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L’escroquerie du siècle
Le Temps, 21 avril 2008
, par Georges KARLWEIS
Le plus surprenant, dans la débâcle « subprime », est le fait que des firmes respectées de Wall Sreet, ainsi que de grandes banques internationales, ont utilisé et commercialisé ces produits, alors qu’un examen même superficiel et un minimum de bon sens ne pouvaient autoriser le moindre doute.
La semaine dernière, le FMI a estimé les pertes liées à la présente crise financière à 950 milliards de dollars. Les émissions des seuls mortgage backed obligations (MBO) de qualité subprime ont dû porter sur environ 1500 milliards de dollars. Du crédit initial au produit fini, j’estime que les marges et commissions ont dû laisser aux intermédiaires financiers 30 à 50 milliards de dollars. Ce fut une activité fort rentable et en apparence sans risques.
En réalité, on a menti aux investisseurs. On les a exploités et volés. Les banques américaines se sont mises à vendre, j’ose le dire, de la m... à leurs clients. Ces crédits pourris étaient regroupés sous forme d’obligations collateralized debt obligations (CDO) et autres MBO, jouissant de faux ratings : elles étaient notées triple A, alors qu’il s’agissait de papiers de troisième ordre.
Les apprentis sorciers de ces produits financiers sont maintenant victimes de leurs propres créations toxiques. Ils croyaient qu’il n’y avait aucun risque, en cas de défaut sur les crédits, puisque ces papiers étaient destinés à être immédiatement vendus à des investisseurs sur les marchés financiers. Mais personne n’avait prévu l’effondrement si rapide de ces financements. La crise de crédibilité des établissements financiers qui en découle s’est aujourd’hui muée en une crise de liquidités mondiale. La diminution des fonds propres des banques et le manque de confiance vont sérieusement limiter les possibilités de financement, donc d’investissement.
Parmi les malades graves, on trouve nombre de grandes banques des principales places financières. Avec leurs salles de marchés et leurs véhicules spéciaux d’investissements hors-bilan (SIV), ces banques étaient devenues de véritables casinos ! Elles ont joué gros ! Leurs SIV empruntaient dix fois leur capital au jour le jour ou à six mois. Insensé ! Face à l’étendue de leurs pertes, les voici acculées à réintégrer dans leur bilan les sommes colossales empruntées à court terme ! Ces banques ont en outre accordé de plus en plus de prêts « light cover » (sans véritables conditions). Elles affichent, pour certaines, des milliards de dettes et manquent de liquidités. Les conseils d’administration n’ont même pas veillé au respect des règles bancaires fondamentales, ni celles définies par les accords internationaux de Bâle !
L’apparition des banques « too big to fail » (trop grandes pour faire faillite) a poussé leurs dirigeants à prendre ces risques démesurés pour accroître les bénéfices et... leurs spectaculaires bonus. Si tout tourne mal, les banques centrales interviendront. Du socialisme pour les riches. Nous avons assisté au sauvetage in extremis de la cinquième banque d’affaires de New York, Baer Stearns, fondée il y a 85 ans, grâce au ballon d’oxygène de la Réserve fédérale (Fed) de 30 milliards de dollars, et à sa reprise en catastrophe par JP Morgan Chase. En Suisse, le drame d’UBS était inconcevable et reste injustifiable.
Mais aux Etats-Unis, la Fed a beau injecter des centaines de milliards de dollars dans le circuit, ce sont des remèdes à mon avis insuffisants pour endiguer une telle crise, et qui sont en outre néfastes pour l’avenir du dollar. Alors que les Etats-Unis sont entrés en récession, le billet vert ne cesse de chuter face à l’euro, au franc suisse et aux monnaies asiatiques.
Le plus extraordinaire, c’est qu’Alan Greenspan, l’ex-président de la Fed, qui ne pouvait ignorer ce qui se passait, a fermé les yeux. Il a laissé faire la cupidité des milieux financiers, n’a pas freiné le boom de la construction et l’avènement des « subprime ». Selon moi, financer le consommateur américain ne fait que stimuler les économies exportatrices d’Asie et accroître le déficit de la balance commerciale américaine.
Pour endiguer le chômage, il faudrait que le gouvernement américain ait le courage de lancer d’urgence un vaste programme de grands travaux comme le New Deal des années 1930 : construction ou renouvellement des centrales nucléaires, trains à grande vitesse, ponts, barrages, protection des fleuves et forêts, etc. C’est, je crois, la seule solution pour relancer la machine économique américaine, créer des emplois, redonner confiance au peuple américain... et aux marchés.
Il faut à présent faire basculer le balancier de l’histoire. Après avoir abrogé, sous Ronald Reagan, le Glass-Steagall Act, qui, venant après la Grande Crise, était plein de sagesse, car il séparait les activités commerciales des banques de celles des marchés, nous avons vécu, pendant un quart de siècle, dans un excès inverse de dogmatisme libéral. Les Américains vont devoir prendre des mesures réglementaires contraignantes pour permettre le retour de la confiance sur les marchés. Les Européens aussi. Le « tout-libéral » arrive désormais à ses limites. Mais, d’ici là, il est à craindre que l’on assiste encore dans les prochains trimestres à de nouvelles faillites retentissantes.
Je regrette le temps où les banquiers étaient indéfiniment responsables sur tous leurs avoirs et où ils ne prêtaient pas leur argent à des débiteurs jamais vus, introduits par de simples intermédiaires vivant de commissions. Je regrette encore davantage de découvrir que l’analyse des risques de crédit est maintenant basée sur des calculs de Prix Nobel et autres savants mathématiciens, totalement dépourvus d’expérience bancaire, mais surtout de la qualité la plus importante dans le monde de la finance : le bon sens.
Je ne peux m’empêcher de penser à un « joke » qui m’avait beaucoup choqué, lors de mes premières visites à Wall Sreet : Business is o.p.m. (other people’s money), « les affaires, c’est l’argent des autres ». Ce qui vient de se passer est un scandale qui fait honte à la communauté financière et débouche sur une crise économique profonde. Avec le temps, espérons que la probité et le bon sens prévaudront.
Georges KARLWEIS
http://www.interet-general.info/article.php3?id_article=10742
Messages
1. L’escroquerie du siècle , 22 avril 2008, 12:51
Comme quoi qu’on ne fait pas n’importe quoi avec de l’argent. Tout a ses limites, même le libéralisme. Il ne reste plus qu’à revenir en arrière, et mettre l’homme au centre de tout dispositif, qu’il soit financier, économique ou social. Il en vaut bien la peine non ?