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Les contradictions du discours islamistes en Tunisie
par Blutch
Publie le vendredi 1er juillet 2011 par Blutch - Open-PublishingC’est mon 3eme jour en Tunisie. J’ai suivis un groupe d’amis à l’Université du 9 avril, la faculté de lettre de Tunis. Des étudiants jouent au poker, des couples s’affichent, s’embrassent en public. C’est un véritable espace de liberté dans une société encadrée par des normes morales très strictes. Parallèlement à cela l’université est depuis les années un espace de foisonnement intellectuel. C’est la que ce sont confrontés pour la 1ère fois l’islamisme, le panarabisme et la gauche tunisienne. C est aussi de la que sont parties certaines des manifestations qui ont fait tomber le régime en place. Un responsable de l’UGET m explique que :« à l’université la parole était beaucoup plus libre. Le regime n’à jamais reussi à la contrôler totalement. Pendant des AG certains étudiants ont ouvertement critiqués Ben Ali ce qui était inenvisageable dans d’autres endroits publics"
Ici le débat se focalise sur l’organisation islamiste Ennadha. Et pour cause celle ci est la seule qui est largement connue par tout les tunisiens. Nous rencontrons un couple. Pour la jeune fille : « on n’a pas besoin de laïcité en Tunisie car Islam is democraty ». Le garçon pense au contraire que « à Ennadha il y encore des fanatiques même si tous ne le sont pas. Dans une nouvelle democratie sa ne serait pas prudent de voter pour des gens qui ont une vision extrémiste de la religion »
Nous rencontrons ensuite Hope et Nawel. Cigarette a la bouche, chapeau de paille sur la tête et gel dans les cheveux, elles me parlent librement -et longuement- de la révolution tunisienne. On est loin de la caricature de l’électorat islamiste. Nawel votera pourtant pour Ennadha car : « il a dit qu’il ne remettrait pas en cause les libertés. En Tunisie les femmes sont libres et la polygamie est interdite. Il a dit qu’il ne toucherait pas a tout sa. Et puis les autres ils peuvent faire disparaitre la religion ». Je retrouverais cette argument a plusieurs reprises. En Tunisie les changements brutaux de la révolution ont entrainé une peur de déclin identitaire.
Cette adhésion, certes partielle, est la conséquence d’une transformation du discours islamiste tunisien. Dans une société tolérante et en cours de sécularisation les islamistes ont transformé leurs discours pour le présenter comme compatible avec les droits de l’homme et la démocratie. Pour Mouthaar du PSGT* cette transformation n’est qu’une évolution de façade. « On dit que Ennadha a deux discours, en fait elle en a cinq ou six. A la télé ils se font les champions des droits de l’homme. Dans certaines mosquées leurs imams fustigent l’occident et présentent la laïcité comme une oppression athéiste. Enfin leurs millitants vont voir les jeunes dans les quartiers et leurs explique qu’ils ne pourront pas accéder au salut si ils laissent entrer les pécheurs en terre d’islam ». Cette adaptation du discours à l’interlocuteur est devenue une véritable stratégie politique de conquête du pouvoir : « Sa ne leurs pose pas de problème car pour eux la démocratie n’est pas une fin en soi » m’explique Mouthaar.
Grace à ses forces considérables le parti islamiste a pris de vitesse les autres forces politiques qui peinent a ce faire connaitres. Pourtant l’adhésion au mouvement religieux reste limitée. Les sondages, certes peu fiables en Tunisie, le crédite de 15 a 30% opinion favorable
Changement de décor. Me voici à l’underground café. J’ai été invité par un groupe d’étudiants. L’endroit est décontracté, on boit de la bière et on joue de la musique. Mes nouveaux compagnons sont ailleurs membre d’un groupe mélangeant le Slam et le Jazz.** Eux non plus ne croient pas à la mutation du parti islamiste : « Ils ont voulu bruler une rue avec des prostitues après la grande prière »*** m’explique l’un d’entre eux. Cette action à suscitée la réprobation de la frange informée de la société tunisienne. Depuis le mouvement s’abstient de telle initiative. Les dérapages oraux eux restent fréquent. Ghannouchi déclarera sur un plateau télé « la Tunisie n est pas prête pour la polygamie ». Devant la réaction de la société civile il reviendra sur ces propos et déclarera « vouloir respecter la volonté des tunisiens »
La résistance aux islamistes elle se met en place. Sur Facebook des groupes fustigeant l’islamisme prolifèrent. "Contre l’intégrisme en Tunisie », « je suis musulmane et Ennadha ne me représente pas », « Ghannouchi t’est pas dieu, tu n’as pas à me juger », « contre ceux qui utilisent la religion a des fins politiques ».Certains on une teinte franchement humoristique. « 100 000 bières à la Marsa », « boire des bières avec Rached Ghannouchi », « construire une Tunisie laïque et regarder un barbu pleurer ». Au sein d’une importante part de la jeunesse l’encadrement moral de la société est de plus en plus perçu comme une remise en cause des libertés individuelles.
La difficulté rencontrée par les islamistes –des résultats limitées malgré d’importants moyens mis en œuvre- révèle en fin de compte le décalage entre leurs projets et les aspirations de la population tunisienne. De plus dans une société de l’information et de la transparence les contradictions du discours islamistes devraient apparaitre de plus en plus flagrantes.
Finalement la balle est dans le camp des organisations progressistes. A elles de se faire connaitre. A elles de proposer un projet de société qui suscite l’adhésion. A elles de réussir à incarner les valeurs de démocratie et de liberté que recherche la population.
Pour les islamistes il faudra se reformer réellement ou disparaitre. Reformer signifiera supprimer définitivement la référence au sacrée. Car dans cette Tunisie démocratique et laïque il n’y a pas de place pour un parti religieux.
René ARRIGHI
*PSGT : Parti socialiste de Gauche Tunisien
**http://www.facebook.com/SLAMouZIKA?ref=ts je leurs dois bien sa
http://fr.canoe.ca/infos/international/archives/2011/02/20110220-081721.html