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Le rêve brisé du président

Publie le samedi 29 mai 2004 par Open-Publishing
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Par décret du président de la République, en date du 3 janvier 1997 et publié le 5 janvier au
Journal officiel, est approuvée l’élection par l’Académie des Sciences morales et politiques de
Jean-Claude Casanova au siège d’académicien titulaire (section Économie politique, statistiques et
finances) en remplacement de Jean Marchal, décédé.

[Jean-Claude Casanova est né le 11 juin 1934 à Ajaccio. Proche conseiller de Raymond Barre, il est
directeur d’études et de recherches à la Fondation nationale des sciences politiques, et directeur
de la revue Commentaire. Il est membre de la Fondation Saint-Simon, administrateur du Siècle,
membre de la Trilatérale. Enfin, il siège à la direction de l’UDF.]
‹ RV 96/0030 et 96/0414

LE MONDE

Quel a pu être le rêve de Jacques Chirac en mai 2002 ? Ses collaborateurs ont dû lui proposer deux
esquisses. Dans la première, il se représenterait en 2007. Peut-être même pourrait-il être élu dès
le premier tour. Il suffirait de quelques mesures utiles. Constituer, en supprimant l’UDF, un
parti dominant sur le modèle du Parti révolutionnaire institutionnel mexicain ou du Parti libéral
conservateur japonais. Rallier l’électorat du Front national par une action énergique en matière de
sécurité et d’immigration. Enfin, changer la loi électorale pour les législatives sur le modèle de
l’élection présidentielle : ne pourraient se présenter au second tour que les deux candidats
arrivés en tête au premier. On en finirait ainsi avec ces fâcheuses triangulaires, sources de tous les
maux.

La seconde esquisse était moins ambitieuse. Ce serait son dernier mandat. Il choisirait son
successeur. Il incarnerait "les valeurs républicaines" puisque l’accident historique de mai 2002 à
l’élection présidentielle, en écartant la gauche, lui donnait cette légitimité. Il lui faudrait
maintenir l’indépendance de la France face aux Etats-Unis, ce dont le jeune président Bush ne manquerait
pas de lui offrir l’occasion. Il devrait aussi participer à la construction européenne, sans les
réticences qu’il avait montrées autrefois, puisque c’était, désormais, la condition nécessaire à la
reconnaissance historique.

Sans doute Jacques Chirac a-t-il caressé le premier rêve. La question est de savoir s’il n’est pas
maintenant obligé d’adopter le second, au moins pour l’essentiel. La croissance économique n’est
pas venue au rendez-vous. L’UDF, grâce à la ténacité de François Bayrou, s’est maintenue. Le Parti
socialiste s’est reconstitué et, s’il n’a pas beaucoup d’idées nouvelles, il ne manque pas de
dirigeants expérimentés. Le Medef, qui, en la critiquant, poussait utilement la gauche vers la
réforme, a en revanche gêné la droite en l’embrassant.
Jean-Pierre Raffarin a déçu l’opinion et, comme l’ont montré les élections dans sa propre région,
il constitue désormais un handicap pour son camp. Les européennes rétabliront difficilement la
santé de l’UMP, même si elles sont moins mauvaises pour elle que les régionales. Reste un mystère :
Jacques Chirac se représentera-t-il ou non en 2007 ?

Il aura 75 ans et, s’il se porte candidat, ce sera pour la cinquième fois, persévérance
exceptionnelle dans les annales politiques. Imaginons qu’il le veuille. Quels arguments et quels événements
pourraient-ils l’y conduire ? Une reprise économique portant ses fruits euphorisants en 2005 et
2006 ? La défaite de George W. Bush à l’élection américaine, qui confirmerait la justesse des vues
françaises ?
La modération croissante de l’UDF, qui, à cause du mode de scrutin défavorable pour elle, perdrait
de son mordant au fur et à mesure que les législatives approchent ? Nicolas Sarkozy, qui
s’épuiserait aux finances entre les nécessités de la rigueur et le harcèlement de ses collègues du
gouvernement ? Une UMP qui, ne pouvant choisir Alain Juppé ou Jean-Pierre Raffarin, s’en remettrait une
fois de plus à Jacques Chirac ? Ce sont les éléments du scénario le plus favorable pour lui.

L’INSOLENCE JUBILATOIRE

Examinons les raisons inverses. Il a été élu en 2002 avec plus de 80 % des voix. Il ne peut se
représenter qu’avec de très fortes chances et sans risquer un premier tour piteux. Or Jean-Marie Le
Pen, Nicolas Sarkozy, François Bayrou ne faibliront pas et seront candidats. Les deux derniers sont
bien plus jeunes que lui, et l’insolence jubilatoire dont témoigne chaque jour Nicolas Sarkozy ne
laisse planer aucun doute. La porte électorale est devenue bien étroite pour Jacques Chirac,
d’autant qu’il est tenu de dissimuler sa décision.
Nicolas Sarkozy bénéficie, au contraire, d’une sincérité stratégique qui lui donne l’avantage dans
son parti et dans l’opinion. Rien pour l’instant ne peut modifier cette configuration. Jacques
Chirac ne peut espérer au premier tour de 2007, dans cette hypothèse, un score suffisant pour son
image et pour son succès au second tour. Même s’il conserve un espoir, il doit penser raisonnablement
que son temps politique s’achève.

L’examen de la situation et son propre intérêt, l’intérêt que
tout homme politique parvenu aux plus hautes fonctions porte au souvenir qu’il laissera, devraient
donc le décider à ne pas se représenter, sauf événements exceptionnels. On comprend mieux dès lors
son comportement.
Il pourrait, bien sûr, adopter une attitude combative (celle qu’il aurait pu prendre en 2002 au
lendemain de son élection) et mener tambour battant les réformes profondes qui sont nécessaires. Ses
amis politiques en dressent chaque jour la liste. Il s’agit de compléter la révision du régime des
retraites, d’assainir le système de l’assurance-maladie par une redistribution des
responsabilités, de décentraliser vraiment, de donner l’autonomie aux universités, de doter la recherche
scientifique des ressources et des institutions qui permettent le progrès, de réduire les dépenses
publiques et, à terme, la fiscalité.

Edouard Balladur vient de lui fournir, une fois de plus, le mode d’emploi, et Nicolas Sarkozy
dispose de l’énergie nécessaire. Cette fin politique ne manquerait pas de panache. La Ve République
n’a-t-elle pas été créée pour donner à l’exécutif la force nécessaire ? Mais le voudra-t-il ?
Il peut penser que ce n’est pas le moment, que ce n’est pas ce que les Français souhaitent, que
nous vivons d’ailleurs un mai 1968 larvé, que tout éclat déchaînerait les manifestations. Il ferait
alors sien cet étrange immobilisme qui fait que la gauche socialiste, devenue réformiste avant
2002, devient plus conservatrice qu’elle n’a jamais été et ne reconnaît plus ses propres enfants, par
exemple en matière de retraite, de décentralisation ou de statut d’EDF.

Il y a des résignations héroïques, comme celle de De Gaulle en 1969, qui en a rajouté en matière
de changement, et des résignations calculées. Dans ce cas, plutôt que d’être le père de la
rénovation, Jacques Chirac choisit de conforter son image consensuelle. On l’accuse de démagogie
préélectorale, il s’agit plutôt de démagogie rétrospective. Dès que l’idée de son renoncement deviendra
tangible, les députés UMP soucieux de réélection se rallieront au successeur de droite le plus
probable, s’ils ne l’ont déjà fait.

L’INÉVITABLE TUMULTE

Jacques Chirac, pour l’instant, prend de la distance avec tous en les soutenant tous : il est
modéré avec Jean-Pierre Raffarin, rigoureux avec Nicolas Sarkozy, social avec Jean-Louis Borloo,
sécuritaire avec Dominique de Villepin, européen avec Michel Barnier. Comme le dit le premier ministre
 : "Il voit les choses de plus haut... il a le sens du temps long... il pense à la planète." C’est
pourquoi il n’éprouve aucune envie d’un référendum sur la Constitution européenne ou sur l’entrée
de la Turquie, dont l’inévitable tumulte troublerait sa tranquillité.
Si la croissance venait enfin réduire le chômage et si les Français sont comme il croit qu’ils
sont, il achèvera, peut-être, son mandat avec une popularité voisine de son score final de 2002.

L’Assemblée et le président élus en 2007, par égard pour lui, mettront un terme au harcèlement
judiciaire dont il fait l’objet et que la Cour de cassation a malicieusement suspendu.
Peut-être même, en son for intérieur, sera-t-il heureux de voir un candidat de gauche lui
succéder, tant il porte à son nouveau rival de droite les sentiments qui animaient autrefois Charles de
Gaulle envers Georges Pompidou ou qu’il a lui-même éprouvés et mis en œuvre à l’égard de Valéry
Giscard d’Estaing.

http://www.lemonde.fr/web/recherche_articleweb/1,13-0,36-366585,0.html

Messages

  • Assez de Casanova ! Presse écrite, radio et vu son CV , suffit. Je l’ai souvent entendu déblatérer à France Culture, je crois qu’il a encore une émission avec Colombani (et oui) , c’est navrant de le voir se pointer sur le site de Bellaciao et de nous raconter les heurs et malheurs du pauv’Chirac...
    Pourquoi il ne raconte pas aussi "les aventures du Grand Chirac en Afrique" ?