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Le "village" de l’Allemand était ...le Caire !

Publie le dimanche 8 février 2009 par Open-Publishing

La récente découverte de la mort supposée du criminel S.S. le plus recherché au monde, nommé Aribert Heim, surnommé le Boucher de Mauthausen, renommé Tarek Hussein Farid durant son séjour en Egypte, montre une fois de plus que la réalité rejoint la fiction et que bien souvent elle la dépasse.

Dans Le Village de l’Allemand’ (1) , roman de Boualem Sansal, il est curieusement question d’un ancien nazi Hans Schiller qui, un jour, a fini par s’établir dans un village en Algérie sous le respectable statut d’ancien combattant, après avoir participé à la guerre de libération nationale algérienne sous un nom d’emprunt : Hassan Hans dit Si Mourad.
Il sera assassiné par les intégristes en 1994 avec tous les autres villageois de Ain Deb.

Cette trame résume une intrigue qui n’est bien évidemment que pure fiction et dans laquelle toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé ne serait que pure coincidence...

Mais la plupart de ses ingrédients se retrouvent dans le parcours du vrai Boucher de Mauthausen. Notamment : la conversion à l’islam, le changement de nom, la respectabilité et par là-même une parfaite intégration voire une dissolution dans son village d’adoption.

Dans le roman, la révélation de ce fait, fictif donc, est l’aboutissement d’une longue (en)quête obstinément menée jusqu’à son terme par Rachel Schiller, fils aîné de cet ancien nazi, et transcrite par lui dans un journal tenu avec la plus grande précision jusqu’au jour de son propre suicide.

Pour Malrich, son jeune frère, désespéré de ce suicide, ce journal représentera une sorte de testament familial établissant avec force détails la certitude d’une filiation et d’une généalogie marquée du sceau des crimes perpétrés selon les techniques tristement célèbres de l’extermination systématique par un ascendant direct : son propre père !

Comment alors est-il possible de vivre la condition de fils d’assassin à grande échelle ? ...ou plutôt, comment ne pas supporter de la vivre au point de se donner la mort comme le fit Rachel, l’aîné des deux frères...?

Question complexe mais ce n’est pas la seule que suggère ce roman.

Ainsi cette autre énigme : même à des intervalles éloignés dans son existence, comment un individu peut-il faire coexister en lui la condition d’assassin et celle de combattant pour une cause aussi noble qu’une libération nationale ?

Serait-ce à cause d’une versatilité due à un opportunisme démoniaque ou bien à cause d’une prédisposition au changement, propre à l’espèce humaine et qui intègrerait des transformations radicales de l’être ?

Le roman, bien sûr, n’apporte pas de réponses.

Au contraire, il complique le questionnement en multipliant les situations qui confrontent les hommes à la problématique de l’abus de pouvoir, des lâchetés ambiantes qu’il provoque, du sauve-qui-peut mesquin aux motivations égoïstes et étriquées.

Les dictatures politiques s’exhibent volontiers aux yeux de tous. Leur force brutale le leur permet.

Mais qu’en est-il de celles qui s’exercent à toute petite échelle, dans le microcosme social de la vie de tous les jours, quand les rapports de force se jouent entre individus situés au bas des hiérarchies (policiers, douaniers, citoyens, etc.) avec pour cadre le huis-clos des situations banales (abus de pouvoir, chantage à l’uniforme, intimidations, arbitraires, soumissions) ? Qu’en est-il des faux fuyants qui motivent les silences et les compromissions ? Autant de germes où prolifèrent les dictatures...

Il est vrai que le scénario du Village de l’Allemand est peu banal, voire totalement étranger à l’imaginaire algérien. D’où d’ailleurs les vives réactions suscitées par ce livre dont l’écriture sous la forme de journal -ou plutôt de deux journaux entrecroisés, pour être plus précis- parvient à faire illusion sur la réalité du fait. Sans doute aussi à cause de sa grande lisibilité, critère généralement associé à une écriture littéraire plutôt conventionnelle.

Toujours est-il que si les fictions suggèrent la réalité avec ce que cela provoque de passions et de polémiques voire de censures et de procès, c’est seulement en trompe-l’oeil : un trompe-l’oeil qui place l’imaginaire en perspective lointaine et met la dite "réalité" en avant-plan.

Un lecteur averti n’oublie cependant pas qu’une oeuvre d’imagination, un roman par exemple, ne peut prétendre qu’à un seul type de réalité : une réalité de l’imaginaire et de l’abstraction qui s’adresse avant tout à l’intelligence des hommes pour les interpeller sur tel ou tel aspect de leur condition humaine.

L’histoire du "Boucher de Mauthausen" est, elle, bien réelle, même si la mort de ce dernier fait l’objet d’une enquête officielle pour être sûr qu’elle ne constitue justement pas une fabulation destinée à brouiller les pistes de l’actuelle police allemande traquant cet ancien nazi.

mosimageMais cette histoire ne concerne pas seulement une justice officielle qui, en tant que telle, se doit d’être pleinement appliquée contre les assassins de tous bords, en tous lieux et en tous temps.

Elle concerne l’humanité toute entière. Car selon ce mot de Térence : "Je suis homme et rien de ce qui est (in)humain ne m’est étranger..."

(1) Boualem SANSAL : Le Village de l’Allemand, Editions Gallimard, 2008

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