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L’Amérique "exporte" ses criminels d’origine étrangère

Publie le lundi 27 octobre 2003 par Open-Publishing

Les autorités américaines les considèrent comme des délinquants étrangers et, de ce fait, ils peuvent être expulsés au terme de leur peine : le problème, c’est qu’ils exportent dans des pays où ils n’ont souvent jamais vécu, une délinquance dont leur patrie d’origine n’a vraiment pas besoin.

Beaucoup sont venus enfants aux Etats-Unis, dans les bras d’hommes et de femmes qui fuyaient la pauvreté et la guerre. Ils ont été scolarisés en Amérique mais ont appris la vie dans les rues de Los Angeles, de New York ou de Chicago. Et finalement, ils ont mal tourné.

En 1996, le Congrès a voté un texte les bannissant à vie du pays où ils ont grandi. Le plus vaste coup de filet de l’histoire des Etats-Unis est désormais bien avancé. Depuis l’entrée en vigueur de cette version américaine de la "double peine", plus d’un demi-million de ces délinquants ont été arrêtés et expulsés. Depuis le 1er janvier, un délinquant "étranger" est renvoyé dans le pays de ses ancêtres toutes les sept minutes. Plus de 160 pays ont ainsi vu revenir ces fils prodigues, souvent spécialistes du maniement des armes et du trafic de drogue et dont ils se passeraient bien...

Selon une enquête étalée sur six mois de l’Associated Press dans plusieurs pays, au cours de laquelle plus de 300 personnes ont été interviewées (policiers, expulsés, responsables religieux et gouvernementaux, sociologues), il ressort que les polices locales se sont retrouvées débordées par cet afflux de gens n’ayant pour survivre que leur savoir-faire de délinquant.

En Jamaïque, un homme sur 106 âgé de plus de 15 ans est un criminel expulsé des USA. Ces quelque 10.000 hommes, qui vivent pour la plupart dans la capitale Kingston, sont impliqués dans 600 meurtres, 1.700 vols à main armée et 150 fusillades avec la police, selon les statistiques de la police locale dont la fiabilité semble discutable en raison de l’énormité des chiffres. Mais même si on les divise par deux, ils demeurent considérables.

Au Guyana, petit pays relativement paisible de 700.000 habitants, l’arrivée de plus de 600 délinquants n’est pas passée inaperçue. Avant eux, les mitraillages, le carjacking (vol de véhicule dont on expulse de force le conducteur) et les attaques de banque étaient plutôt rares, explique le ministre de l’Intérieur Ronald Gajraj. Ce sont aujourd’hui des faits divers courants.

Au Honduras, selon Interpol, entre 1995 et 1998, le nombre de meurtres est passé de 1.615 à... 9.241, à la suite du rapatriement de 7.000 repris de justice.
Selon la loi de 1996, est expulsable toute personne condamnée à au moins un an de prison, y compris avec sursis, et qui n’a pas la nationalité américaine. Les délits vont du vol au meurtre. La loi est rétroactive et ne prévoit pratiquement pas de possibilité de faire appel.

Actuellement, sont expulsables quelque 250.000 étrangers qui purgent une peine dans les prisons américaines ou qui sont en liberté surveillée ou conditionnelle, selon le Bureau des statistiques judiciaires. La population étrangère aux Etats-Unis est estimée à près de 12 millions de personnes.

En 2002, les Etats-Unis ont expulsé plus de délinquants d’origine étrangère en une seule année qu’entre 1905 et 1986... En 2003, le chiffre devrait atteindre les 77.000. L’an dernier, 41% des expulsions concernaient des délits liés à la drogue, aucun autre délit ne dépassant 10% du total.

Pour aussi impressionnants qu’ils soient, ces chiffres sont à rapprocher des 11 millions de ressortissants non-américains qui ont dû quitter les Etats-Unis depuis 1996, la plupart pour être simplement entrés illégalement dans le pays ou pour avoir dépassé la durée de séjour de leur visa.

La grande majorité des délinquants expulsés (80%) sont envoyés vers sept pays des Caraïbes ou d’Amérique latine (Jamaïque, Honduras, Salvador, Colombie, Mexique, Guatemala et République dominicaine). Ce sont des contrées où les emplois sont rares et les moyens de la police limitées. Le Mexique en a reçu pas moins de 340.000 qui sont généralement déposés à la première ville frontalière. Ils zonent là en survivant comme ils peuvent en attendant de trouver un moyen de repasser la frontière.

Car les expulsés se retrouvent généralement sans aucun moyen dans un pays qu’ils ne connaissent pas et dont ils ne parlent pas toujours la langue. A San Salvador, ils sont accueillis à l’aéroport par des organisations catholiques qui leur donnent un sandwich et de quoi payer leur transport jusqu’au centre-ville.

Très vite, le vol ou le trafic de drogue devient leur seul moyen de survivre. Mais dans ce cas, ils se trouvent en concurrence avec les malfrats locaux qui ne leur font pas de cadeaux. Avant d’avoir le temps de faire des victimes, ils sont souvent victimes eux-mêmes. A San Pedro Sula, au Honduras, des milices locales traquent les jeunes ayant des tatouages de gangs américains, explique l’évêque de la ville, Mgr Romulo Emiliani : "Ils approchent des jeunes gens, leur font ouvrir leur chemise et s’ils ont ces tatouages, ils ne posent pas de question. Ils les abattent". Des cas similaires sont signalés au Salvador.

Cette politique consistant de la part des Etats-Unis à se débarrasser à bon marché de leurs mauvais éléments est très mal perçue dans les pays d’accueil qui doivent payer les pots cassés. D’un côté, la fuite des cerveaux en provenance du Tiers-monde bénéficie aux Etats-Unis qui renvoient en échange ceux qui ont transformé le rêve américain en cauchemar. "Vous nous envoyez la lie de votre société (...) et dans le même temps vous braconnez nos enseignants et nos infirmières", déplore le chef de la diplomatie guyanaise, Rudy Insanally.

L’un des auteurs de la loi de 1996, le représentant du Texas Lamar Smith, rétorque que les immigrés ne sont que des invités tant qu’ils n’ont pas obtenu la citoyenneté américaine. "Quand ils commettent un délit grave, ils ont, en vertu de notre législation, perdu le droit de vivre parmi nous".

Plusieurs pays se sont heurtés à une fin de non-recevoir lorsqu’ils ont demandé à Washington de cesser les expulsions ou au moins de les ralentir. D’autres, comme le Vietnam ou le Laos, refusent d’accepter les expulsés. Le Guyana a tenté de faire de même, mais a dû renoncer, Washington menaçant de ne plus délivrer de visas à ses responsables. WASHINGTON (AP)