Accueil > Khartoum saigne le Darfour

Khartoum saigne le Darfour

Publie le mercredi 4 août 2004 par Open-Publishing
1 commentaire


de Camille
Bauer


La situation humanitaire est dramatique dans la région du Darfour. Malgré l’accroissement des pressions internationales, le régime ne fait rien pour désarmer les milices sjindjawids qui terrorisent les populations.

Le Darfour s’enfonce dans la crise. Dans des camps de fortunes, où l’aide internationale arrive avec difficulté, plus d’un million de déplacés tentent de survivre. Déjà près de 50 000 d’entre eux sont morts depuis le début des offensives gouvernementales à l’été 2003, et avec la saison des pluies, le pire est à venir. Autour des camps, les djandjawids (de djin, démon et jawad, cheval), ces milices arabes (1), appuyées et armées par le gouvernement, rôdent toujours. Après avoir chassé les populations noires de leurs terres et de leurs villages, ils violent, kidnappent ou rançonnent ceux qui s’aventurent hors des camps pour chercher du bois ou de la nourriture. Malgré de nombreuses promesses, le gouvernement soudanais ne fait rien pour les neutraliser.

La pression est pourtant intense sur Khartoum. Vendredi dernier, le Conseil de sécurité a voté une résolution donnant trente jours à Khartoum pour désarmer les djandjawids, traduire en justice leurs responsables et faciliter le travail des humanitaires, sous peine de " mesures " de rétorsion. Cette résolution fait suite à la visite début juillet du secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, qui avait déjà menacé de sanctions et obtenu de Khartoum la promesse de désarmer ses supplétifs. À la tête de cette croisade, les États-Unis où le Congrès a voté le dernier une résolution qualifiant de " génocide " la guerre que mène le gouvernement au Darfour. Les élus américains ont aussi demandé à leur gouvernement d’envisager une action " unilatérale ". La possibilité d’une intervention armée a aussi été évoquée par la Grande-Bretagne et l’Australie qui se sont dites prêtes à envoyer des hommes. Après avoir été assez conciliante, l’Union africaine, à qui la communauté internationale a délégué l’observation du cessez-le-feu signé le 8 avril au Tchad entre le gouvernement et les rebelles, a durci le ton. Elle a annoncé mercredi dernier, étudier " la possibilité de transformer " les forces destinées à protéger ses observateurs en " mission de maintien de la paix ".

Ce concert de protestation embarrasse Khartoum. Depuis 1998 et plus encore depuis les attentats du 11 septembre, le régime islamiste a fait beaucoup d’effort pour réintégrer le concert des nations. Il a pris ses distances avec les réseaux terroristes et pour normaliser sa situation et attirer les investisseurs, il a aussi fait d’importantes concessions dans les négociations pour régler le conflit qui, depuis 1983, l’oppose à l’Armée de libération dans le sud du pays (SPLA).

Mais le régime cale sur le Darfour. D’abord par habitude. Quand le Mouvement pour la justice et l’égalité (JEM) et l’Armée de libération du Soudan (SLA) ont fait leur apparition début 2003 dans une région troublée depuis les années quatre-vingt par des conflits locaux, le gouvernement a appliqué la même politique répressive que celle pratiquée pendant des décennies contre les populations du sud. Il tenait d’autant plus fermement à agir que les deux groupes rebelles sont chacun liés à un de leurs ennemis intérieurs. Le JEM est proche d’Hassan Turabi, autrefois mentor de Ben Laden et guide spirituel du régime, devenu depuis un opposant régulièrement emprisonné à Khartoum. Plus grave aux yeux du régime, les liens entre le SLA et le SPLA, qui le conduit à considérer la rébellion au Darfour comme une ingérence sudiste. Pour mener sa guerre, le gouvernement a parié sur le peu de réaction d’une communauté internationale alors focalisée sur l’aboutissement du long processus de négociation avec le SPLA. Un pari gagnant. Alors que la contre-offensive gouvernementale est lancée en juillet 2003, ce n’est qu’en décembre que la communauté internationale a commencé à s’émouvoir. Il faut attendre avril 2004 pour que Kofi Annan demande publiquement une réaction au drame.

Les déclarations contradictoires avec lesquelles Khartoum a accueilli la résolution de l’ONU, le rejetant d’abord, puis l’acceptant du bout des lèvres pendant que l’armée l’assimilait à une " déclaration de guerre ", indiquent l’existence de dissensions internes. Entre les partisans d’une politique d’ouverture et les radicaux qui considèrent déjà excessives les concessions faites au SPLA, la querelle fait rage. Même l’armée, dont le Darfour fournit un important contingent, est divisée, comme l’a montré l’arrestation fin mars de pilotes ayant apparemment refusé de bombarder la région.

Ces divisions sont le reflet des problèmes politiques que la crise au Darfour pose au régime soudanais. L’élite nordiste, qui s’est arrogée le pouvoir, craint de voir les habitants des régions marginalisées contester leur mainmise sur les richesses. Une crainte d’autant plus forte depuis que le pays bénéficie de la manne pétrolière, mais surtout depuis que les accords signés avec le SPLA, alimentent les revendications de ceux qui en ont été exclus. Négocier avec les rebelles du Darfour, c’est risquer de légitimer des plaintes similaires dans toutes les régions. Mais c’est aussi envisager de donner à tous les Soudanais les mêmes droits et donc remettre en cause les fondements d’un régime qui s’est construit au profit d’un petit nombre et sur l’exclusion de la majorité non arabe de sa population. En laissant le SPLA et Khartoum négocier seuls, de pouvoir à pouvoir, sans s’intéresser ni aux autres régions ni aux citoyens soudanais, la communauté internationale a permis au régime de ne pas remettre en cause ses fondements. L’accent exclusivement mis sur l’aspect humanitaire de la crise empêche tout autant de s’atteler aux problèmes de fonds.

Camille Bauer

(1) Le terme arabe désigne les populations dont l’arabe est la langue principale par opposition aux populations dites " noires " qui appartiennent aux ethnies Four, Massalit et Zagawa.

http://www.humanite.presse.fr/journal/2004-08-04/2004-08-04-398307

Messages