Accueil > La fronde syndicale, les réformes et l’image du syndicalisme

La fronde syndicale, les réformes et l’image du syndicalisme

Publie le vendredi 10 septembre 2010 par Open-Publishing
1 commentaire

Michel Noblecourt (Editorialiste)

Il y a un aiguillon qui stimule la combativité des syndicats contre la réforme des retraites de Nicolas Sarkozy, c’est le soutien de l’opinion. Selon un sondage BVA pour Canal+, diffusé jeudi 9 septembre, au surlendemain de la journée d’action du 7 septembre, 62 % des sondés souhaitent "qu’il y ait des suites" et 55 % estiment que le gouvernement doit "céder" sur le report de l’âge légal de départ à la retraite. En organisant, le 23 septembre, une quatrième journée d’action - après celles du 27 mai, du 24 juin et du 7 septembre -, les syndicats ont le sentiment d’être "en phase" avec des Français qui, à travers les sondages, expriment leur défiance et leur mécontentement vis-à-vis du pouvoir.

Pour autant, encore à la marge mais de plus en plus bruyamment, une petite musique est en train de monter sur la nocivité du syndicalisme. Venue de la droite et d’une partie du patronat, elle reprend un argumentaire, qui était tombé en désuétude depuis plus de deux décennies, selon lequel les syndicats seraient pêle-mêle les parangons du conservatisme, les gardiens intransigeants d’acquis sociaux intouchables et les fossoyeurs de l’économie de marché.

Le 7 juillet, la CGT et la CFDT ont vu dans le débat parlementaire sur le dialogue social dans les très petites entreprises (TPE) le premier signal de ce qu’elles ont perçu comme une offensive antisyndicale. C’est cette même majorité de droite qui a adopté la loi du 20 août 2008 sur la réforme de la représentativité syndicale - élaborée sur la base d’un accord entre la CGT, la CFDT, le Medef et la CGPME -, qui a rejeté, à l’initiative de Jean-François Copé, président du groupe UMP de l’Assemblée, le projet de création de commissions paritaires du dialogue social dans les TPE.

S’opposant au ministre du travail, Eric Woerth, M. Copé a repris à son compte les arguments du Medef et de la CGPME, qui avaient déployé un intense lobbying pour priver, selon la CFDT, "4 millions de salariés de toute possibilité de représentation collective". La CGPME, dont le président, Jean-François Roubaud, n’a rien d’un boutefeu, avait lancé une pétition contre les commissions paritaires dans les TPE, accusant le gouvernement - "se disant libéral" - de vouloir "introduire suspicion et bureaucratie là où règnent la franchise et le dialogue direct entre le chef d’entreprise et les salariés".

Cette "peur d’une ingérence dansla gestion des entreprises" - alors qu’il n’a jamais été question de faire entrer les syndicats dans les TPE - s’était manifestée, le 16 juin, lors de l’assemblée générale de la CGPME, "Planète PME". En présence de M. Sarkozy, de nombreux participants arboraient un badge "Dans les TPE, non aux syndicats". Laurent Berger, secrétaire national de la CFDT, avait vu dans cet épisode "un fort mépris à l’égard du syndicalisme et un déni de son rôle dans la société".

A peine remis de cette première charge, les syndicats ont reçu un nouveau coup de semonce en août. Dans la revue Commentaire, Yvon Gattaz, ancien président du Conseil national du patronat français (CNPF) - l’ancêtre du Medef -, dressait un violent réquisitoire contre des syndicats qualifiés de "menaçants, tragiques, démolisseurs, démoralisateurs, gréviculteurs" et "politisés". "Inutiles et nuisibles au XXIe siècle, ils doivent disparaître", concluait M. Gattaz. Dans leur entretien croisé aux Echos du 3 septembre, Bernard Thibault et François Chérèque se sont inquiétés de ce vent d’antisyndicalisme. Le secrétaire général de la CGT a dénoncé "des arguments antisyndicaux caricaturaux et condamnables". Et le secrétaire général de la CFDT a invité Laurence Parisot, la présidente du Medef, à "condamner clairement l’antisyndicalisme".

La journée du 7 septembre a conduit Le Figaro à insister sur le "terrible""pouvoir de nuisance" des syndicats. Dans une chronique intitulée "Comment les syndicats ont sapé... et sapent encore notre économie", Yves de Kerdrel les accuse d’avoir "décidé d’arrêter la France". "Les syndicats, écrit-il ce jour-là, ne sont rien d’autre que l’expression la plus primaire de l’immobilisme et de l’aveuglement face à la réalité économique, à l’évidence, aux faits et aux chiffres. La France est en panne à cause de quelques individus, non dépourvus d’arrière-pensées politiques".

Dans leur bataille contre la réforme des retraites, le risque n’est pas mince pour les syndicats d’apparaître comme les champions de l’immobilisme, ceux qui contestent l’idée même de réforme et veulent que rien ne bouge. Or, la loi du 20 août 2008 les oblige désormais à conquérir leur représentativité auprès des salariés. Ils doivent montrer qu’ils sont utiles par les résultats qu’ils obtiennent ou par les réformes qu’ils proposent. Ils sont contraints - et le défi concerne d’abord la CGT - de réhabiliter la réforme."Notre pays a besoin de réformes profondes, proclamait M. Thibault au congrès de la CGT, à Lille, en 2006. Non seulement nous n’en n’avons pas peur, mais nous les revendiquons." De fait, la CGT a proposé des réformes sur la sécurité sociale professionnelle, la représentativité syndicale ou les retraites. M. Thibault veut "alimenter l’espoir dans une période où beaucoup est fait pour inciter au découragement et à la résignation". Mais, en mettant d’abord l’accent sur la "résistance " et les "revendications", son discours tend parfois à masquer sa voie... réformiste.

Courriel : noblecourt@lemonde.fr.

Michel Noblecourt (Editorialiste)

http://www.lemonde.fr/idees/article/2010/09/10/la-fronde-syndicale-les-reformes-et-l-image-du-syndicalisme_1409455_3232.html

Messages

  • "Dans leur bataille contre la réforme des retraites, le risque n’est pas mince pour les syndicats d’apparaître comme les champions de l’immobilisme, ceux qui contestent l’idée même de réforme et veulent que rien ne bouge".

    Ca c’est une phrase qui fait mal. Allonger l’age de la retraitre, c’est réduire l’espérence de vie, statistiques (et bon sens) à l’appui.

    Concernant l’abscence des syndicats dans les TPE, ç’est dramatique. Les rares mobilisations débouchent sur des modalitées de l’appliquation du travail, jamais sur la remise en cause des acquis sociaux.

    Thibault n’est certes pas un grand bonhomme. Mais faire l’amalgame sur les retraites et les TPE, ç’est encore plus nul.