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Le crédit s’écroule, GM crashe.
Publie le mercredi 19 novembre 2008 par Open-Publishing1 commentaire
Le crédit s’écroule, GM crashe.
Michelange Baudoux
mardi 18 novembre 2008
Ce lundi, alors que les banques U.S. battent le beurre qu’elles ne font plus, le Wall Street Journal se fend d’un article de tête qui ne fera pas sourire la crémière. Petit résumé et commentaires circonstanciés pour ceux d’entre vous qui n’ont pas pensé à s’acquitter des 3,20 € réglementés aux fins de compulser, derière le ristretto approprié, cette pièce d’anthologie.
Source : [ Wall Street Journal : "Banks Keep Lending, but That Isn’t Easing the Crisis"]
En voiture Simone ! et histoire de vous mettre en train, commençons par une tartine technique.
* Tristes titres *
Pour financer les prêts qu’elles accordent aux entreprises, les banques ont deux principales sources de liquidités : la titrisation (ou ’securitization’) et leurs fonds propres.
La titrisation, en deux mots, consiste à émietter des emprunts (emprunt hypothécaires, emprunts institutionnels, emprunts d’entreprises) pour les regrouper ensuite dans des obligations négociables sur le marché des titres (’CDO’ ou ’Collaterized Debt Obligations’). Selon le modèle émission-distribution (’originate and distribute’), les personnes qui ont contracté l’emprunt n’ont aucun contact avec les acheteurs des obligations, c’est-à-dire les prêteurs.
Pour ce qui est de la titrisation, le moins qu’on puisse dire c’est que le modèle ne fait plus recette. Les emprunts titrisés suscitent aujourd’hui la plus grande méfiance des investisseurs, échaudés par la dévalorisation de ces CDO au cours des 18 derniers mois. Exit, donc, les ’securities’.
* La résurrection du Capital *
Pour ce qui est des fonds propres, les banques ont dû massivement les affecter en 2008 à deux postes imprévus : la reconstitution de leur base de capital, et l’octroi de crédits de secours pour les grandes entreprises.
La base de capital des banques a considérablement fondu en 2008, ce qui a déclenché d’importantes opérations de reconstitution.
On doit y voir, d’une part, le fait de la dévalorisation (’write-down’) de nombreux actifs (CDOs, actions, participations dans les fonds spéculatifs ou ’Hedges Funds’...) que les banques ont acheté au prix fort avant la crise et qui ne valent aujourd’hui plus rien.
D’autre part, d’importants frais imprévus ont été entraînés par la nécessité de payer les garanties que le banques ont massivement accordées dans le cadre d’assurances de crédit (Credit Default Swaps) sur certaines obligations pourries ou sur des indices risqués.
Pour maintenir leur base de capital (’tier one capital’) au montant minimum imposé par la loi (montant minimum proportionnel requis pour garantir les prêts qu’une banque accorde à ses clients) les banques ont dû recourir de manière massive :
1. à la vente d’actifs attractifs (filiales, actions) ;
2. à des réinjections de capitaux (’recapitalisation’), souvent par le biais d’émission de nouvelles actions.
* Liquidations d’actifs avant transformations *
Emission d’actions et vente d’actifs attractifs représentent généralement une perte sèche pour les actionnaires. C’est là le fond des réclamations adressées à l’Etat dans le cadre de l’affaire Fortis, et des réclamations que nos administrations communales feraient bien de formuler dans le cadre de l’affaire Dexia. Mais laissons les funestes Di Rupo et Reynders à leurs oeuvres noires, et revenons à notre mouton...
Les fonds propre des banques, mis à mal par les write-downs et les frais liés aux CDS, sont par ailleurs fortement mis à contribution par leurs bons clients industriels (General Motors et autres Chrysler...) qui tirent à fond dans les lignes de crédit de secours qu’elles ont négociées avant la crise, à des conditions que les banques n’accepteraient plus aujourd’hui.
Le problème c’est que ces lignes de prêts, négociées au temps des vaches grasses, sont sollicitées au temps des vaches maigres, et que là certaines banques ne vont même plus pouvoir assurer...
Donc, les banques n’ont pas grand’ chose à espérer non plus du côté de leurs fonds propres.
* Pas de pruneaux pour le privé *
Qu’est-ce qu’il reste aux banques pour trouver des liquidités ?
Eh bien ’chercher des capitaux privés’, tance le Wall Street Journal, qui suggère d’assujetir l’octroi aux banques de deniers publics futurs à l’obtention préalable de financements privés.
Le WSJ semble oublier que, dans le cadre de la crise actuelle, le nouvel actionnaire qui profite des émissions est souvent l’Etat, surtout depuis octobre dernier, ou plus personne ne veut investir dans les banques. C’est ce qui s’est présenté, surtout aux USA, en Angleterre et en Belgique, et un peu en Allemagne et en France.
On parle alors, un peu par abus de langage, de ’nationalisation’, alors que ce qui est certain en tout cas, c’est que les pertes épongées par les deniers publics le sont aux frais du contribuable : c’est ce qu’on devrait appelle plutôt la ’socialisation des pertes’. Mais bon, c’est pas le sujet...
Il semble bien que la solution proposée par le Wall Street journal, c’est-à-dire le recours aux capitaux privés, ne rencontrera pas le succès souhaitable.
* La panique General *
Les sources de financement des banques ont fondu comme neige au soleil, et on ne voit pas très bien ou General Motors va aller chercher son refinancement. Ledit general est en train de tirer comme un malade sur sa ligne de crédit d’urgence, au risque de faire s’écrouler ce qui reste de Wall Street.
Comme le montrent les chiffres alignés par le Wall Street Journal, les banques prêtent à tours de bras. Elles accordent d’autant plus de prêts que les banques centrales leur ont fait promettre de prêter plus avant de leur donner accès aux nouvelles fenêtres de recapitalisation.
Le problème, c’est qu’elles ont entrain d’abreuver les junkies les plus mal en point : les petits propriétaires en passe d’expropriation et les grands de l’industrie automobile, que l’état U.S. leur ordonne de préserver. Avec autant de malades sur les bras, les banques n’ont pas grand’chose à consacrer à la partie saine de l’économie.
D’où le titre de l’article du WSJ : "Les banques prêtent mais sans résorber la crise du crédit".
* Même toi tu ne peux pas ! *
Devant la dégénérescence de la situation, les autorités U.S. ont envisagé de tenter un nouveau coup de poker : refinancer directement G.M. pour éviter que les banques se retrouvent en faillite. Mais finalement l’administration actuelle, en tout cas, a renoncé : Paulson a annoncé qu’il ne redirigerait pas vers G.M. l’argent destiné à renflouer les banques.
Et l’administration suivante n’interviendra sans doute pas plus, car G.M., selon ses propres dires, aura coulé avant son investiture, le 20 janvier prochain. La petite video de propagande ci-dessous, oeuvre du General lui-même, vaut bien ses trente deniers :
"L’industrie automobile est la colonne vertébrale de l’industrie américaine et a un rôle essentiel à jouer dans nos efforts de réduction de notre dépendance à l’égard du pétrole étranger" Tu parles, Barack ! De toute façon, contre le crash de l’industrie automobile, et contre la purge finale des excès du crédit américain, même Obama ne peut pas.
Parce que les stimulus fiscaux et les renflouements publics, comme le Wall Street Journal y insiste, ne parviendront pas à remettre l’économie sur les rails sans l’aide du secteur privé. Et parce que le secteur privé ne prendra aucun risque tant que le gouvernement brouille les pistes avec ses paquets de milliards un peu tarabiscottés et fort chinois.
* Madame, LIBOR il a fondu *
Comme Mike Sheldock l’avait annoncé, les interventions de l’Etat ne font probablement, en l’occurence, qu’empirer la situation, car elles maintiennent artificielement en vie des entreprises malsaines, contribuant à brouiller la situation et à renforcer la méfiance des investisseurs.
Si le taux de liquidité des prêts interbanciares (LIBOR) se détend depuis son pic d’octobre, il ne faut pas nous croire tirés d’affaire pour si peu : les banques sont occupées à écoper le Titanic avec un dé à coudre, les nouveaux prêts ne sont pas destinés à l’économie saine.
Le redémarrage des prêts est une sale illusion d’optique, il y a fort à croire que la crise du crédit n’en finit pas de s’autorenforcer.
* On vous l’avait bien dit... on vous le répète *
Enfin, si vous voulez écraser une larme, voici quelques extraits vidéo de Peter Schiff qui en 2006 et 2007 se fait boxer par ses pairs sur fox News parce qu’il a décidé d’annoncer l’écroulement des subprimes et la crise du crédit (hat tip, tmk).
Quant à nous, le 22 mars 2008, nous écrivions à nos potes une petite newsletter bien corsée :
"Le système du casino des produits dérivés s’est étalé sur vingt ans, pendant lesquels toutes les banques d’investissement, et finalement les banques de retail, ont trempé dedans, sous peine de se voir disqualifiées dans la course aux rendements. Par ailleurs, les agences de notation américaine (Moody’s, Standard & Poors) ont fortement contribué à rassurer les banques de retail en atribuant aux fonds pourris (Hedge funds coupés avec du subprime) des évaluation ’Premier Choix’.
Les fonds de pension et banques d’investissements se jettent sur les produits pour pouvoir attirer leurs clients.
Lorsqu’un ’avion’ épuise le capital des investisseurs du monde entier, il n’attend plus qu’un bon prétexte pour s’écrouler, et c’est le maillon le moins solvable qui déclenche la crise, ici le subprime.
On comprend que lorsque l’énorme bulle financière a explosé lundi avec la reprise de la banque Bear Stearns, elle menaçait d’entraîner la faillite du système financier US, voire mondial.
Il a donc fallu que les banques centrales (financées directement avec nos impôts) interviennent massivement auprès des banques d’investissements, en prêtant des centaines de milliards d’euros et de dollars réels, en quantités jamais vues depuis l’après-guerre. C’est donc l’argent des contribuables qui a servi à éponger les pertes des fonds marrons afin d’éviter que nos banques de retail du coin de la rue ne s’écroulent et n’engloutissent notre argent dans leur chute.
Il a fallu également baisser les taux d’intérêt américains dans des proportions considérables. Cela devrait s’ajouter aux quantités de liquide injectées gratuitement dans les banques pour entraîner une inflation en proportion.
Voici notre point de vue : en faisant acheter des titres pourris aux banques de retail, les banques d’investissement ont pris notre argent otage : soit on éponge la dette des Hedge Funds à l’aide de vos impôts et avec votre planche à billets soit votre Dexia/ING/Fortis du coin fait faillite, avec vos économies dedans.
Un nouvel impôt est passé en Belgique, destiné à financer la retraites des directeurs d’un casino mondial, casino qu’on vient de fermer avec fracas et dont les opérations américaines ont amené vos très familières banques de retail (Fortis, Dexia, Deutsche Bank et autres) à jouer et à perdre avec NOTRE argent à cette bête roulette.
De plus, si on ne se prend pas une crise économique radicale, on en a sans doute pour quelques années d’inflation galopante, vu que l’argent qui sert à renflouer vos banques retail du coin de la rue va s’écouler dans le système économique et diminuer la valeur de la monnaie.
Et donc, je vous parie qu’à présent on va nous chanter qu’il faudrait réguler l’économie, réduire les dépenses de l’état, et lancer des obligations, bien plus sûres que les titre volatils du subprime, et qui permettront à la collectivité de s’endetter auprès des mêmes bailleurs de fonds que ceux qui viennent de faire faillite aujourd’hui..."
Le 22 mars 2008 voilà ce que racontait ’La Crise pour les Nuls’. Et Didier Reynders continue à dire qu’il ne savait rien avant septembre et que les banques belges ne présentaient aucun problème de solvabilité. Ouuh, l’hypocrisie au pouvoir !
Moralité : aucune, comme d’habitude.
http://lacrisepourlesnuls.blogspot.com/2008/11/la-crise-du-crdit-scroule-gm-crashe.html
Messages
1. Le crédit s’écroule, GM crashe., 19 novembre 2008, 11:18
Du grain à moudre, émission de Brice Couturier et Julie Clarini
Publié par Paul Jorion
Pour la rediffusion c’est là :
http://www.radiofrance.fr/chaines/france-culture2/emissions/grain/
Ce texte est un « article presslib’ » (*)
L’émission sur France-Culture vient de se terminer. Si vous l’avez écoutée vous avez entendu ce qui s’est passé : les réalisateurs ont tenté de mobiliser les intervenants sur le thème de « La maison brûle ! » mais ceux-ci ne l’ont pas entendu de cette oreille : « business as usual » : rôle du FMI, efficacité des plans de relance et tutti quanti.
J’ai décidé du coup d’ignorer les « points techniques » sur lesquels on voulait me faire parler pour tenter de faire revenir le débat sur le thème de « La maison brûle ! ». J’ai repris en particulier ma métaphore de la Révolution Française en assimilant l’incantation de la déclaration finale du G-20 :
libre-marché, état de droit, respect de la propriété privée, commerce et investissement libres, marchés concurrentiels et systèmes financiers efficaces et régulés de manière efficiente
à la monarchie réaffirmant urbi et orbi son caractère sacré ; j’ai souligné qu’en l’absence d’Obama, rien de ce qui a été dit n’est de toute manière très important.
J’ai rappelé aussi qu’il n’était pas nécessaire de s’inquiéter du fait qu’on oublierait de prendre les mesures nécessaires aussitôt que la crise serait terminée parce que rien n’indique qu’elle se termine bientôt ni même qu’elle puisse un jour se terminer.
Sur mon rôle d’insider de l’industrie du prêt hypothécaire américain et ce que je pense des règlements qui étaient en place, j’ai expliqué la connivence entre les régulateurs assoupis au volant et les autorités judiciaires américaines qui leur donnaient raison en cas de plainte pour non-intervention, le laissez-faire étant en fait télécommandé d’en haut par l’administration Bush.
Enfin, quand on m’a demandé - question rituelle lorsqu’on est entre économistes - si le moment est venu d’un retour en force des keynésiens (peut–être me considère-t-on comme l’un d’entre eux ?), j’ai répondu que puisqu’on n’a pas la moindre idée en ce moment de comment même stopper la crise, on aura besoin non seulement d’eux mais de tous les économistes marginaux, de tous les anthropologues, politologues, sociologues et compagnie ayant une idée sur ce qu’il faudrait faire.
Comme j’avais évoqué Mr. Dominique Strauss-Kahn se plaignant du fait que personne ne comprend le mécanisme de la crise, les réalisateurs se sont déclarés prêts à lui communiquer mon numéro de téléphone. Au moment où je boucle mon billet, celui-ci n’a pas encore sonné.
(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.
Ce bulletin a été publié le Mardi 18 novembre 2008 19:43
http://www.pauljorion.com/blog/?p=1013