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L’économie russe sous Vladimir Poutine : points forts et points faibles
Publie le mardi 4 mars 2008 par Open-Publishing
Par Oleg Mitiaïev, RIA Novosti
POINTS FORTS
1. Croissance économique impétueuse. Les résultats enregistrés par l’économie russe au cours des huit dernières années sont plus qu’impressionnants. Durant cette période, le PIB s’est accru d’environ 70%, la production industrielle a progressé de 75%, et les investissements ont augmenté de 125%. Grâce à ces indices, la Russie a retrouvé sa place parmi les dix pays du monde les plus développés sur le plan économique. Notons que le PIB russe a égalé en 2007 son niveau de 1990. Cela signifie que le pays est sorti de la crise économique des années 1990, et qu’il en a aussi définitivement surmonté les conséquences. Mais à présent la Russie se trouve confrontée à des objectifs encore plus difficiles, liés au passage à un modèle de développement économique fondé sur l’innovation.
2. Naissance d’une superpuissance énergétique. La Russie est devenue une superpuissance énergétique grâce à la politique appliquée ces 8 dernières années, conformément à laquelle une partie considérable du secteur pétrogazier et de ses revenus ont été placés sous le contrôle de l’Etat. Ces processus se produisent dans la majorité des pays riches en ressources naturelles. Mais, en Russie, le renforcement des leviers d’influence de l’Etat dans le secteur pétrogazier a conduit à l’ouverture des compagnies de ce secteur aux investisseurs. Ce n’est qu’après l’entrée du bloc de contrôle de Gazprom dans le patrimoine de l’Etat que cette compagnie est devenue authentiquement "publique" et qu’elle a libéralisé le marché de ses actions. La société publique Rosneft, devenue la plus grande compagnie pétrolière du pays, a lancé en 2006 la première "IPO populaire" de l’histoire de la Russie, s’attirant ainsi des milliers d’investisseurs russes et étrangers. La réforme du monopole de l’électricité UES (Electricité de Russie) a suivi une autre voie, ultralibérale : il cessera d’exister cet été. Désormais, seules les lignes électriques et leurs services de commande appartiendront à l’Etat. Toutes les compagnies de vente d’électricité et toutes les centrales électriques auront des investisseurs privés.
3. Gestion efficace des pétrodollars. Ce n’est qu’à la fin du mandat présidentiel de Vladimir Poutine qu’il est devenu évident que la gestion des revenus provenant de l’exportation de pétrole, dont les prix n’ont cessé de monter ces 8 dernières années, avait été judicieuse. Le Fonds de stabilisation créé en 2004 grâce aux pétrodollars était considéré d’abord comme une réserve "en prévision des mauvais jours". Mais, au bout d’un an seulement, son montant a dépassé les 500 milliards de roubles (18 milliards de dollars, au taux de change de l’époque), ce qui a permis de rembourser au cours des deux années qui ont suivi toutes les dettes de l’ex-URSS, grâce aux nouveaux versements dans le fonds. En outre, le versement permanent de pétrodollars au Fonds de stabilisation a permis d’endiguer, jusqu’à un certain point, l’inflation durant cette période. Mais le Fonds de stabilisation a atteint une telle somme en 2007 que la décision a été prise d’injecter de façon raisonnable cet argent dans l’économie. Les institutions russes de développement ont été partiellement financées en puisant dans ce fonds. Mais, fin janvier 2008, le Fonds de stabilisation a été divisé en Fonds de réserve ("coussin de sûreté" en cas de cataclysmes financiers mondiaux) et Fonds du bien-être national, dont les revenus seront utilisés pour la réforme des retraites.
4. Croissance de la production industrielle. La crise financière de 1998 a donné une impulsion au développement de l’industrie russe. Selon les données de Rosstat (Service fédéral des statistiques), en 2000, la production industrielle a progressé de 11,9%. Mais, par la suite, le "facteur crise" s’étant épuisé, cet indice est tombé à 3,7% pour les années 2001-2002. Un nouvel essor a commencé à partir de 2003. En 2007, le taux d’accroissement de la production industrielle a atteint 6,3%. Les résultats enregistrés dans les secteurs de transformation ont été particulièrement spectaculaires, ils ont dépassé ceux du PIB. Par exemple, en 2007, l’industrie de transformation a progressé de 9,3%. Il convient de mentionner, à titre de comparaison, que l’extraction des minéraux utiles n’a augmenté que de 1,9% et que la production d’énergie électrique s’est réduite de 0,2%.
5. Accroissement des revenus de la population. Ces huit dernières années, les revenus réels de la population se sont accrus de plus de deux fois, par conséquent, la pauvreté a diminué d’autant. Si, en 2000, plus de 30% de la population se trouvait au-dessous du seuil de pauvreté, à présent, cet indice se trouve à environ 14%. En huit ans, le salaire moyen est passé de 2.200 roubles à 12.500 roubles (343 euros), le montant moyen des retraites de 823 roubles à 3.500 roubles (96 euros). Mais l’essentiel est que l’augmentation des salaires et des prestations dépasse les taux d’inflation. Ainsi, en 2007, les revenus de la population se sont accrus, compte tenu de l’inflation, de 20 à 25%.
POINTS FAIBLES
1. Une inflation élevée. Malgré tous les efforts déployés, le gouvernement n’a pas réussi à endiguer la hausse des prix : deux fois seulement en huit ans, les indices réels de l’inflation ont coïncidé ou se sont approchés de ceux prévus dans le budget fédéral à l’étape de la planification. En 2007, les prix ont totalement échappé au contrôle de l’Etat. Si, au cours de la période qui a précédé, les taux d’inflation se réduisaient d’une année sur l’autre, en 2007, pour la première fois depuis huit ans, l’inflation a dépassé son niveau de l’année précédente. Cette tendance s’est maintenue dans les premiers mois de 2008. Les autorités ont promis de tout mettre en oeuvre afin de lutter contre la hausse des prix et ont même laissé entendre que, pour endiguer l’inflation, elles étaient prêtes à brider l’économie. D’ailleurs, les experts en doutent : pour l’instant, l’Etat ne prend pas de mesures résolument anti-inflationnistes et se borne à des actions populistes à l’instar du gel des prix de détail.
2. Une économie de rente. Malgré l’accroissement de la production, l’économie russe reste, pour l’essentiel, fondée sur les matières premières. En 2007, les versements au budget effectués par les entreprises du secteur énergétique sous forme de taxes douanières et d’impôts ont constitué près de 3.100 milliards de roubles (près de 85 milliards d’euros), soit presque la moitié des recettes budgétaires de la Fédération de Russie. Une partie considérable de l’industrie de transformation et du commerce fait partie du complexe combustibles-énergie, assurant le raffinage du pétrole et la vente de produits pétroliers. Les exportations russes sont constituées presque entièrement par les matières premières et les engrais minéraux. Sur les 352 milliards de dollars de recettes provenant des exportations, la part des machines et des biens d’équipement n’est que d’environ 17 milliards de dollars.
3. Dépendance vis-à-vis des importations de produits alimentaires. La Russie dépend beaucoup, comme par le passé, des importations de produits alimentaires. La proportion des produits importés dépasse déjà, en moyenne, 40%, et atteint 70% dans les grandes villes, même 85% pour certains types de produits. L’accroissement de la production agricole qui s’est ébauché ces deux dernières années est incapable de satisfaire les besoins croissants du marché. Par conséquent, les importations de produits alimentaires se sont notablement accrues. La Russie est aujourd’hui le plus grand importateur mondial de viande de volaille et d’huiles animales, et le deuxième importateur de pommes, après l’Allemagne. La part de l’importation est élevée - environ 50% - sur le marché de la viande (dont les principaux fournisseurs sont les Etats-Unis, l’Amérique latine et l’UE) et sur le marché des produits laitiers (qui proviennent principalement d’Allemagne et d’Europe de l’Est).
4. Un décalage croissant entre riches et pauvres. Les chiffres de l’accroissement des salaires moyens et des retraites ne traduisent pas le décalage croissant entre riches et pauvres. Ce dernier est illustré par le coefficient de différenciation des revenus, qui atteste que les 10% de Russes les plus riches vivent de mieux en mieux par rapport aux 10% les plus pauvres. En 2000, les revenus des plus riches dépassaient d’environ 14 fois ceux des plus dépourvus. En 2007, cet indice est de 17 fois. La majorité de la population ne touche pas le salaire mensuel moyen (12.500 roubles, soit environ 500 dollars, en 2007), car il est un mélange entre les superprofits d’une couche étroite de dirigeants de l’échelon supérieur et les bas salaires de l’écrasante majorité de la population active. Le nombre d’habitants vivant au-dessous du seuil de pauvreté, c’est-à-dire ceux dont les revenus sont inférieurs au minimum vital, a été divisé par deux depuis 2000, mais il se maintient ces deux dernières années à un niveau de 15%. Plus de 21 millions de Russes sont concernés. La pauvreté a revêtu un caractère chronique : la majeure partie des retraités (la retraite moyenne ne dépasse pas 3.000 roubles) et les ouvriers peu qualifiés des régions en récession vivent dans une misère permanente.
5. Echec du marché des valeurs à attirer l’épargne de la population. Le marché boursier, indice de la capitalisation des plus grandes entreprises de Russie, semble étranger à la population. Seuls 1 million de Russes, sur 140, participent d’une manière ou d’une autre à la vente d’actions en bourse. Environ 70% de la population n’a pas d’économies. Parmi les 30% restants, 26% conservent leurs économies uniquement en liquide et, pour la plupart, comme par le passé, non pas à la banque, mais chez soi. La cause en est le bas niveau de développement des instruments du marché boursier. Pourtant, le recours à "l’investisseur massif" est un gage de stabilité financière et sociale. Et inversement, les investissements d’un grand nombre de citoyens dans divers instruments financiers sont le principal indice de la formation d’une classe moyenne.