Accueil > L’Amérique est traversée de divisions plus intenses que lors de la guerre du (…)

L’Amérique est traversée de divisions plus intenses que lors de la guerre du Vietnam

Publie le dimanche 16 septembre 2007 par Open-Publishing

L’Amérique est traversée de divisions plus intenses que lors de la guerre du Vietnam

Samedi 15 septembre 2007
Luis Lema, New York

ETATS-UNIS. Le professeur William Martel analyse le discours de jeudi soir du président Bush, qui a lancé un appel à l’unité.

En annonçant, comme prévu, un retrait limité des forces américaines en Irak, George Bush n’a pas convaincu l’opposition démocrate (lire ci-contre). Au contraire, ses ténors multipliaient les déclarations de colère. Cela inquiète l’analyste militaire William Martel. Ce professeur à la Tufts University vient de publier un livre (Victory in War) sur ce que signifie le terme de « victoire » en temps de guerre. Ce qui le préoccupe, c’est à quel point l’Amérique semble aujourd’hui divisée. « Davantage, dit-il, que lors du Vietnam. »

Le Temps : Comment interprétez-vous le discours de George Bush ?
William Martel : Ce qui m’a frappé, c’est à quel point le discours était centré sur la polarisation de l’Amérique. George Bush a consacré près d’un tiers de son temps à lancer un appel à l’unité. Et c’est vrai que le pays aujourd’hui est traversé de divisions plus intenses peut-être que lors de la guerre du Vietnam. Ces divisions sont extrêmement préoccupantes, et nous avons l’obligation sociale, politique et morale de les affronter.
 En annonçant un retrait des troupes très limité, et en mettant en avant des « progrès » sur le terrain que l’opposition ne décèle pas, le président ne va pourtant pas contribuer à calmer les esprits...
 George Bush estime que les progrès sont suffisants pour poursuivre l’effort. Mais il ne pourra pas faire changer d’avis ceux qui sont aujourd’hui opposés de front à la guerre. Le débat est allé si loin qu’il n’y a plus de place pour les arguments rationnels. La perception de ce qu’est la « victoire » dépend des croyances profondes de chacun. Pour les uns, comme le président Bush, la victoire sera obtenue lorsque l’Irak sera devenu plus démocratique et qu’avancera la reconstruction. Mais, pour les autres, cette victoire est aujourd’hui synonyme de la fin de la guerre. Les démocrates sont arrivés à la conclusion que leur base électorale veut un retrait immédiat des troupes. C’est une perspective qui me rend très nerveux.

 Des critères ont pourtant été établis pour mesurer les succès. Il y a des objectifs militaires et politiques à atteindre ?
 Oui, et la plupart des rapports indiquent que 14 de ces 18 objectifs ne sont pas atteints. Mais la marge d’interprétation reste très vaste. A mon avis, le général David Petraeus pense que les perspectives sont suffisantes pour continuer. Surtout, le discours des militaires a évolué pour insister sur les conséquences catastrophiques sur lesquelles déboucherait un retrait. Sur CNN, on verrait pendant des années le spectacle horrible d’une guerre totale ou d’un génocide.

 A vos yeux aussi, ces conséquences seraient catastrophiques ?
 La situation aurait été différente si, au moment d’envahir l’Irak, l’objectif avait été simplement de remplacer Saddam Hussein. Mais l’Amérique entière, le président, et les deux Chambres du Congrès, avec l’appui massif de la population, ont désigné d’autres objectifs à la guerre. Les Américains ont fait des promesses publiques, globales et univoques à propos de l’Irak. Or s’ils reculent maintenant, quel message adressent-ils à leurs alliés saoudien ou koweïtien ? Mais cela va encore plus loin : la Corée du Sud, par exemple, peut aussi prendre peur face au manque de détermination américain et décider de se lancer seule dans un programme nucléaire. La Russie peut conclure que les Etats-Unis ne sont pas sérieux et aider davantage l’Iran à se procurer l’arme nucléaire. L’Europe, elle aussi, peut se sentir seule face aux actions de la Russie en Ukraine ou en Géorgie. Lorsque la grande puissance américaine étale de la sorte ses divisions, cela a des répercussions dans le monde entier, et cela peut même se révéler cataclysmique...

 Quelle autre option reste-t-il ?
 Si vous éliminez l’idée du retrait, il faudra compter au moins cinq à dix ans de présence en Irak. Mon instinct me dit pourtant que les choses peuvent s’améliorer, notamment avec l’appui des tribus sunnites contre Al-Qaida. Je serais étonné si, d’ici à deux ans, il était encore nécessaire de maintenir une force américaine comparable à celle qui subsistera après le départ progressif des renforts. Mais la vraie décision dépendra de l’élection de 2008. C’est la seule brèche « naturelle » que je voie à la situation d’impasse actuelle.

« Succès » et subtiles distinctions
Luis Lema

Pour les démocrates, le président « joue la montre ».

Mettant cela sur le compte des « succès » obtenus, George Bush a annoncé jeudi soir aux Américains un retrait (très) partiel des troupes américaines en Irak. Quelque 5700 soldats devraient repartir avant la fin de l’année, tandis que 18000 autres suivraient d’ici à juillet 2008. « Plus nous rencontrerons de succès, et plus d’Américains pourront rentrer à la maison », a-t-il dit, en se rangeant derrière l’avis du général David Petraeus, le commandant de la force multinationale en Irak.
Ce plan reste pourtant bien en deçà de la volonté des élus démocrates. « Le président s’est trompé en nous entraînant dans cette guerre, il s’est trompé en lançant une escalade en janvier et il se trompe en continuant sur la même voie », résumait le sénateur Barack Obama, prétendant à la candidature démocrate à l’élection présidentielle. Pour l’opposition, Bush ne fait en effet que « jouer la montre » : grosso modo, sa décision équivaut à laisser sur le terrain un nombre de GI semblable à celui qui prévalait avant que soit annoncé l’envoi de renforts, en janvier dernier.

Phase de « transition »
De fait, un haut responsable de l’administration avait toutes les peines du monde à expliquer en quoi la mission des soldats américains allait être transformée. Depuis janvier, il s’agissait de « créer de l’espace » pour que les autorités irakiennes commencent à prendre les choses en main. « Nos troupes ont capturé ou tué 1500 combattants ennemis par mois depuis janvier », expliquait ainsi le président dans son allocution.
Or, c’est pratiquement cette même mission que le responsable mettait encore une fois en avant, jeudi devant la presse. « Dans l’optique du président, nous passons d’une phase qui consistait à « sécuriser » les Irakiens à celle que j’appellerai de « transition » pour permettre aux Irakiens de sécuriser la population. » Une distinction éminemment subtile qui aura du mal à convaincre du bien-fondé d’une guerre de plus en plus impopulaire.

http://www.letemps.ch/template/international.asp?page=4&article=214899