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La révolution américaine d’Obama

Publie le mercredi 26 décembre 2007 par Open-Publishing
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de DOMINIQUE MOISI

En huit ans, George W. Bush a réussi à personnifier et à exacerber tous les préjugés et stéréotypes négatifs sur les Etats-Unis. Il a éveillé l’hostilité mondiale plus que tout autre président américain avant lui et, en usant et abusant du « hard power » américain (puissance matérielle et militaire), il a nui gravement à son « soft power » (image, culture, valeurs).

La double priorité du prochain président américain consistera à réconcilier les Etats-Unis avec eux-mêmes et avec le monde. Le seul candidat qui paraît capable d’y parvenir et de restaurer en une fraction de seconde la réputation du pays est Barack Obama.

Les périodes exceptionnelles font parfois naître des leaders exceptionnels. Sans la Révolution française, Napoléon Bonaparte serait resté un militaire doué, mais frustré. L’Amérique traversant une période singulière, il lui faut un dirigeant capable de changer fondamentalement la vision que les autres pays ont d’elle, c’est-à-dire d’arrogance, d’impuissance et d’égoïsme.

Comme on peut s’y attendre, les antiaméricains irréductibles ne croiront jamais en la possibilité d’un tel changement - ils ne représentent toutefois qu’une minorité, sauf exception éventuelle du monde musulman. La majorité silencieuse n’attend que d’être convaincue qu’il y a une vie après Bush.

Pourquoi Barack Obama est-il si différent des autres candidats à la présidentielle ? Pourquoi pourrait-il faire une telle différence au niveau international ? Après tout, en matière de politique étrangère, la marge de manoeuvre du prochain président sera très faible. Il (ou elle) devra rester en Irak, s’engager dans le conflit israélo-palestinien aux côtés d’Israël, faire face à une Russie plus forte, traiter avec une Chine plus ambitieuse que jamais et affronter le problème du réchauffement planétaire.

Barack Obama peut faire la différence non en raison de ses choix politiques, mais de ce qu’il est. Au moment même où il apparaît sur les écrans de télévision du monde entier victorieux et souriant, l’image et le pouvoir d’attraction américains font l’objet d’une sorte de révolution copernicienne.

Pensez à l’impression que ces élections laisseront en Afrique, mais aussi en Asie, au Proche-Orient et même en Europe. En accédant à la suprématie mondiale, les Etats-unis sont devenus l’incarnation de l’Occident - un Occident « blanc ». Le pouvoir est passé de la côte Est à la côte Ouest, puis au Sud. Si le glissement du pouvoir vers l’autre côté de la barrière raciale n’est pas révolutionnaire, qu’est-il exactement ?

Bien entendu, c’est simplifier à l’extrême que de réduire Barack Obama à sa couleur de peau, même s’il n’a pas hésité à mettre en avant ses « racines noires ». En fait, les Afro-Américains ne le soutiennent pas en bloc ; avec une mère blanche et un père africain, il ne correspond à aucun précédent afro-américain.

Mais c’est aussi pour cela que Barack Obama est exceptionnel. La complexité de son identité le rend vraiment universel : il est le candidat mondial de l’ère mondiale. Grâce à son histoire personnelle unique, il peut rapprocher l’Afrique, l’Amérique et même l’Asie - où il a étudié, alors enfant, dans une école musulmane - et raviver l’image et le message universels de l’Amérique.

Par-dessus tout, ce qui rend Barack Obama unique au vu de ce qu’ont traversé les Etats-Unis durant les années Bush, c’est la nature du message qu’il délivre, parfaitement résumé par le titre de son ouvrage « The Audacity of Hope » (« L’Audace d’espérer »). Si l’Amérique peut passer d’une culture de crainte à une culture d’espoir - et être à nouveau porteuse d’espoir pour le monde entier -, il faudra que son chef de file incarne le rêve américain : à la fois moderne et armé d’un message religieux humaniste, par opposition à l’irrationalisme anxieux du mouvement conservateur chrétien sur lequel repose la politique de Bush.

Que Barack Obama tienne ses promesses ou non, les Etats-Unis ne retrouveront pas la stature qu’ils avaient entre 1941 et 2000. Avec ou sans lui, il n’y aura pas de nouveau « siècle américain ». Il peut malgré tout tirer un enseignement des erreurs de Jimmy Carter au milieu des années 1970. Le néo-isolationnisme n’est pas une option envisageable, contrairement à la modération fondée sur la confiance et la sagesse.

Ce qu’il faut au monde, c’est une Amérique plus humble et plus confiante. Pour un Européen profondément troublé et attristé par l’évolution de l’Amérique ces dix dernières années, de tous les candidats officiels à l’élection présidentielle, Barack Obama est celui qui se rapproche le plus de cette nouvelle idée d’Amérique.

DOMINIQUE MOISI est l’un des fondateurs de l’Institut français pour les relations internationales, où il est également conseiller. Il est actuellement professeur au Collège de l’Europ à Natolin (Varsovie).

http://www.lesechos.fr/info/analyses/4664967.htm

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