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LUIS SEPULVEDA - CHAIR A BLOG - Salut, vieux Marx

Publie le vendredi 23 décembre 2005 par Open-Publishing
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de Luis Sepulveda Traduit de l’italien par karl&rosa

En France, il y en a qui annoncèrent avec joie que les violences avaient diminué, que la nuit dernière moins de voitures avaient été brûlées et que le nombre de personnes arrêtées par la furie tranquillisante de Sarkozy était moindre.

Mais personne ne fit allusion à l’impérieuse nécessité de réduire l’arrogante idiotie qui avait provoqué la rage destructive d’une génération hors jeu, de milliers de jeunes, les enfants du chômage et de la déchéance sociale, morale, économique et politique.

En Allemagne, pendant la période d’or du miracle économique, à la fin des années Soixante, les Allemands accueillirent euphoriques à la gare de Cologne le millionième émigrant, un Portugais de l’Algarve timide et petit, qui reçut en prime une moto et un bouquet de fleurs sans comprendre un mot du discours d’accueil, où on le remerciait d’ avoir accouru à la construction du Deutsche Wunder.

Un documentaire de l’époque nous montre cette journée : c’était l’automne, il faisait froid, et le président du patronat allemand saluait le Gastarbeiter, un terme dont la traduction la plus exacte est "travailleur invité". Quelques jours après, Willy Brandt lui faisait ses excuses, en tant que chancelier, pour l’accueil honteux. Il lui disait dans une lettre : "Vous êtes la millionième personne qui vient collaborer au plus grand effort économique de l’histoire allemande. Nous vous en savons gré et je vous donne la bienvenue comme être humain, comme personne, comme citoyen étranger avec les mêmes devoirs et les mêmes droits de n’importe quel citoyen allemand".

Les Français ont oublié que les émigrants sont des personnes et pas de la racaille, de la marmaille, comme les a qualifiés le ministre de l’Intérieur Sarkozy. Et ils ont oublié leurs droits et les ont laissés aux marges de leurs devoirs. Soutenir que la rage de ces jeunes, qui n’ont rien à gagner et rien à perdre, soit un simple fait de distraction de la part du pouvoir signifie rendre encore plus confuse la situation des habitants des banlieues. L’Europe regarde étonnée sa pauvreté intérieure. Schröder a refusé de la voir en Allemagne et cela lui a coûté le gouvernement, Mitterrand l’a enterrée avec arrogance et Chirac a continué à y jeter des tas d’ordures. Dégueulasse. De la chair à blog.

Le capitalisme et la perversion du néolibéralisme économique sont arrivés à altérer la fonction émancipatrice de la lutte des classes. Le système capitaliste a la capacité de se rénover lui-même par la négation des résultats conciliatoires du conflit des classes : salut, vieux Marx. Les jeunes des banlieues françaises ne demandent rien d’autre que la confirmation de leur existence, d’aller à la télé, un instant d’éternité. Comme la lutte pour les droits consacrés par la déclaration universelle des droits humains est lointaine.

Et l’Irak est encore plus loin. Une grenade au phosphore blanc, en éclatant, illumine très longtemps le champ de bataille, puis elle se transforme en une fumée dense qui adhère à la peau des personnes et petit à petit dévore les corps jusqu’aux os. Aujourd’hui, nous savons que les états-uniens ont fait usage du phosphore blanc à Falloudja, contre la population civile, c’est clair. Il faut à-peu-près quatre heures pour qu’un homme, une femme, un enfant, couverts de phosphore blanc, meurent au milieu de douleurs inimaginables, la chair brûle lentement tandis que les vêtements restent intacts. Il s’agit d’une arme interdite par la Convention de Genève, mais les Etats-Unis violent la légalité internationale avec la sécurité cynique de l’empire, "conduite impériale sans complexes", comme le réclamait Paul Wolfowitz au début du premier mandat de Bush.

Les Etats-Unis imposent l’inviolabilité de leurs militaires et de leur personnel civil (mais existe-t-il du personnel civil états-unien ?) dans tous les pays du monde. En Italie, ils séquestrent un citoyen allemand, le torturent et puis le font disparaître dans une prison secrète en Egypte. L’Italie existe-t-elle en tant que pays qui a ses propres lois ? Cher président Chavez, bon, commençons à faire les noms de tous les serviteurs de l’empire.

On sait que dans les pays de l’Est européen, dont plusieurs sont membres de l’Union Européenne ou sont en passe de le devenir, les Etats-uniens ont des prisons secrètes, un euphémisme pour indiquer les centres de torture. S’agit-il peut-être d’une nouveauté ? La politique étrangère des Etats-Unis, basée depuis toujours sur l’intromission dans les affaires intérieures de pays seulement en apparence souverains, a eu depuis toujours recours à la torture comme à l’instrument le plus efficace pour éliminer les opposants. Qu’apprenaient les militaires latino-américains à la Escuela de la Américas ? L’homme qui commande en Irak s’appelle John Negroponte et il est le fondateur et l’instigateur des escadrons de la mort en Amérique centrale.

Un sénateur républicain, "américain" d’une façon aussi grotesque que cinématographique, essaie de convaincre le Sénat d’approuver un document censurant la torture, mais seulement aux Etats-Unis. Aujourd’hui, être antimpérialiste est une nécessité dictée par la survie.

Les Etats-uniens se sont servis d’aéroports espagnols pour transférer des personnes séquestrées dans les centres secrets de torture et, tandis que l’église catholique amène ses troupes de pédérastes et de nostalgiques du fascisme dans les rues de Madrid, le ministre espagnol de la Défense, un socialiste à sa façon dont le seul mérite politique est d’être une véritable manne pour les humoristes grâce à sa particulière prononciation du "s" (il ne dit pas Espagne mais Ehpagne), se précipite à défendre les "alliés", sans même se soucier si cela les intéresse.

Avec la droite, on sait qui nous avons devant nous : ou bien ce sont des sots comme Lavin au Chili, ou ils sont pathétiquement ambitieux comme Berlusconi en Italie, ou ce sont des gens qui restent accrochés au pouvoir pour ne pas devoir rendre des comptes de certaines arnaques comme Chirac en France. Certes, il sont dégueulasses, de la chair à blog.

Mais les plus dégoûtants sont les sociaux-démocrates ou les socialistes comme Blair, plutôt que serviteur, mâtin de l’empire. Des gens comme Schröder, qui par simple ambition ou dilettantisme a bradé l’héritage politique exemplaire de Willy Brandt et du suédois Olaf Palme, les porte-drapeau de ce welfare state qui garantissait le développement du socialisme démocratique. A ceux-là on doit ajouter Bono, un triste clown qui se donne des airs de personnage déterminant dans une époque caractérisée par le conflit entre l’impérialisme et les droits humains. Mais la lutte des classes tend à trouver de plus grandes unités, peut-être planétaires, parce que c’est le propre de l’homme de s’opposer à l’exploitation : salut, vieux Karl Marx.

Et en Amérique Latine se renforcent quelques questions. Qu’est ce qu’un traité de libre commerce entre un pays qui soutient sa propre production nationale et un deuxième pays, plus faible, qui adapte les prix de ses produits à la volonté du premier ? Si le Traité de Libre Commerce entre les Etats-Unis et le Mexique a tout le succès dont parle Fox, pourquoi l’exode des Mexicains et des Centre-américains vers le nord augmente jour après jour, vers une nation où ils vivent le plus souvent en clandestinité, chair à canon potentielle, dans n’importe quelle terre que les Etats-uniens décident d’envahir, pour s’acquitter des sales besognes dont les yankees ne veulent pas s’occuper ?

N’est-il pas préférable d’essayer un effort majeur d’intégration locale entre les nations ayant la même culture, la même histoire et dans des conditions de parité ? Il y en a qui affirment que le dialogue commercial avec les Etats-Unis est possible, mais si l’on entend le commerce comme un libre échange de biens assurant la satisfaction de leurs besoins à des masses de plus en plus grandes, comment se fait-il que les Etats-Unis refusent à éliminer ou à réduire les royalties sur le vaccin de la maladie de Chagas parce que cette maladie, transmise par un insecte semblable à la punaise, ne tue "que" quarante mille Boliviens par an, et n’est donc pas rentable ?

Les réponses sont évidentes, mais le silence des gouvernements est dégueulasse, de la chair à blog.

Luis Sepulveda traduction di Ilide Carmignani traduit de l’italien par karl&rosa

http://bellaciao.org/it/article.php3?id_article=11745

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