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La fureur déclenche la solidarité en Irak

Publie le vendredi 16 avril 2004 par Open-Publishing


Naomi Klein est l’auteure de : « No Logo, La tyrannie des marques » et plus récemment
 : « Journal d’une combattante : Nouvelles du front de la mondialisation »


De Naomi Klein

Bagdad, la ville tombe devant les forces US. Un an plus tard, elle se soulève
contre elles.

Le Secrétaire à la Défense, Donald H. Rumsfeld, prétend que la résistance est
juste le fait de quelques voyous, bandes de voleurs et terroristes. Il est dangereux
et naïf de penser cela. L’occupation est maintenant combattue ouvertement, par
des gens normaux, défendant leurs lieux de vie - c’est une "Intifada" irakienne.

"Ils ont volé notre terrain de jeu" m’a dit cette semaine un garçon de huit ans
en montrant six chars d’assaut occupant un terrain de football près d’un parcours
aventure rouillé. Le terrain est une oasis de verdure au milieu d’un marécage
d’eaux usées, non traitées et de détritus abandonnés dans ce quartier de Bagdad.

Sadr City n’a pas vu grand chose des milliards de dollars affectés à la "reconstruction" de
l’Irak, et c’est en partie pour cela que Muqtader Sadr et son armée, Al Mahdi,
sont si populaires ici. Avant que le chef de l’occupation US, Paul Bremer, ne
provoque maladroitement un conflit armé avec Sadr en interdisant son journal,
et arrêtant et tuant ses adjoints, l’armée Al Mahdi ne combattait pas les forces
de la coalition ; elle faisait le boulot à sa place.

Après tout, en un an de contrôle sur Bagdad, l’autorité provisoire de la coalition
n’a pas réussi à faire fonctionner les feux tricolores, ou ramener la sécurité la
plus élémentaire pour la population civile. En conséquence, la soi-disant "milice
illégale" de Sadr, s’est vue engagée dans des activités subversives telles que
régler la circulation automobile ou garder des usines. Sadr a simplement rempli
le vide sécuritaire créé par Paul Bremer.

Mais à l’approche de la remise du pouvoir aux Irakiens le 30 juin, Bremer considère
maintenant Sadr et Al Mahdi comme une menace à éliminer - sans tenir compte des
dommages infligés à une population qui en est venue progressivement à dépendre
d’eux. C’est pourquoi, le vol des terrains de jeu n’était que les prémices de
ce que je vis à Sadr City cette semaine.

A l’hôpital Al Thawra, j’ai rencontré Raad Daier, un ambulancier avec une balle
dans l’abdomen, un des douze coups tirés, d’après ses déclarations, par un Humwee
(véhicule militaire) US. D’après des responsables de l’hôpital, il transportait
au moment de l’attaque, six personnes blessées par les forces US, dont une femme
enceinte, touchée à l’estomac et qui a perdu son bébé.

J’ai vu des voitures carbonisées, dont des douzaines de témoins oculaires prétendaient
qu’elles avaient été touchées par des missiles US, et j’ai eu la confirmation
par les hôpitaux que les conducteurs avaient été brûlés vifs. J’ai aussi visité le
Block 37, dans le quartier Chuadir, un alignement de maisons où chaque porte était
criblée de trous de projectiles. Les habitants m’ont dit que les tanks US étaient
passés dans leur rue en tirant sur les maisons. Cinq personnes ont été tuées,
parmi elles, Murtada Muhammad, 4 ans.

Jeudi, j’ai vu quelque chose que je craignais plus que tout cela ; une copie
du Coran qui avait été transpercée d’une balle. Elle gisait dans les ruines de
ce qui fut le QG de Sadr, à Sadr City. Quelques heures plus tôt, d’après les
témoins, les chars US détruisaient les murs du Centre, après que le toit ait été traversé par
deux missiles téléguidés. Mais la destruction la plus terrible a été perpétrée
par les hommes.

D’après les clercs du bureau de Sadr, les soldats sont entrés dans le bâtiment
et ont déchiré les photos du Grand Ayatollah, Ali Sistani, l’autorité religieuse
chiite en Irak. Quand je suis arrivée au Centre, le sol était couvert de textes
religieux déchirés, de copies du Coran déchiquetées et sur lesquelles on avait
tiré avec des armes à feu. Et il n’a pas échappé aux Chiites que quelques heures
plus tôt, les soldats US avaient bombardé une mosquée sunnite à Fallouja.

Pendant des mois, la Maison-Blanche a fait des sinistres prédictions à propos
d’une guerre civile sur le point d’éclater entre la majorité chiite, qui pense
que c’est à son tour de gouverner l’Irak, et la minorité sunnite, qui veut préserver
les privilèges acquis sous le régime de Saddam Hussein.

Mais c’est le contraire qui semble se dessiner cette semaine. Les Sunnites et
les Chiites ont vu leurs maisons attaquées et leurs sites religieux profanés.
En se soulevant contre un ennemi commun, ils commencent à enterrer leurs anciennes
rivalités et unir leurs forces contre l’occupation. Au lieu d’une guerre civile,
ils sont sur le point d’établir un front uni. C’était visible jeudi, dans les
mosquées de Sadr City ; des milliers de Chiites s’alignaient pour donner leur
sang pour les Sunnites blessés dans les attaques de Fallouja. "Nous devrions
remercier Paul Bremer" m’a dit Salih Ali "il a finalement uni l’Irak. Contre
lui".

Traduction bénévole du rezo des Humains Associés : JMM & RI
Publié vendredi 9 avril 2004 par le Los Angeles Times
http://paxhumana.info/article.php3?id_article=421

15.04.2004
Collectif Bellaciao