Accueil > La mémoire sélective de Bayrou
Dieu me savonne, silence et tardive délation
Par dominique conil, mediapart
François Bayrou a la mémoire longue. Il l’a démontré la semaine dernière, lors de ce combat de titans que fut son empoignade télévisuelle avec Daniel Cohn Bendit. François Bayrou a la mémoire courte. Lorsque des parents , en 1998, se sont tournés vers lui, rien.
Ces parents ont écrit à François Bayrou, non sans raison : n’était-il pas alors leur élu ( député et conseiller général),ministre de l’Education un an plus tôt, et, aux moments des faits, parent d’élève de l’établissement privé concerné par l’ouverture d’une instruction pour viols sur mineurs, Notre-Dame de Betharram ?
Notre Dame de Betharram, à 25 kilomètres de Pau, collège et lycée confessionnel du genre strict, murs austères plantés en pleine nature, peut s’enorgueillir d’excellents résultats au bac et même si le site ne mentionne aucun ancien élève, de quelques noms devenus célèbres, tel Jean Charles de Castelbajac.
On y forme les élèves, on y forge les âmes. De rares accrocs. En 1996, alors que le second fils de François Bayrou , Calixte, y fait ses études, un père porte plainte contre la direction. Son fils puni, 14 ans, a été mis à la porte en slip et tee-shirt, pieds nus, sous la statue de la Vierge et par zéro degré. Quelques temps plus tôt, une gifle lui a fait perdre 40% d’audition.
En 1999, c’est beaucoup plus grave. On sauve de justesse Fred [1] un jeune homme qui a tenté de se suicider. A son réveil, Fred évoque « une salle de bains », un viol. Les policiers l’interrogent. Quelques années plus tôt, son père a raccompagné Fred à Notre-Dame de Betharram, où il était collégien depuis peu. En rentrant, il s’est tué sur la route. Le lendemain matin, un enseignant, le père Carricart, lui a annoncé la nouvelle. Et l’a violé pour la première fois.
Le juge Mirande ouvre une instruction, recueille une déposition complète et circonstanciée ; il met en examen le père Carricart, le place sous mandat de dépôt. Surprise, quinze jours plus tard le religieux est remis en liberté par la Chambre d’accusation.. Puis son contrôle judiciaire est levé, il est autorisé à se rendre à Rome.
Autour de Notre-Dame de Betharram, on se mobilise. Ce Fred est un paumé, un débutant en délinquance, un suicidaire confirmé, qui a agressé sa mère. C’est exact. Qui de l’oeuf ou la poule ? On recueille, en faveur du prêtre, des témoignages d’anciens élèves. Parmi ceux-ci, les six pages de Bruno. Il relate ses week-ends, ses vacances en compagnie du Père.
Las, une semaine plus tard, Bruno se présente seul devant le juge, demande à être entendu. Tous ce qu’il a écrit est exact, dit-il, manquent seulement les fellations, les attouchements, etc.. Son témoignage est accablant. Lui, il est un jeune homme bien sous tous rapports. Il veut soutenir Fred, fort seul en son combat, sa petite amie lui conseille de se libérer de ces années qui lui pèsent. Seconde mise en examen, le père est convoqué pour audition le 12 janvier 2000. On commence à dire, ici et là, que d’autres pourraient témoigner.
Mais à Rome, le 5 janvier, le père Carricart disparaît. On repêche son corps dans le Tibre un mois plus tard.
Plus tôt , des parents avaient écrit à François Bayrou, sans obtenir de réponse, pas même cette lettre type vous enjoignant de laisser faire la justice.
Les obsèques du père ont lieu , devant une assemblée nombreuse. On remarque néanmoins que le directeur de Notre-Dame de Betharram, que l’avocat du prêtre, Me Serge Legrand, qui parlait de cabale, sont tous deux absents, pris ailleurs.
On remarque par contre la présence d’Elisabeth Bayrou, épouse de François.
Fin de l’affaire judiciaire, ou presque : l’autopsie de la police italienne faisant problème, le juge ordonne l’exhumation du corps, quelques mois plus tard. C’est bien lui.
Qu’a donc fait François Bayrou, en l’affaire ? Rien de rien. Justement. Cette fois-là, il n’a pas été « bouleversé ». Il n’a fait aucune déclaration sur ces « choses inacceptables pour un parent et un éducateur ». Il dit aujourd’hui vouloir relancer le débat sur "l’héritage de Mai 1968", : "si de tels événements un peu choc peuvent permettre d’aller au bout de cette réflexion, je trouverais que c’est utile".
Alors, allons-y, dans le débat. Car, comme le souligne Stéphane Lavignotte dans les commentaires de son blog ( http://www.mediapart.fr/club/blog/stephanelavignotteorg/040609/sommes-nous-des-enfants-de-pedophiles-notre-soutien-cohn-bend ), mai 68, et les années qui suivirent, furent celles de la libération des mœurs, mais aussi, il faut le rappeler, celles de la libération de la parole. Ex-abusés, ex-violés sortirent du silence et de la honte, racontèrent, portèrent plainte pour certains d’entre eux. Et il ne s’agissait pas d’écrits, mais de viols.
Et que vit-on ? Des théories de crèches parentales dans le box des accusés ? Ou bien, en France comme ailleurs, nombre d’établissements catholiques ( encore récemment, en Irlande) ? Des pensionnats réputés ?
François Bayrou n’a rien fait, dans l’affaire évoquée plus haut, mais très précisément, lorsque des abus sexuels sont dénoncés par des mineurs ( qui en général ne le sont plus), c’est le silence qui tue…
Et ce billet de blog, je ne voulais pas l’écrire. A quoi bon perpétuer la fange d’un débat ? Mais voilà, je lis, je lis, et m’aperçois que l’indignation spontanée de François Bayrou a une base, le mail d’une candidate Modem du 94, abonnée de Mediapart, vice-présidente de l’Association des lecteurs : « Cohn Bendit dit que as touché la Vierge, lui touchait les petits garçons », celui d’une autre abonnée, adepte du débat sur le sujet : qu’elle soit exaucée.
Sur la hauteur politique et l’intérêt du débat télévisé, tout a été dit et écrit. Sur les joies du dossier à charge via internet, le goût pour la délation publique, il y a toujours à dire.
Sources internet : http://www.liberation.fr/societe/0101353045-descente-au-tombeau-du-pretre-suicide
Je précise, car ce n’est pas inutile, que le récit ci-dessus ne provient pas d’internet, mais d’une enquête publiée. A cette occasion, j’avais rencontré plusieurs protagonistes de l’affaire : Bruno, plaignant, Me Gérard Boulanger, avocat de Fred alors hospitalisé, des parents d’élèves ou ex-élèves de Betharram, un policier, le juge d’instruction Mirande ( lié par le secret), Me Serge Legrand, avocat du prêtre.
Lire sur Mediapart ( publié tandis que j’écrivais) :
[1] Les prénoms sont changés