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Le cercueil d’en face

Publie le jeudi 4 septembre 2003 par Open-Publishing

La scène se passe dans la banlieue parisienne, non pas celle des
barres verticales et des grands ensembles, mais celle des petits
pavillons tranquilles entourés de jardins fleuris. L’intérieur est
coquet, un peu surchargé de meubles et de bibelots. Huguette, une
femme de 70 ans, est assise seule, dans son salon, et ne quitte pas
des yeux la maison d’en face. Elle sait que dans cette maison il y a
un cercueil où se décompose le corps de sa voisine de 90 ans, laissé
là, depuis trois semaines, en pleine canicule. Elle n’arrive pas à
penser à autre chose.

On a beaucoup vu, cet été, le carré des indigents au cimetière
parisien de Thiais, et ces camions frigorifiques, discrètement garés
un peu à l’écart, où sont gardés les corps attendant d’être réclamés.
Mais ce portrait d’Huguette, réalisé par Thierry Demaizière et
diffusé dimanche soir dans le magazine "Sept à Huit", sur TF1, est
poignant pour une autre raison. Il y est avant tout question de
solitude. "Je suis seule, seule, seule. C’est atroce", dit-elle. Elle
s’est maquillée avec soin, a mis un corsage fleuri, mais sa bouche
est amère et les larmes lui montent aux yeux. Sa voisine est morte le
11 août. Elle ne doit être enterrée que le 1er septembre. Il n’y
avait de place nulle part. Les pompes funèbres étaient débordées. La
famille a été avertie, est venue constater le décès, puis est
repartie en vacances.

Huguette n’arrive pas à détacher ses yeux de la maison de sa voisine.
"Je me suis vue à sa place, morte seule, chez moi, par terre",
dit-elle. L’idée de ce corps en décomposition l’obsède. Elle
s’indigne qu’on puisse abandonner quelqu’un à ce point.

Sa voisine avait une famille, pourtant. Et elle ? "J’ai une fille",
dit-elle. Le ton désabusé sur lequel elle prononce cette simple
phrase implique qu’elle ne voit guère cette dernière, pas plus que
ses petits-enfants. "Ils ne m’appellent pas, je ne les appelle pas",
explique-t-elle. C’est une question de fierté. Elle leur a pourtant
téléphoné, désemparée, lorsque sa voisine est morte. Sans résultat.

Le pire est pour la fin. Est-ce qu’elle n’est pas, en partie,
responsable de cette solitude ? "Je me suis refermée sur moi-même",
reconnaît-elle. Cette question l’obsède tout autant que le cercueil
abandonné de sa voisine. Et elle reste, dans son salon, à contempler
la maison d’en face.

dominique dhombres