêt à « faire à nouveau recours à l’épée » et c’est pourquoi, au printemps 1870, il décida d’entrer en contact avec lui. Avec l’intention de ramener les confédérés au pouvoir au Missouri, Edwards écrivit des articles pompeux magnifiant les entreprises de la bande des frères James et offrit à Jesse la possibilité de publier quelques unes de ses lettres.

Le hors-la-loi qui, à ce qu’il parait, était un graphomane et lisait avidement les quotidiens, ne se fit pas prier. Dans ses lettres, ou bien il se proclamait innocent ou bien il soutenait que ses actions n’étaient pas des actions criminelles. Mais « sa » plus fameuse lettre est anonyme. Bien que personne n’ait jamais démontré que ce fut réellement lui qui l’écrivit, elle présente de fortes analogies avec le style et les idées qui étaient propres à Jesse James. « Certains directeurs nous appellent voleurs. Nous ne sommes pas des voleurs, mais des braqueurs audacieux. Je suis fier de ce nom parce qu’Alexandre le Grand était un braqueur audacieux, ainsi que Jules César et Napoléon Bonaparte » - écrit le présumé James. « Nous ne tuons que par légitime défense. Mais si un homme est assez stupide pour refuser d’ouvrir un coffre-fort ou un caveau quand il a un pistolet braqué sur lui, il mérite de mourir.

Il est inutile qu’il tente de faire quelque chose quand un braqueur expert l’a dans sa ligne de mire. S’il donne l’alarme, s’il oppose une résistance ou s’il refuse d’ouvrir le coffre-fort il est tué ».
Après quoi l’auteur entre dans le vif des revendications politiques avec une dénonciation tonnante du parti et de l’administration républicains : « Dès qu’un groupe d’hommes commet un braquage audacieux on crie ‘ au poteau !’, mais Grant et son parti peuvent voler des millions et tout va bien. M’entendre appeler voleur me chagrine beaucoup ». Je ne veux pas - continue-t-il - « qu’on m’assimile à Grant et à son parti. Le parti de Grant n’a de respect pour personne. Ils volent les pauvres et les riches, tandis que nous volons les riches pour donner aux pauvres ». Et comme on était dans le vif d’une compétition électorale, l’auteur a confiance dans le cas où Grant perdrait les élections présidentielles parce que « alors, je pourrai gagner ma vie honnêtement et je ne serai pas obligé de voler, parce que les taxes seront moins lourdes ».

Des tâches inactives obscurcissant le mythe

Que cette lettre soit vraiment de Jesse James n’est pas tellement important. Il en écrivit beaucoup d’autres et participa activement à la création de sa propre légende en se proposant en hors-la-loi politique, en faisant appel aux liens de fidélité maturés en temps de guerre, en ayant un rôle important dans la tentative de créer une identité confédérée pour le Missouri. En simplifiant, on pourrait affirmer qu’il se battait en faveur du maintien de l’esclavage et il semble qu’une fois lui et sa bande aient attaqué un train en se couvrant le visage avec le masque du Ku Klux Klan. Ce qui, en jugeant après coup, n’est sûrement pas le maximum et qui pourtant, plutôt qu’assombrir le mythe, l’a majoré.

Probablement, ce qui a fasciné les Américains pendant tant de décennies est la fidélité de Jesse James à ses idéaux. Il se considérait comme quelque chose de plus qu’un simple bandit et il est arrivé à donner de lui l’image qu’il voulait : celle d’un sudiste, d’un vengeur de la cause des rebelles défaits dans la guerre de Sécession. Mais, à part cela, « était-il un criminel ? Oui. Le faisait-il pour l’argent ? Oui. Choisissait-il ses objectifs pour obtenir un effet politique ? Non. Il ne peut pas être confondu avec les Brigades Rouges, les Tigres Tamoul, Osama bin Laden ou d’autres groupes qui actuellement définissent notre image du terrorisme » est la bizarre opinion de Stiles. Toutefois, « si James avait vécu un siècle plus tard, il aurait été qualifié de terroriste ».

La biographie de Stiles s’inspire d’une formule classique et toujours valable : l’homme et son temps. Le but est de rendre évident que l’histoire de James a sa propre spécificité, étrangère aux conditions qui produisirent les pistoleros du West à la Billy the Kid. Jesse James était courageux et sans pitié ainsi que loyal et raffiné. Il avait tout ce qu’il faut pour devenir le plus romantique des hors-la-loi. Mais les raisons pour lesquelles il est encore si populaire doivent être recherchées dans sa capacité de séduire les médias par ses crimes, de transformer un hold-up en une question d’importance nationale. En cela il n’a pas seulement été un héros de son temps mais aussi un anticipateur des nôtres.

Premier plan sur la guerre de Sécession

Stiles est extrêmement méticuleux dans sa reconstruction de l’époque dans laquelle vécut Jesse James. Même trop. Il est tellement engagé dans la description du contexte historique, que par moments le livre semble être un essai sur la guerre de Sécession plutôt qu’une biographie. L’homme, quasiment phagocyté par son temps, devient une vague petite tache sur le fond et passe de protagoniste à figurant. Le vrai Jesse James, celui qui se cachait derrière son image publique, reste ainsi une énigme irrésolue. Peut-être quelques pages de plus sur ses pulsions intérieures, celles qui le poussaient à être toujours au centre de l’attention, n’auraient pas fait de mal. Ou peut-être non. Les violences dont il a été le témoin dans son enfance ont eu sans aucun doute une influence sur le caractère de James en bloquant en l’état une émotivité d’adolescent. Peut être pour raconter cet aspect du bandit terroriste, suffit-il d’une photo de 1863 où il est encore un garçon imberbe aux traits délicats mais où il se montre, malgré cela, effronté devant l’objectif avec trois pistolets, l’un dans sa main et les autres dans sa ceinture. Ces photos et la citation que Stiles met en exergue dans sa biographie - « Vous allez découvrir qu’une des choses les plus brutales du monde est l’Américain moyen de dix-neuf ans » - sont la meilleure réponse à l’énigme Jesse James.

http://www.ilmanifesto.it/Quotidiano-archivio/15-Luglio-2006/art53.html