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Le Palais de la découverte en péril

Publie le jeudi 20 mai 2010 par Open-Publishing

Le Palais de la découverte en péril - Trois Prix Nobel s’inquiètent de la réforme de ce haut lieu parisien de pédagogie scientifique.
Claude Cohen-Tannoudji, Albert Fert et Wendelin Werner s’expriment dans le journal Le Figaro du 15 mai 2010.

À plus d’un titre, le Palais de la découverte, avec les pressions immobilières dont il fait l’objet, illustre les difficultés rencontrées par le monde scientifique pour bien se faire comprendre par les « décideurs » dans la société d’aujourd’hui. D’un côté, le monde politique semble avoir pleinement conscience du fait que la culture scientifique, l’éveil des vocations et la formation universitaire font partie des clés de l’avenir économique de nos sociétés occidentales. Il est prêt à investir massivement de l’argent public pour cela, et on ne peut que s’en féliciter. Citons à cet égard le rapport de la commission « Juppé-Rocard » qui propose d’utiliser une partie du grand emprunt pour « contrer la désaffection des jeunes pour les études scientifiques et mathématiques et rapprocher la science du citoyen » (il s’agit de l’action 4 de l’axe 1des conclusions de ce rapport, dans laquelle le rôle du Palais de la découverte est d’ailleurs souligné). Mais du côté des réalisations, les choses ne vont pas toujours dans le sens annoncé. À de nombreuses reprises, nous avons essayé d’alerter le pouvoir public et l’opinion à propos du trésor que constitue à nos yeux le Palais de la découverte. Il s’agit d’un lieu magnifique, dans lequel le grand public peut être confronté de manière directe avec la vraie science, à travers de réelles expériences présentées par des chercheurs et des expérimentateurs qui sortent de leur laboratoire pour venir lui parler. De nombreux scientifiques de tous âges témoignent de l’importance capitale qu’a eu une visite au Palais dans leur orientation professionnelle.

Dans le monde d’aujourd’hui, où nous sommes abreuvés d’effets spéciaux, de technologie et d’images virtuelles, la rencontre avec la science réelle, avec son aspect brut et non enjolivé, nous semble particulièrement importante ; un véritable éclair vécu de près n’a rien à voir avec un éclair vu au cinéma ou sur Internet, et constitue une expérience humaine profonde. La confrontation directe, analysée et comprise, avec les lois de la nature reste l’une des valeurs sûres pour construire les individus de demain. Et un chercheur passionné pour expliquer le phénomène en direct est souvent bien plus efficace qu’une interface web. C’est en allant parfois dans le sens opposé aux canons de notre société que la science saura le mieux séduire des esprits curieux du monde qui les entoure.

Or le déroulement actuel des opérations qui préludent au réaménagement du Grand Palais ne font pour l’instant que confirmer les interprétations les plus pessimistes qui avaient été faites lors de la fusion institutionnelle entre le Palais de la découverte et la Cité des sciences et de l’industrie en une nouvelle entité nommée Universcience. Mentionnons ici deux exemples de nature différente pour illustrer ce propos :
 le premier, et non le moindre puisque c’est celui qui nous fait prendre la plume, est que le rapport rendu par M. Cluzel le 20 avril sur la réorganisation du Grand Palais semble bien proposer d’amputer la surface allouée au Palais de la découverte de manière significative (bien sûr, il faut lire entre les lignes pour s’en rendre compte, mais les métrages des deux scénarios proposés paraissent sans appel). Il est difficile d’imaginer que ces projets ont l’aval de Mme Haigneré, en charge d’Universcience ;
 le second exemple montre certains effets absurdes des réorganisations administratives, et il est moins anecdotique qu’il n’y paraît : la présence de chercheurs issus de laboratoires universitaires divers, qui est l’un des principaux atouts du Palais de la découverte, est devenue très compliquée et aussi plus coûteuse (ils avaient auparavant un statut assez souple vacataires, et depuis la fusion et le changement de statut, le Palais emploie des personnes par l’intermédiaire des sociétés d’intérim, en attendant de signer des conventions avec des universités).

Nous éprouvons une certaine lassitude à devoir de manière répétée rappeler que la science et la culture scientifique ne se « gèrent » pas exactement de la même manière que d’autres secteurs de la société, et qu’il serait bon que les décideurs qui veulent leur bien soient à l’écoute de notre communauté. À cet égard, il est intéressant de constater qu’en Chine, la plupart des dirigeants ont une formation scientifique assez poussée, alors que cela n’est pas vraiment le cas des membres des Parlements occidentaux. L’efficacité de l’investissement chinois dans l’éducation scientifique à haut niveau n’est sans doute pas étranger à cet état de fait. Notre propos ne reflète pas un passéisme ou un corporatisme frileux. Le monde bouge, et les organismes publics ou non sont bien entendu amenés à s’adapter. Mais cette adaptation, il vaut mieux ne pas la conduire au détriment de ce qui marche bien, et le Palais de la découverte, lieu symbolique s’il en est, en plein cœur de Paris, héritage d’idéaux républicains qui ont inspiré sa fondation, est un précieux fleuron que la France s’honorerait à préserver et à développer au lieu de le raboter.

Claude Cohen-Tannoudji, physicien - Prix Nobel 1997, Albert Fert, physicien - Prix Nobel 2007 et Wendelin Werner, mathématicien - Médaille Fields 2006.