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La révolte sunnite, un tiers de l’Irak ne vote pas
Publie le mardi 1er février 2005 par Open-Publishing
de Toni Fontana traduit de l’italien par karl&rosa
Avec la victoire chiite aux élections qui ont eu lieu hier, s’accomplit et s’achève le "bouleversement" commencé à Bagdad l’après-midi du 9 avril 2003 quand, tirée par un camion-grue des marines, la statue de Saddam Hussein et, avec elle, la dictature, fut abattue. Quelques heures plus tard, des milliers de chiites en fête dévalèrent dans les rues des villes saintes, Nadjaf et Karbala, en mettant fin à l’époque de l’exclusion et de la clandestinité imposée par le raïs. La dictature de Saddam était avant tout une "dictature ethnique", dont le "clan de Tikrit" était un pilier décisif, mais pas le seul. L’armée et spécialement la Garde républicaine, les appareils étatiques et de l’industrie pétrolifère étaient ethniquement purs. Cette caractéristique était devenue encore plus marquée après la répression de la rébellion chiite (et kurde) qui avait suivi la défaite au Kuwait (mars 1991).
Parmi les rares Irakiens qui fêtèrent la chute de la statue de Saddam il y avait aussi Ahmad Chalabi, un louche intrigant recherché par Interpol pour banqueroute et subventionné des décennies durant par la CIA. Les deux premiers administrateurs américains, Garner et ensuite Bremer, sur les "conseils" de Rumsfeld, firent aveuglement confiance à Chalabi, qui promut une purge au style stalinien en rédigeant lui-même les listes de fonctionnaires à chasser. L’armée et la police furent dissoutes et l’appareil étatique fut décimé. En quelques semaines 500mille sunnites, la classe élue à l’époque de Saddam (même si des "repentis" et des transformistes ne manquèrent pas), furent éloignés des appareils de l’Etat.
La conséquence de cette politique entreprise par les Américains fut qu’au moins deux millions de personnes furent réduites à la misère. Ces faits, qui remontent à 2003, doivent être rappelés puisqu’ils expliquent pourquoi hier des millions d’Irakiens ne sont pas allés voter, non seulement parce que les égorgeurs d’Al Zarqawi les font chanter, mais aussi parce que le choix de les exclure a été décidé dans un bureau par les occupants. Depuis qu’à Fallouja et dans les autres centres sunnites la révolte a éclaté, le commandement Usa a misé exclusivement sur la solution militaire, ordonnant des campagnes de plus en plus massives, comme celle qui, au mois de novembre, a mené à la destruction et à la réoccupation de Fallouja. Toutes les tentatives de négociation, amorcées aussi par le premier Allawi, ont été tuées dans l’oeuf par les commandements américains.
Le fait que la guérilla ait continué à agir est la preuve de l’échec de la stratégie de la "terre brûlée" poursuivie par Bush. Maintenant, après la victoire chiite, parmi les nombreux scénarios qu’on peut envisager pour l’avenir de l’Irak, il y en a deux qui apparaissent comme les plus probables : la guerre civile généralisée ou l’amorce de la négociation avec la partie des sunnites qui semble en mesure de négocier.
La deuxième hypothèse semble la seule qui puisse conjurer la première. En effet, il n’est pas pensable que le nouveau parlement élu hier définisse une constitution sans l’apport d’un tiers du pays. Les vrais dirigeants de la lutte armée, comme Izzat Ibrahim al Douri, aux côtés de Saddam durant des décennies, le seul membre de la "coupole" du régime baathiste qui est arrivé à échapper à la chasse des américains, accepteront bien difficilement une négociation. En outre ces derniers, vrais "tuteurs" des équilibres irakiens, qui sait pour combien de temps encore, ne permettraient pas la réhabilitation de personnages de premier plan du clan du raïs.
Une autre figure en liberté du régime passé est Saadum Hammadi, ancien ministre des Affaires Etrangères, tombé en disgrâce ensuite et nommé président du parlement (une charge presque symbolique à l’époque du raïs). Les Américains ne l’ont pas arrêté et ne l’ont pas mis dans la liste des recherchés. Ensuite Hammadi a disparu, peut-être en Jordanie. Au contraire, les chefs tribaux de la province de al-Anbar (comprenant Fallouja et Ramadi) comme Majid et Amir Salman, pourraient être impliqués dans la négociation.
En Jordanie se trouvent aussi quelques anciens ambassadeurs (en Egypte, en Syrie et au Bahreïn) et des personnalités comme Quais Aref, le fils de l’ancien président Abdul Rahman Aref), Hassan-al-Bazaz (frère de l’ancien premier ministre Abdul Rahman al Bazaz), l’expert militaire Abdul Wahab al-Kassab et Zuhair al Doulaimi, considéré un baathiste modéré. Le premier ministre Allawi aussi bien que le président Al Yawar, sunnite, ont amorcé ces derniers mois des contacts avec ces dirigeants, actuellement en exil. Il y a donc dans la direction irakienne la conscience que seule la négociation peut conjurer l’affrontement final et jusqu’à la dernière goutte de sang entre les différentes âmes de la communauté irakienne.