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Le procès des 82 d’après un communiste français
Publie le lundi 22 novembre 2004 par Open-PublishingLe procès des 82
Répondant à l’appel lancé lancé début octobre 2004, "Communistes en Lutte" m’a délégué pour assister à ce procès à Istanboul et témoigner de notre solidarité envers les prévenus et les personnes ou organisations qui les soutiennent. Avec une camarade française membre d’une autre organisation, je me suis rendu au Tribunal d’Assises de Besiktas, (un quartier d’Istanboul), presque au bout d’une impasse fermée par le parking d’une université.
*Le premier jour du procès, 25 octobre au matin, environ deux cents personnes, une trentaine de policiers (en bleu) et de gendarmes (en kaki) avec casques, matraques et fusils, et plusieurs véhicules du genre panier à salade conduits par des chaufeurs en civil. Des parents, des camarades, des militants sont massés là, attendant l’arrivée des inculpés et l’ouverture du tribunal, et gênant le passage de quelques superbes automobiles amenant des étudiants à l’Université. Ceux-là ne sont pas de la même planète et pas du tout émus ni curieux de voir des familles se presser pour tenter d’apercevoir l’un des leurs à travers les minuscules vitres des paniers à salade. Un groupe soudé où les jeunes prédominent porte des pancartes "ADALET ISTIYORUZ" (Nous voulons la Justice), signées H.Ö.C ( Haklar Ozgurlükler Cephesi = Front pour les Droits et le Libertés).
Des membres d’organisations de défense des prisonniers nous repèrent, dont plusieurs multilingues, et nous rejoignons d’autres délégués étrangers, nous retrouvant pour le moment à trois Grecs, deux Allemands, une Hollandaise, et 3 Français, dont un reporter-photographe, en attendant les autres....
Un par un, les fourgons se fraient un passage dans la foule des parents, passent le cordon du service d’ordre et conduisent vigoureusement les inculpés, menottés, à l’intérieur. La police tente de s’opposer à l’entrée des parents et de la foule dans la salle d’audience manifestement trop petite pour le procès de 82 personnes. Un des avocats de la défense parvient à nous faire entrer, après une fouille très sommaire et la confiscation provisoire de nos pièces d’identité, passeports, appareils photos, couteaux de poche (qui nous seront rendus à la sortie).
Comme ailleurs, la salle d’audience est carrée : Le côté principal, sous la devise "ADALET DEVLETIN TEMELIDIR (La Justice est la Base de l’Etat) est celui où siègent le président, flanqué de deux magistrats et un quatrième à l’extrême droite qui semble bien être quelque chose comme le procureur, ministère public ? Tous quatre portent la même toge noire bordée de vert et de rouge. En dessous, un greffier ou appariteur, en civil, et une dactylo avec ordinateur.
Les accusés, (16 dont 7 femmes à la première séance, 15 dont 7 femmes à la deuxième) sont assis sur trois rangs dans une enceinte, gardés par 16 gendarmes et un policier. Hors de cette enceinte, sur un côté de la salle, un ou deux journalistes et les deux gradés de la police et de la gendarmerie ; côté opposé, les avocats (jusqu’à 12), en robe très semblable à celles des juges. Les parents, les proches et les personnes admises, dont nous sommes, s’entassent sur quelques sièges, les derniers admis restant debout dans cette salle bourrée. On entend continuellement les personnes, les parents non admis protester derrière la porte. Séparés de nos guides, et ne comprenant pas le turc, nous ne pouvons décrire que très imparfaitement le déroulement de la première séance.
Le président appelle et invite l’un après l’autre les prévenus à faire leurs déclarations. Certains les ont rédigées par écrit, et les lisent à haute voix, puis les remettent à la cour. D’autres s’expriment sans notes. Les déclarations durent en moyenne dix minutes, rarement interrompues par une question du juge ou l’intervention d’un avocat défenseur -jamais par le "procureur" ou ministère public (même toge que les autres magistrats). Après chaque déclaration, le président semble en accuser réception, en des termes que la dactylo tape sur son ordinateur, et que le président contrôle grâce à l’écran qui est devant lui. (durée moyenne 1 minute). Il semble ensuite demander au prévenu s’il a quelque chose à rajouter ou modifier. La réponse est négative dans la plupart des cas, cependant parfois un des prévenus insiste pour corriger ou pour compléter. Très rares interventions des avocats.
A la fin de la séance, comme lors de la pause vers 13 h., la salle est évacuée, les prévenus remenottés et leurs proches peuvent à peine leur adresser quelques mots avant d’être poussés au dehors. Les prisonniers montrant alors un moral meilleur que celui de leurs parents...
*La deuxième séance a lieu comme prévu le mercredi 27 octobre. Les accusés menottés sont extraits des paniers à salade. Ils parviennent à crier leur revendication de justice alors que les gendarmes les propulsent à l’intérieur, sous les acclamations du public, toujours aussi nombreux et dont une infime partie pourra s’introduire dans la salle d’audience où nous avons pu entrer grâce aux avocats. Cette fois, la responsable d’une association de défense, qui parle un français sans accent, nous traduit simultanément les déclarations des accusés et les paroles du président (le seul magistrat ayant ouvert la bouche autrement que pour bâiller). Les paroles des sept femmes et des huit hommes que nous entendons témoignent de la brutalité et l’injustice de la police lors de l’opération du 1er avril, des conditions inhumaines de la détention des "prévenus", et de l’illégalité de l’ensemble de la machination policière qui a fabriqué ou manipulé des disquettes d’ordinateur et les a conservées au lieu de les transmettre à la Justice. On ne peut que constater aussi la prédominance de la police sur la Justice : le président du tribunal n’ayant pas "pu" se faire remettre par la police les fameuses disquettes, base de l’accusation, demande aux accusés de réclamer à la police qu’elles soient remises à la Cour !
*Jeudi 28, au lendemain de la deuxième séance nous apprenons que d’autres procès se sont tenus aujourd’hui : Vingt personnes emprisonnées depuis 12 ans ont été libérées, la cour jugeant qu’il y avait prescription. Mais dix autres accusés ont été condamnés à la prison à perpétuité. Ci-dessous copie de l’information donnée par l’AFP, parlant également d’une action de résistance du DHKP/C :
(effacé à la demande de l’AFP...)
*Devant rentrer en France, nous n’avons pu assister aux dernières séances, prévues pour les 1er, 3 et 5 novembre. Après notre retour, nous avons reçu un message nous informant que le vendredi 5, la Cour avait décidé de libérer 19 détenus sur 42 et de renvoyer la prochaine audience au 11 février 2005.
Sans minimiser la répression, la brutalité, l’arbitraire, la prédominance de l’action des forces de "maintien de l’ordre" sur l’exercice de la Justice dans la Turquie actuelle, sans oublier le calvaire des 82 inculpés ni celui qui attend ceux qui restent en prison, nous voyons bien que la répression qui s’exerce sur les peuples de Turquie va au-delà de l’image qu’en donne ce que nous avons vu directement du procès des 82 à Istanboul les 25 et 27 octobre. Bien plus dure que ce que nous connaissons de la répression des forces populaires dans notre pays, elle a en Turquie et en France la même nature de classe et nous attaque comme elle attaque nos camarades de Turquie et des autres pays sous domination capitaliste.
Nous remercions fraternellements nos camarades de Turquie pour leur actions de résistance exemplaires et les assurons de notre solidarité que nous désirons plus active.
Nous souhaitons renforcer nos liens avec tous ceux qui luttent contre ce système d’autant plus agressif et meurtrier qu’il est proche de sa fin. C’est dans cette perspective que dans l’immédiat nous voulons préserver et rendre plus efficaces les échanges que nous avons eus avec nos camarades de Turquie et les autres personnes des différents pays que nous avons rencontrées à Istanboul.
pour "Communistes en Lutte",
André Comte délégué pour le procès des 82 à Istanboul les 25 et 27 octobre 2004