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Le gouvernement irakien réclame une pleine souveraineté

Publie le jeudi 3 juin 2004 par Open-Publishing

Nommé au terme de difficiles tractations, très lié aux Etats-Unis, le nouvel exécutif transitoire devra conquérir sa légitimité. Lakhdar Brahimi, envoyé spécial de l’ONU, demande de "lui donner une chance". George Bush reconnaît que "des défis subsistent".

Les premières bombes de l’"ère nouvelle" célébrée le 1er juin à Bagdad dans un lieu clos, tenu secret jusqu’à la dernière minute - un ancien palais de Saddam Hussein -, ont commencé à exploser au moment même où les dignitaires du "nouveau" et de l’"ancien" régime intérimaire mis en place en Irak par les puissances occupantes - avec, cette fois-ci, la caution active des Nations unies - se préparaient à la cérémonie. Un attentat à la voiture piégée à Bagdad a fait au moins trois morts. Une voiture piégée a également explosé à l’entrée d’une base américaine à Baïji (au nord de Bagdad), tuant onze Irakiens. Le message des insurgés est clair : un pouvoir fantoche est remplacé par un autre, cela ne fait aucune différence pour nous. La guerre continue.

La nouvelle équipe dirigeante, à qui il reviendra d’administrer l’Irak et d’user d’une souveraineté théoriquement pleinement retrouvée à partir du 1er juillet, saura-t-elle se montrer plus acceptable aux yeux des Irakiens eux-mêmes ?

"Très franchement", confie un diplomate européen qui, comme la plupart de ses homologues présents à Bagdad, a boycotté la cérémonie officielle de présentation du nouvel exécutif, pour des raisons diplomatiquement "sécuritaires", "on peut dire que les Américains, qui avaient pris un soin extrême à verrouiller l’ensemble du processus, ont réussi à mettre en place ici l’un des gouvernements les plus dévoués du monde à leur cause". Plusieurs commentateurs et analystes politiques irakiens étaient, mardi soir, du même avis.

"Vous autres journalistes, et pas mal de membres du Conseil -intérimaire- de gouvernement -CIG-, qui avez tous cru à la fable du fier candidat antiaméricain contre le proaméricain pour le poste de président de la République, vous vous êtes tous fait "enfumer", ironise Saadoun Al-Duleimi, directeur du Centre irakien de recherches et d’études stratégiques. Le cheikh Ghazi Al-Yaouar était le vrai candidat de Washington depuis plusieurs semaines déjà. Tout le jeu a consisté à le présenter comme moins proaméricain que son rival, Adnane Pachachi, pour le rendre plus présentable."

Farouche partisan d’une république laïque qui aurait éliminé du jeu tous les partis religieux, notamment chiites, M. Pachachi lui-même, qui a, "conformément au scénario initial qu’il refusait de jouer jusqu’alors", selon un autre diplomate occidental, été nommé président de la République mardi matin par l’Autorité provisoire de la coalition, avant de se retirer moins d’une demi-heure plus tard pour laisser la place à M. Al-Yaouar, a rejeté l’étiquette, infamante à Bagdad, de "candidat de l’Amérique".

"Le favori des Américains, ce n’était pas moi mais un autre", a lâché M. Pachachi, refusant "pour le moment"d’en dire plus. Motif de la manipulation, "acceptée ces derniers jours" et, selon une chancellerie européenne, "après moult torsions de bras, par l’envoyé de l’ONU" ? "Après la nomination de Iyad Allaoui, candidat de la CIA et du département d’Etat, au poste de premier ministre, un second allié des Etats-Unis nommé à la présidence aurait été difficile à faire passer."

Sans connaître le détail de la manœuvre, Hussein Hafed Al-Hukali, du Centre d’études internationales à l’université de Bagdad, n’est pas optimiste. "Ce gouvernement échouera, assure-t-il, pour les mêmes raisons que le précédent. Tout ce pseudo-processus de consultations et de bras de fer n’était qu’un faux-semblant organisé par Paul Bremer -l’administrateur américain- et Lakhdar Brahimi", l’envoyé spécial des Nations unies.

L’influent Comité des oulémas (sunnites) a, pour sa part, fait savoir que, "pour la population, ce gouvernement n’est qu’un duplicata de l’ancien". En pleine cérémonie et tandis que les officiels américains pressaient les nouveaux "élus" de prendre place sur le podium pour une photo de famille officielle, Ibrahim Al-Jaffari, l’un des deux vice-présidents désignés, dirigeant du vieux parti religieux chiite Al-Daawa et personnalité populaire dans le pays, faisait part de la "réserve" que lui inspirait "sans aucun doute la composition de ce gouvernement." George Bush pouvait faire savoir, mardi soir, qu’il n’avait "joué aucun rôle" dans la désignation de la nouvelle équipe, beaucoup à Bagdad restaient persuadés que son représentant spécial, le discret Robert Blackwell, présent ces derniers jours à tous les conciliabules et réunions organisés entre politiciens irakiens, américains et envoyés de l’ONU, avait été le grand marionnettiste de l’affaire. "C’est bien lui qui a tout organisé", dit Kaïs Al-Azaoui, directeur d’un journal bagdadi et de la revue en français Etudes orientales.

De New York, Kofi Annan, secrétaire général de l’ONU, a reconnu que le processus de sélection "n’a pas été parfait". Bien sûr, "compte tenu des circonstances", il pense que son envoyé, Lakhdar Brahimi, "a fait de son mieux". L’intéressé, qui avait averti dès lundi matin certaines capitales d’Europe de la désignation imminente de M. Al-Yaouar - ce qui démontrerait le caractère fictif de la nomination-retrait de M. Pachachi -, a exhorté les Irakiens "à donner une chance" à la nouvelle équipe.

Insécurité générale oblige, celle-ci devait siéger et résider dans les mêmes bâtiments surprotégés. Les diplomates américains qui vont remplacer les agents américains de l’Autorité provisoire, qui sera dissoute le 30 juin, demeureront également dans le palais de la République. Dans son premier discours officiel, le premier ministre, Iyad Allaoui, a été clair. Après avoir exprimé son "extrême gratitude à la coalition conduite par les Etats-Unis", il a jugé "impossible" que l’Irak puisse aujourd’hui s’occuper lui-même de la sécurité nationale, et demandé son "aide" et son "soutien pour défaire les ennemis" du pays. Le "partenariat" continue.

http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3218,36-367147,0.html

Une nouvelle résolution présentée à l’ONU

Les Etats-Unis et la Grande-Bretagne ont soumis, mardi 1er juin, au Conseil de sécurité de l’ONU, une version révisée de leur projet de résolution sur l’organisation de l’Irak après le transfert de souveraineté prévu le 30 juin. Ce projet fixe "à la conclusion du processus politique", soit fin 2005 ou début 2006, la date limite au mandat des forces de la coalition. Le projet initial avait été présenté le 24 mai. Plusieurs diplomates ont accueilli positivement la nouvelle version, tout en indiquant qu’ils devaient encore entendre le rapport de l’envoyé spécial de l’ONU, Lakhdar Brahimi, qui doit être présenté avant la fin de la semaine et écouter le ministre irakien des affaires étrangères, Hoshyar Zebari, qui doit rencontrer, jeudi, les membres du Conseil de sécurité. James Cunningham, ambassadeur adjoint américain, a indiqué que le projet "prend en compte beaucoup de commentaires". La France souhaite un délai de quinze jours avant le vote de la résolution.