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Le Nuage de Poussière

Publie le mardi 19 juillet 2005 par Open-Publishing
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de Robert Dehoux

" Ils " voyagèrent au delà des mers... " Ils " nous revinrent adultes et s’appelèrent Grands Timoniers, Guides Éclairés, mais nous ne reconnûmes plus les voix de nos fils devenues blanches, partiales, endormeuses, voix et consciences des possédants d’Outre-Mer. (Maurice Boïkassé Buafomo)

Durant les années cinquante, j’étais au Congo pour le compte de la Mobil Oil, une grosse boîte qui m’envoyait dans d’autres grosses boîtes vendre des lubrifiants. Si bien que j’ai parcouru le pays un peu dans tous les sens. Or il se fait qu’à l’époque il y avait peu de bagnoles qui circulaient en brousse. Aussi, c’était comme le Paris - Dakar : je soulevais derrière moi un nuage de poussière et chaque fois que je passais dans un village tous les gosses étaient là pour fêter l’événement : Bwana ! Bwana ! Bwana ! Et moi, bien sûr, je saluais, à gauche, à droite, souriant comme un con - un peu comme le Jean-Paul en visite officielle dans sa " papa- mobile ", la différence étant que moi, j’étais plutôt gêné. Car c’est un fait, une fois disparu à l’autre bout de l’horizon, mon nuage avait de fortes chances d’être mal interprété. En effet, alors que moi j’étais en train de courir derrière mon foutre dieu de salaire, je me disais que dans chaque village ma nom de dieu de bagnole pouvait faire croire que je vivais dans un monde merveilleux, un monde où il suffisait de pousser sur une pédale pour éprouver des émotions inconnues jusque là.

D’ailleurs, le fait est qu’une grande partie de cette jeunesse s’en est allée peupler les villes où on la retrouve maintenant en train de courir derrière de foutre dieu de salaires et d’éprouver des émotions effectivement nouvelles, celles que procure un permanent besoin d’argent.

Une autonomie tribale mise à mal

Cela dit, ce véritable exode n’était que l’aboutissement logique d’un processus amorcé par les armes une cinquantaine d’années auparavant, " légitimé " par les curés et " justifié " par l’Histoire, le " progrès social " et les besoins correspondants de la technologie.

Ainsi, au tout début de la colonisation, le colonisateur avait-il dû procéder à des transplantations massives de populations indigènes pour en faire une main-d’œuvre qualifiée dans le pelletage des boues et le grattage des minerais et forcément docile puisque déracinée - une pratique qui était donc à proprement parler esclavagiste mais qui fut qualifiée de civilisatrice pour être politiquement correcte à une époque où l’esclavage était supposé aboli pour toujours par les nations démocratiques.

Et puis adviendra petit à petit le grand changement qui allait offrir à la colonisation l’occasion d’améliorer son image de marque et de la positiver : une raison objective de quitter le village allait en effet progressivement se manifester. Elle constituera l’apport des Pères, à la fois Blancs et Missionnaires, au processus de civilisation des tribus africaines et à leur intégration dans la mondiale des banques.

C’est qu’en effet, lesdits Pères, assistés bien entendu par la force publique, allaient efficacement s’attaquer aux pratiques ancestrales de la contraception dont le but évident était de proportionner la démographie locale aux ressources locales du milieu naturel. Une politique anti-capote anglaise qui aura évidemment pour conséquence un surpeuplement qui allait mettre un terme à cette autonomie tribale qui n’arrangeait les bidons ni de l’église ni des industriels du cobalt et du cuivre.

Ces "sauvages" qui voulurent être... gouvernés.

Et le résultat fut qu’on vit arriver dans les villes une main-d’œuvre servile mais d’autant plus docile que cette fois elle était " volontaire ". Ainsi, alors qu’en brousse, ces " sauvages " ne devaient rien ni ne demandaient rien à personne, et pouvaient donc être considérés comme des non-êtres politiques, ils étaient finalement devenus politiquement corrects. C’est à dire que non seulement ils étaient colonisés, mais voulaient être colonisés ; que non seulement ils voulaient être colonisés, mais voulaient être gouvernés comme si ça allait de soi pour eux aussi ! En raison de quoi les puissances coloniales allaient pouvoir, avec un semblant de raison, gommer l’image de sociétés esclavagistes qui leur collait à la peau pour s’attribuer celle de sociétés authentiquement humaines, soucieuses du bien des peuples et volant au secours des immigrés de l’intérieur en offrant du travail.

Et c’est ici que se révèle toute la perversité de mon nuage de poussière : la force d’attraction exercée sur les esprits par la bagnole réussit à apporter un semblant de raison humaine à la nécessité de quitter le pays des ancêtres : on n’émigrait pas uniquement pour se faire assister mais aussi pour pouvoir découvrir ce monde forcément merveilleux d’où sortaient et rentraient les bagnoles. De sorte que tous ceux qui en brousse se sont sentis menacés de famine ont pu nourrir l’espoir non seulement de survivre dans les milieux urbains mais encore de pouvoir y profiter de la vie. Si bien qu’ils affluèrent, cherchant la bonne fortune.

Mais comme, là aussi, les curés conjuguaient le " respect de la vie " et " proscription de la capote " - les immigrants ne purent que faire beaucoup d’enfants. De sorte que non seulement ils allaient une fois de plus être surpeuplés mais par surcroît dans l’incroyable obligation de se faire concurrence sur un marché de l’emploi de plus en plus encombré. Ce qui les rendra de plus en plus humbles devant ceux qui avaient les bagnoles et l’argent des bagnoles. Lesquels ont profité bien entendu de la situation pour s’entourer de boys dont ils feront des porteurs de paquets et cireurs de parquets et dont ils attendront qu’ils disent " très bien bwana, merci bwana " pour chaque travail qu’ils recevaient de leur employeur comme un cadeau du ciel.

Mais comme le nombre des immigrés n’arrêtait toujours pas de grossir en même temps que celui des naissances, le jour viendra où, faute de parquets à cirer, ceux qui ne trouveront pas de brosse à reluire vont se multiplier, se mettre à mendier et implorer de l’assistance - bonne occasion pour les curés de remplir à la fois leur mission pastorale et les locaux en briques de leurs missions évangéliques, locaux qu’ils firent naturellement cirer par leurs assistés mêmes, en échange des croûtons de pain qui leur venaient des sociétés caritatives.

Et vinrent les Indépendances "tcha-tcha"...

C’est lorsque les villes se sont ainsi entourées de bidonvilles bourrés de nécessiteux, tous autogestionnaires de leurs propres misères, que les Grandes Nations se sont entendues pour accorder et reconnaître l’indépendance des Colonies - assurés qu’elles étaient en effet de pouvoir s’allier et museler les futurs " dirigeants ", de pouvoir compter sur eux pour perpétuer l’ordre établi et de pouvoir ainsi poursuivre, par leur intermédiaire et le truchement de la Mondiale des Banques, l’exploitation des mines, des plantations et des forêts d’Afrique sans lesquelles les grandes puissances ne pourraient pas le rester.

Et ces proclamations d’indépendance " tcha-tcha-tcha " seront d’autant plus politiquement correctes que, grâce à ce geste, les ex-colonialistes (soi-disant ex) vont pouvoir peaufiner leur nouvelle image de marque : celle de défenseurs du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ainsi que des " vraies valeurs " tout à la fois humaines, démocratiques, morales et éternelles.

Cela dit, sur le terrain, le sort des affamés une fois confié aux bons soins des autorités locales internationalement reconnues, ne s’est pas amélioré pour autant - les causes de la merdouille n’étant bien entendu nullement éradiquées. Si bien que pour maintenir un semblant d’ordre, lesdites autorités locales ont dû avoir recours aux mêmes méthodes que celles utilisées durant les 19ème et 20ème siècles dans les pays démocratiques contre les ouvriers que le machinisme avait mis au chômage et qui gueulaient dans les rues des grandes capitales pour avoir du travail. De sorte que les massacres perpétrés en Afrique depuis l’Indépendance par les forces de l’Ordre ne font que reproduire avec cent ans de retard ceux de Paris, Londres, ou New-York - avec cette différence toutefois considérable que les sans-emploi de Kinshasa, de Tombouctou ou d’où que ce soit auront beau gueuler tant qu’ils pourront pour du travail, on ne voit pas bien comment leurs dirigeants pourraient les satisfaire alors que les matières premières qui permettraient de leur en donner ont pris, et prennent toujours, le chemin de l’Europe en vue, comme je disais, de clouer le bec des travailleurs civilisés - ce qui exclura bien entendu tout espoir de colonisation en sens inverse.

Ah ! la communauté internationale...

Dès lors, que pourraient faire ces dirigeants locaux, si ce n’est implorer de l’aide auprès de ceux-là même qui dépouillent leurs régions et vident l’Afrique de sa substance - tout en parant comme il se doit au plus pressé et en tirant dans le tas au moindre soulèvement - et en endossant du même coup la responsabilité d’événements que l’Organisation Mondiale des Faux-Culs (OMFC) qualifiera d’indignes et de contraires aux " vraies valeurs " qu’elle se déclare défendre. En raison de quoi les Responsables de l’OMFC, respectueux d’une alternance qui sert de fondement même à la Démocratie, apporteront de l’aide aux opposants locaux de ces dirigeants locaux discrédités par des tueries qu’ils n’auraient pu éviter qu’en se flinguant eux-mêmes.

L’aide apportée par l’OMFC se fera principalement sous forme d’armes en tous genres produites dans le Monde Libre et dont l’efficacité redoutable justifiera corollairement l’envoi sur place de secours médicaux, de casques bleus et de farines. Et c’est ainsi que l’OMFC sera lavée de tout soupçon de partialité et pourra même se dire en droit de jouer le rôle d’arbitre dans le règlement de conflits dont de toute évidence elle est partout la cause première.

Cela dit, examinée sous un autre angle, celui des affamés eux-mêmes sur qui s’acharnent les forces de l’ordre, que pourront-ils effectivement penser de la situation, si ce n’est que leurs dirigeants sont des crapules - ce que de toute évidence ils sont - et que les Grandes Nations dispensatrices de l’aide humanitaire seraient au contraire dignes de considération respectueuse. Si bien que revoilà sous une autre forme ce nuage de poussière qui les avait fait rêver d’un monde meilleur lorsqu’ils vivaient en brousse. Et c’est ainsi qu’à leur besoin de foutre le camp inspiré par les matraques et la famine, s’ajoutera le désir de connaître ce monde d’où venaient et rentraient les avions - cette Europe où régnait sans nul doute la justice à entendre les discours humanitaires selon lesquels tout devait être politiquement pensé pour le bien de tous (car tel serait l’Esprit des Lois), et industriellement produit pour le bien-être de chacun (car tel serait le sens du travail).

Bien entendu, aucun d’entre eux n’ignorait que le monde en question était celui d’où étaient venus les colonisateurs, les chicotes, les militaires et les curés. Mais qui aurait pu penser que, dans ce même monde où entrait tout ce qui vidait d’Afrique, les autochtones étaient toujours en manque de quelque chose ?! Tant de travail et malgré tout se trouver dans le besoin, une telle aberration, ça n’avait pas de bon sens. En raison de quoi beaucoup n’y ont même pas pensé. Surtout que, par surcroît, les apparences pouvaient effectivement faire illusion étant donné que les Blancs qui foulaient le sol africain - et pouvaient donc être considérés comme des modèles - menaient une existence apparemment enviable. Il n’y avait qu’à les regarder, ces vacanciers débarquant de leur Boeing et venus passer trois semaines à se faire tirer le portrait sur fond de couleur locale et filant paternellement la pièce aux portiers d’hôtels, aux porteurs de paquets et aux cireurs de bottes, il n’y avait qu’à les voir pour se sentir tout petits et pour rêver de l’Europe en espérant y être reçus au nom des grands principes d’égalité et de fraternité dont nul n’aurait osé penser qu’ils puissent n’être qu’un piège à cons pour les Européens eux-mêmes.

Servitude volontaire...

C’est qu’en effet les Africains ignoraient tout du processus qui avait fini par donner de quoi faire de leur nez aux descendants de ceux qui n’étaient encore que de véritables damnés de la terre en 1883 - c’est à dire du temps où Paul Lafargue, gendre de Karl Marx, écrivit son " Éloge de la Paresse " qui fit alors scandale dans les milieux autorisés, et qui démarre par référence à Aristote.

Dès le quatrième siècle avant J.C., rapporte Lafargue, Aristote fit un rêve merveilleux : " Si chaque outil, écrivait-il, pouvait exécuter sans sommation sa fonction propre - si, par exemple, les navettes des tisserands tissaient d’elles-mêmes - le chef d’atelier n’aurait plus besoin d’aides, ni le maître d’esclaves. " Et Lafargue de commenter ce texte : " nos machines, écrit-il, nos machines au souffle de feu, aux membres d’acier, infatigables, à la fécondité merveilleuse, inépuisable, accomplissent docilement le travail désiré, et le rêve d’Aristote est donc devenu réalité. " Et pourtant, déplore l’auteur, l’esclavage subsiste encore, sous la pire de ses formes, celle du salariat, celle qui oblige l’ouvrier à s’apporter lui-même sur les marchés pour essayer d’y vendre son temps, son savoir et ses muscles - une perversion de l’esprit qu’Étienne de la Boétie avait d’ailleurs justement qualifiée de " servitude volontaire " dès le milieu du XVIème siècle.

Et le fait est qu’au temps de Lafargue, le système du salariat poussait les travailleurs à se dépenser jusqu’aux limites du supportable comme l’observait déjà le docteur Villermé en 1863, c’est à dire vingt ans auparavant : " Il faut les voir, dit-il, ces ouvriers, arriver chaque matin en ville et repartir chaque soir. Il y a parmi eux une multitude de femmes, un panier à la main où sont les provisions de la journée, pâles, maigres, marchant pieds nus au milieu de la boue et qui, à défaut de parapluie, portent, renversés sur la tête, lorsqu’il pleut ou qu’il neige, leurs tabliers ou jupons de dessus pour se préserver la figure et le cou ; et il y a ces jeunes enfants non moins sales, non moins hâves, couverts de haillons, tout gras de l’huile des métiers qui tombe sur eux pendant qu’ils travaillent, et qui cachent sous leur veste, comme ils peuvent, le morceau de pain qui doit les nourrir jusqu’à leur rentrée à la maison 15 heures plus tard "

Inutile d’en dire plus : le milieu ouvrier, c’était vraiment l’enfer - et l’ouvrier européen, un authentique " damné de la terre ".
Cela dit, toute cette énorme production dont rien ne revenait aux travailleurs eux-mêmes, hormis une croûte de pain, à quoi donc pouvait-elle bien servir à cette époque ?

Lafargue donne à ce propos des précisions intéressantes :
" La classe capitaliste, dit-il, s’est trouvée condamnée à la surconsommation. [Ainsi, alors qu’] au début de la production capitaliste le bourgeois était un homme rangé, de mœurs raisonnables, se contentant de sa femme ou à peu près, ne buvant qu’à sa soif et ne mangeant qu’à sa faim, [ne voila-t-il pas qu’] aujourd’hui, il n’est bourgeois qui ne s’empiffre de chapons truffés et de Lafite navigué, pour encourager les éleveurs de La Flèche et les vignerons du Bordelais. À ce métier, l’organisme se délabre rapidement, les cheveux tombent, les dents se déchaussent, le tronc se déforme, le ventre s’entripaille, la respiration s’embarrasse, les mouvements s’alourdissent, les articulations s’ankylosent, les phalanges se nouent ..."
Et, par dessus le marché, poursuit Lafargue, pour remplir sa fonction sociale de pourvoyeur de travail, le bourgeois a dû faire plus encore que " se livrer au luxe effréné, aux indigestions truffées et aux débauches syphilitiques : il a dû soustraire au travail productif une masse énorme d’hommes et de femmes afin d’en faire ses domestiques. "

Au point que, d’après un recensement de 1861, l’auteur constate qu’il y avait en France un plus grand nombre de lave-linge et lave-vaisselle en chair et en os que de véritables producteurs ; surtout si l’on songe que, par surcroît, parmi ces derniers se comptait " la classe nombreuse des malheureux voués exclusivement à la satisfaction des goûts dispendieux et futiles des classes riches, tailleurs de diamants, dentellières, brodeuses, relieurs de luxe, couturières de luxe, décorateurs des maisons de plaisance, etc."
Bref, une formidable débauche d’activité qui n’avait en fin de compte d’autre objectif sérieux que d’entretenir le salariat en gaspillant l’énergie et le temps des salariés eux-mêmes. De sorte que la consommation de la production des " damnés de la terre " n’était que le gaspillage d’un gaspillage de plus en plus carabiné à mesure qu’augmentaient les rendements mécaniques.
Au point que les résultats ne tardèrent pas à dépasser les prévisions les plus optimistes ainsi que Lafargue l’observe encore dans son pamphlet :
"Rien, rien ne peut écouler les montagnes de produits qui s’entassent plus hautes et plus énormes que les pyramides d’Égypte. Au point que les fabricants, affolés, doivent recourir à la falsification pour en abréger l’existence, témoignant ainsi de leur philanthropique ingéniosité, et de l’horrible perversion des ouvriers qui, pour assouvir leur vice de travail, obligent les industriels à étouffer les cris de leur conscience jusqu’à violer les lois de l’honnêteté commerciale."

Et les rendements n’arrêtaient pas de croître, ni la Machine d’être plus performante. Au point qu’un jour les bourgeois, quelle que soit leur application à falsifier la production et s’investir à corps perdu dans le beaujolais, la truffe, la soie et le reste, furent incapables de venir seuls à bout des stocks.
D’où des licenciements et des chômeurs en masse, chômeurs qui, acculés par désespoir aux toutes dernières extrémités, n’hésitaient plus, vomissant leur dégoût, à s’avancer au coude à coude se faire flinguer par les gendarmes tout en gueulant le mot d’ordre qui fera trembler la Bourgeoisie sur son fondement : " Abolition du Salariat ! "

Cela dit, se débarrasser des chômeurs en les faisant flinguer pouvait certes convenir à un état d’urgence. Mais impossible d’en faire une habitude et de recourir à ce moyen au delà de quelques années. Les gendarmes eux-mêmes, fils du peuple, frères des victimes, risquaient en effet de s’attendrir.
Aussi, les tenanciers de la Ventripotence ont-ils eu besoin de solutions nouvelles pour vaincre le chômage. Et comme ils étaient déjà experts dans l’art de fabriquer des armes, l’idée leur est tout naturellement venue d’investir dans le canon le trop-plein des muscles prolétariens.

Solidarité avec les colonisateurs...

Et c’est ainsi qu’une politique d’armement fut adoptée dans tous les pays du vieux continent et qui pourrait s’appeler le " premier new deal ". Car, du point de vue économique, scientifique et historique, ce fut un formidable bond en avant du fait que les canons, il a fallu les fabriquer et que pour les fabriquer, il a fallu plein de matières qui ne pouvaient plus se trouver sur place. De sorte qu’il a fallu chercher ailleurs. Ce qui donnera l’idée de la coloniser l’Afrique et de déporter des populations entières de la brousse vers des centres miniers que l’OMFC considérera bien entendu comme ses propriétés privées. Et c’est ainsi que l’asservissement des Africains est venu au secours du Salariat en tant que système d’exploitation dont profitait la Bourgeoisie européenne. Et que jamais il n’y avait eu autant de canons sur la planète.

Des canons, oui ! mais à quelle fin ? Et qui les servira ? Et contre qui serviront-ils ?
Et c’est ainsi que germa d’idée d’une Guerre Mondiale qui allait être une fabuleuse boucherie et sera en fait l’apothéose de ce " premier new deal " - Guerre à laquelle bon nombre d’Africains eux-mêmes seront d’ailleurs tenus de participer - en signe, bien sûr, de solidarité envers leurs civilisateurs.

Bien entendu, pour que l’idée fonctionne, et que les massacres aient lieu, il fallut bien que les Militaires confient des armes aux Prolétaires, c’est à dire à ceux-là mêmes dont un grand nombre rêvait alors de se servir pour foutre en l’air tout le système. Ce en quoi, le pari était risqué. Surtout que les armées dites nationales, avaient elles-mêmes régulièrement tenu le rôle du gendarme. En fait (Lafargue encore), "elles ne servaient qu’à protéger les capitalistes contre la fureur des ouvriers considérés comme l’ennemi intérieur... Ainsi, les forts de Paris et de Lyon n’ont pas été construits pour défendre la ville contre l’étranger, mais pour l’écraser en cas de révolte. Idem pour la Belgique, pays de cocagne du capitalisme dont la neutralité est garantie par les puissances européennes, mais dont l’armée n’en est pas moins l’une des plus fortes en proportion de la population. Dès lors, que sont les glorieux champs de bataille de la brave armée belge ? Ce sont les plaines du Borinage et de Charleroi. C’est là, dans le sang des mineurs et des ouvriers désarmés, que les officiers belges trempent leurs épées et ramassent leurs épaulettes ! "
C’est assez dire le potentiel de haine accumulé contre ces Mercenaires. Assez dire aussi l’ampleur que devait avoir la crise, pour que, malgré tout, le pari soit pris de faire une guerre, et donc de mettre des armes entre les mains de l’ " ennemi intérieur ".

Et c’est en quoi 14-18 fut exemplaire en tant qu’exploitation par les gouvernements de la pétoche de leurs concitoyens pour les envoyer se faire casser la gueule en tant qu’enfants de la mère Patrie - et cela, bien sûr, pour la défense des " vraies valeurs " et de la Liberté. Ainsi, pour contrer le risque de révolte massive, a-t-il suffi de tenir en permanence les travailleurs armés de la Nation dans le collimateur de la gendarmerie Nationale, et d’inciter celle-ci à tirer sans merci les déserteurs d’une part, et les mutins de l’autre. Un ordre que les gendarmes eux-mêmes exécuteront d’ailleurs d’autant plus volontiers qu’ils préféraient rester derrière le front que d’aller se faire eux-mêmes trouer la panse en première ligne.
Si bien que les conscrits, terrorisés, se sont trouvés face à l’alternative suivante :

- ou périr à coup sûr s’ils faisaient mine de s’enfuir ou de s’entendre pour retourner les armes,
- ou bien avoir une chance de s’en tirer en se pliant aux ordres.

Autant dire qu’ils n’avaient guère le choix et que c’est pourquoi ils se sont mis à canarder les gens d’en face - qui faisaient de même, bien entendu, et pour exactement les mêmes raisons. Ainsi, quel que soit le camp auquel ils appartenaient, tous fuyaient en avant, leur pire ennemi se trouvant en effet derrière eux - le résultat étant que les cimetières des deux armées se peupleront de fuyards qui n’auraient rien perdu à retourner les armes puisqu’ils sont morts de toutes façons - et que la légion d’honneur devrait plutôt revenir aux déserteurs qu’aux survivants de la Grande Guerre.

Telle s’affirmera donc globalement cette dernière : une fantastique opération de marketing patriotique grâce à laquelle la production massive allait être immédiatement suivie de destruction massive dans les deux camps, tandis que des millions de travailleurs, plutôt que d’être au chômage, allaient bénéficier dans les tranchées de quatre années de congés payés, fusils, canons, obus, cartouches à volonté, animation garantie par des Généraux auprès desquels les G.O. du Club Med font figure d’enfants de chœur.

Mais cela dit, la réussite fut telle que l’industrie aurait fini par manquer de bras si un terme n’avait été mis au carnage. Une décision qui semblait d’autant plus s’imposer que l’usure du matériel et l’énormité des ruines accumulées avec succès de part et d’autre grâce à la Grosse Bertha et sa famille nombreuse, promettait aux survivants du travail pour longtemps dans la reconstruction.

Beaucoup dans les hautes sphères se sont bercés de cette illusion. Mais c’était là compter sans les foudroyants progrès que le machinisme avait effectué dans tous les domaines sur l’arrière des deux fronts grâce à la Guerre et l’ingéniosité des hommes de science planqués dans les bureaux d’étude. Des progrès tels que les travaux de remise en état ne prirent même pas dix ans avant que le chômage reprenne, plus menaçant que jamais.

Si bien que, dès la fin des années 20, une Grande Crise économique fit suite à la Grande Guerre.
Pour sortir de cette crise, et à défaut d’immédiatement pouvoir reprendre les combats, il fallut bien trouver une autre solution - sans pour autant, bien entendu, préjudicier l’industrie de guerre qui demeurait, même en temps de paix, l’une des plus sûres et des plus grandes poubelles où engloutir du temps de travail. D’ailleurs " qui veut la paix prépare la guerre " comme disaient les Romains, il y a plus de 2000 ans, car ils possédaient déjà pleinement l’art d’occuper des esclaves - des esclaves qui, notons-le, n’étaient pas encore devenus volontaires faute d’avoir été christianisés. La deuxième guerre mondiale sera une belle illustration du bien-fondé de cette politique d’occupation et de pacification de l’ennemi intérieur, dans toute l’Europe et bien au-delà.

Il n’empêche. En attendant la relance de ce premier new deal, il fallut bien faire quelque chose pour calmer les esprits enflammés par la Crise, et ce sera le second new deal : celui des John Ford et des Franklin Roosevelt qui eurent l’idée carabinée de mettre l’Amérique sur roues - une opération qui consacrera l’acceptation définitive du salariat par les salariés mêmes. C’est qu’en effet ceux-ci ne différaient pas des Africains qui espéreront trouver le bonheur dans de nom de dieu de bagnoles. Si bien qu’ils ont considéré la perspective offerte réellement de posséder lesdites bagnoles comme une victoire de la Gauche prolétarienne sur la Ventripotence de Droite. Laquelle Gauche, par la voix de ses tribuns et représentants élus, allait bien entendu s’approprier le bénéfice moral et politique de toute l’opération dont le bénéfice matériel profitait à la Droite - laquelle se voyant ainsi sauvée de la ruine que présageait pour elle l’amoncellement des invendus.

Tout bénéfice en plus pour les institutions démocratiques puisqu’il s’en est suivi que les travailleurs ont commencé à croire que quelque chose avait vraiment changé et à se dire que l’Industrie allait enfin de se mettre à leur service et travailler pour leur " bien-être " à eux - prouvant ainsi que, dans leur esprit, le travail apparaissait maintenant comme source de plaisirs tout en restant la source des emmerdes qu’il leur fallait subir !

Qu’importe, c’est à partir de cette contradiction pourtant flagrante qu’une ère nouvelle allait s’ouvrir où tous les leaders, qu’ils soient de droite ou de gauche, allaient sortir des mêmes écoles pour assurer cette alternance qui fera la gloire de la Démocratie - leaders qui allaient donc s’entendre comme culs et chemises, Jospin - Chirac même combat pour la défense du salariat, l’ENA comme pantalon commun.

La toute première règle à respecter pour assurer le triomphe de l’entubage généralisé connu sous le nom de salariat est en principe toute simple : toujours s’arranger pour que les produits devant être mis entre toutes les mains ne puissent être retournés contre le Système, ni donc servir à priver les gendarmes du monopole de la violence " légitime " au sein de la Société. Or, comment mieux éviter cela, sinon en concevant les choses, non pour aider leurs acquéreurs à en déterminer collectivement l’usage, mais pour les inciter, tout au contraire, à ne s’en servir que séparément et les accoutumer à vivre en se méfiant les uns des autres, et donc en s’enfermant à double tour chacun chez soi, chacun pour soi.

Cette condition remplie, ils se retrouveront tous dans une situation semblable, connaîtront tous les mêmes manques, souffriront tous des mêmes absences, éprouveront tous les mêmes besoins de communication, et feront tous appel aux mêmes remèdes, le tout se traduisant par l’exigence d’une production massive des mêmes potions " magiques " - une exigence exactement conforme à ce que la Machine réclame pour être performante, et donc aux intérêts du développement industriel. Et parmi ces innombrables opportunités offertes à la " communication ", ils’en trouvera une qui s’est appelée " tourisme " grâce à laquelle les Africains feront la connaissance de cette espèce en voie d’apparition que constituent les vacanciers.

Colonisation à rebours

C’est donc au contact de ces derniers que naîtra chez nombre Congolais et autres Sénégalais le désir d’accéder au niveau de vie des colonisateurs eux-mêmes. Et ce sera là pour l’OMFC un inquiétant retour de flamme : voir survenir à ses frontières cette arrière-garde prolétarienne qui se référait aux Droits de l’Homme pour demander l’asile, c’était une fameuse tuile, une sorte de colonisation à rebours et par le bas risquant de semer le trouble dans la Culture de Haut Niveau.

Bien entendu, au vu de l’accueil avec lequel ils seront reçus et de leur hébergement dans des casernes désaffectées, les candidats de l’immigration perdront bon nombre d’illusions - à commencer par ce qu’il leur faudra dorénavant penser de ceux-là mêmes qui leur avaient servis de modèles. C’est qu’en effet, une fois rentrés chez eux en fin de vacances, chacun de ces nom de dieu de touristes se retrouvait certes dans une bagnole, mais nom de dieu, il s’avérait soudain que ce n’était pas un luxe et que s’ils faisaient du cent à l’heure, c’était bien moins pour s’envoyer en l’air - comme l’annonçait la pub qui faisait rêver des grands espaces - que pour être à l’heure devant une horloge pointeuse. Et comme ils travaillaient pour la plupart, ça faisait énormément de bagnoles sur le terrain. Or comme lesdites bagnoles ne tombaient pas du ciel, il n’est pas exagéré de dire qu’en tant que créatrice d’emplois elles offriront au couple de la Gauche-Droite une occasion rêvée d’assurer l’avenir de l’entubage dont il avait la charge.

En premier lieu, les besoins de la bagnole allaient en effet devenir les besoins de tous, et comme lesdits besoins étaient sans précédent connus, ils exigèrent des solutions et des trouvailles auxquelles personne n’aurait jamais songé sans elle. Déjà que la roue avait réussi l’exploit de faire germer l’idée de tracer des routes dont nul n’avait jamais eu besoin en brousse ! Mais qui aurait pu croire du temps de la charrette à cheval que des " feux rouges " puissent exister un jour ?! Et cela sans parler de tout ce que les bagnoles bouffent en plus de leur pétrole, comme par exemple le cuivre du Congo. Etcetera, etcetera. Et comme ils appellent ça l’" Économie ", mieux vaut ne pas se demander ce qu’ils entendent par là au juste.

Et politiquement aussi, ce sera le bonheur. Car que rêver de mieux que la bagnole pour s’isoler les uns des autres comme l’entubage l’exige. N’est-ce pas en effet grâce à elle que non seulement chacun s’enferme à double tour chez soi, mais que par surcroît chacun s’enferme à double tour hors de chez soi. Et par dessus le marché ne voilà-t-il pas qu’à la différence des domiciles fixes, lesdites bagnoles sont susceptibles de se cogner, se faire mutuellement des bosses et susciter du coup le désir chez leurs propriétaires de se casser mutuellement la gueule et de se traîner l’un l’autre devant des tribunaux qui devront ainsi leur existence au second new deal et à sa réalisation.

Parmi les effets secondaires de cette Économie dite " Politique " fondée sur les besoins de l’automobile, se trouve celui de faire des études et donc de savoir lire et écrire. Heureusement donc qu’avant d’avoir quitté l’Afrique, les candidats de l’immigration avaient pour la plupart déjà appris à le faire grâce aux bons soins de Missionnaires faisant fonction d’instituteurs en lutte là-bas comme en Europe contre l’analphabétisme inné de notre espèce - un défaut de fabrication à corriger d’urgence pour permettre à chacun de répondre, par exemple, à une convocation de flic, de remplir des formulaires, ou de régler le montant d’une facture qui lui est adressée.

Bref, faute d’un tel acquis ce serait la pagaille dans le monde des bagnoles. De là d’ailleurs que pour le bien de tous et par soucis d’égalité sociale, l’école a dû devenir obligatoire - obligation conquise de haute lutte par la " classe ouvrière " il y a de ça cent ans - conquête qui a permis à tous les travailleurs de remplir un bulletin de vote et de décider ainsi eux-mêmes à quelle sauce ils allaient se faire cuisiner par les actionnaires de la Gauche-Droite - un coup à Gauche, un coup à Droite ; un coup de pédale ou un coup de frein, vive l’alternance.

Cela dit, il va de soi que l’école n’aura pas pour unique fonction de priver d’excuse quiconque négligerait de remplir ses devoirs civiques : elle aura également celle d’obliger chacun à se distinguer des autres - engendrant ainsi des conditions sociales allant de l’éboueur au Président de l’OMFC, en passant par l’armée des gratte-papier, des tape-clavier, des chefs et sous-chefs de chantier - une formidable source de malentendus et de contradictions en tous genres, dont résulteront les conflits d’intérêt, les jalousies, les révoltes et les guerres sans lesquelles la politique perdrait toute raison d’être, la colonisation n’aurait jamais eu lieu, le journal de vingt heures ne serait pas alimenté et la vie quotidienne manquerait dramatiquement de cette fièvre, de cette agitation et de cette " animation " qui nous permet de la supporter malgré son incommensurable platitude.

Mais il n’y a pas eu que la bagnole bien sûr pour entuber le prolétariat et conforter le salariat.
Ainsi, prenons l’exemple du sachet de frites : naguère une vieille marmite faisait l’affaire et tout le monde pouvait comprendre comme ça marchait. Et ce qui était vrai de la frite et sa marmite, l’était de l’éclairage et ses bougies, du transport et ses charrettes, de la vache et son lait, le fonctionnement du tout étant alors évident pour tout le monde.
Or aujourd’hui tout a changé.
La frite sort d’une friteuse à thermostat.
Et ce qui est vrai de la sophistication de la cuisson des pommes de terre, l’est de l’éclairage et de tout le reste : mixers, shakers, caméras, internet, et autres limousines, maïs transgénique, grands-mères porteuses et Macintosh, tout ce qui n’existait pas hier et qui se trouve maintenant dans les Supermarchés de Sydney à Vancouver en passant par la British Airways, comment l’interpréter, sinon comme la réponse qu’opposent la Grosse Bertha et l’OMFC à toute menace l’abolition du salariat qui pourrait se faire jour - sinon comme une contre-révolution permanente dont le mot d’ordre serait : " Mort aux vieilleries ! Vive la Modernité ! " - et dont la stratégie se résume ainsi : ayant mis le monde entier sur roues, s’étant arrangée pour que plus rien ne fonctionne encore sans électricité ni technologie de pointe, l’OMFC a fait en sorte que sans l’attirail complet de ce qui permet aujourd’hui d’être " de son temps ", le vieux " prolo " ne trouvera pas de boulot et le marchand de frites partira en faillite. Ce qui revient tout simplement à dire que la susdite OMFC a inversé le scénario de la révolution prévue, qu’elle a retourné contre les salariés eux-mêmes le danger que ceux-ci faisaient courir au salariat, les menaçant de chômage - et conservant du même coup la direction de l’arnaque.

Compliquer les choses simples.

À condition toutefois pour elle de mettre ses propres enfants dans de Grandes Écoles pour y apprendre à compliquer les choses et à les mettre hors de portée de la compréhension des descendants des militants de naguère, l’objectif étant de les faire se sentir impuissants et ridicules face à l’énormité et la complexité des choses, dépassés, dominés, subjugués par la " science " investie dans celles-ci, menacés de devenir SDF, obligés de suivre le " mouvement ", de se recycler en permanence, de trouver le temps et la motivation de le faire, de se raccorder au téléphone, d’y accoupler un répondeur, de se procurer un GSM, de se brancher sur l’EDF, de se doter d’un Computer, de s’offrir un véhicule, de se ressourcer dans un Club Med - et d’emprunter à toutes ces fins le pognon qui va les obliger à s’enfoncer dans le rouge et à se ligoter du coup aux banques qui vont pour chacune d’elle les menacer de confiscation, les bombarder de mensualités et qui leur pomperont l’air jusqu’à les asphyxier sous les huissiers de " justice ".

Bien sûr que, dans ces conditions, il va de soi que les consommateurs, ayant tous recours aux mêmes potions pour en sortir sans en sortir, chacun tentera d’avoir le plus possible pour son argent. En raison de quoi, reprenant l’exemple des sachets de frites, il ira de soi que leurs marchands, tous également soucieux de se maintenir sur le marché de la frite, s’ingénieront, chacun pour soi, à faire des frites meilleures marchés que d’autres. De là que les marchands de frite chercheront tous à innover, à inventer de quoi prendre de l’avance. Et comme ce qui est vrai des frites l’est également de tout le reste, on voit d’ici comme tout se complique et tout s’emballe - et comme la recherche va progresser, les sciences évoluer, les études s’allonger, leur contenu se compliquer, les spécialités se multiplier - le tout au point que nul n’aura finalement plus la moindre vue d’ensemble, que les marchés s’encombreront et qu’au sein même de l’OMFC la lutte fera rage pour répondre toujours plus vite à un besoin d’aller de plus en plus vite qui est aussi devenu le sien.

Car ça se concurrence ferme à l’intérieur de la Mondiale des Banques elle-même. Il y en a quatre ou cinq au monde, et elles s’obligent mutuellement à rester dans la course, à s’empoigner sur les marchés à qui trouvera des plats toujours moins chers, à réchauffer toujours plus vite, le micro-onde détrônant le four électrique, lequel avait déjà réglé son compte au four à gaz qui venait justement de mettre au pilon le four à bois du vieux prolétariat - et cela tandis que la vache de la farine de viande, devenue folle comme son vacher, met au rancart la vieille vache des prairies qui avait en son temps eu raison du buffle des Carpates.

Et ce qui est vrai de la pizza distribuée par mobylette, l’est également de tout ce qu’on voudra.
Bref, en réaction contre la révolution qui menaçait le veau d’or, qu’ont fait les OMFC ? Elles ont inventé la " poudre aux yeux " et le nuage de poussière, elles ont banalisé l’invraisemblable et sa fabrication industrielle. Et, ce faisant, elles ont réussi à injecter en permanence du stress dans le travailleur, et à le rendre dépendant des pharmacies et de trouvailles analgésiques l’aidant à tolérer l’arnaque universelle sans complètement craquer avant l’hospice où, faisant encore l’objet de recherches sur le vieillissement du gène humain et ses effets dévastateurs sur l’administration de l’espèce, il continue de procurer de l’ouvrage, rendant ainsi d’ultimes services à la Société et à la Science qui l’a fourré dans cet état, avant d’assurer, dans un tout dernier effort, la survie des croque-morts.

Bref, ce ne sont pas les perspectives qui manquent : depuis celle de gagner au Lotto jusqu’à celle de faire un jour partie des plus égaux que d’autres et dont on dit qu’ils ont le pouvoir. De sorte qu’avec de l’ambition tous ont leur chance de décrocher le diplôme donnant accès aux titres servant de clés de contact à la Rolls-Royce dont tout le monde rêve - toute la question étant alors, rageuse : " Comment m’y prendre, merde alors, pour décrocher la bourse qui m’ouvrira la porte de l’Université ? " C’est au moment précis où il se posera ladite question qu’après avoir transité par les grands centres d’Afrique, le descendant de la brousse sera enfin devenu complètement Blanc à l’intérieur, aussi plat qu’un touriste et borné qu’un ministre.
Ainsi, en résumé, le Système doit sa phénoménale puissance et son incroyable " créativité " au fait que chaque solution lui permettant de se maintenir et se " légitimer ", est source de problèmes, que chaque problème exige une solution qui lui posera de nouveaux problèmes, et donc qu’aussi longtemps que la survie des individus dépendra du développement de la technologie, rien n’arrêtera la destruction de la planète. Une évidence que John K. Galbraith formulait ainsi dès 1964 dans son Nouvel état Industriel : " L’assertion qui fonde la logique de ce nouvel état, c’est que tous les problèmes posés par la technologie seront technologiquement résolus. "

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