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Les effets pervers de la loi AUBRY II

Publie le mercredi 9 avril 2008 par Open-Publishing
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Quand la Cour de cassation oblige le salarié à s’habiller à son domicile aux couleurs de son entreprise,
par Michel Desrues

La Cour de cassation vient de rendre un arrêt particulièrement défavorable aux travailleurs (26 mars 2008 no 05-41476).

Elle permet désormais aux employeurs de s’exonérer de leur obligation d’offrir des contreparties financières ou de repos lorsqu’ils leur imposent de porter un vêtement de travail spécifique.

1- A l’origine , se trouve la loi Aubry II du 19 janvier 2000 sur les 35 heures. Son article 2 , devenu l’article L 212-4 alinéa 3 du Code du travail décide (futur article L 3121-3) : Lorsque le port d’une tenue de travail est imposé par des dispositions législatives ou réglementaires , par des clauses conventionnelles , le réglement intérieur ou le contrat de travail et que l’habillage et le déshabillage doivent être réalisés dans l’entreprise ou sur le lieu de travail , le temps nécessaire aux opérations d’habillage et de déshabillage fait l’objet de contreparties soit sous forme de repos , soit financières , devant être déterminées par conventions ou accord ou à défaut par le contrat de travail , sans préjudice des clauses des conventions collectives , de branche , d’entreprise ou d’établissement , des usages ou des stipulations du contrat de travail assimilant ces temps d’habillage et de déshabillage à du temps de travail effectif .

2- De nombreux travailleurs sont obligés, en effet, de porter une tenue spécifique pour des raisons qui tiennent, soit à l’image de l’entreprise (logo de la société), soit à la santé et à la sécurité (chaussures de sécurité de protection)

3- Le temps passé à se vêtir doit-il être indemnisé ? Selon la loi précitée, il faudrait que l’employeur oblige son salarié à s’habiller dans l’entreprise pour être contraint de le payer.

4- Dans un premier temps, les juridictions du fond, suivies par la Cour de cassation ont, à juste titre, estimé que le lieu d’habillage ne pouvait être que l’entreprise ou le lieu de travail :

Affaire des conducteurs-receveurs de bus de Nancy : Tribunal de grande instance de Nancy 31 janvier 2002, Cour d’appel de Nancy 10 Décembre 2002, Cour de cassation 26 janvier 2005 no 03-15033.

Affaire Caterpillar : Conseil de prud’hommes de Grenoble 17 juin 2002, Cour d’appel de Grenoble 1er Décembre 2004.

La Cour de cassation avait aussi censuré , le 5 décembre 2007 , la Cour d’appel de Paris qui avait refusé , le 28 Avril 2006, d’indemniser le temps d’habillage et de déshabillage d’employés de bord d’une compagnie de wagons-lits (no 06-43888).

Elle a même été beaucoup plus loin en appliquant l’article 1315 du Code civil et rendu l’employeur débiteur de l’obligation de payer en temps de travail effectif les temps d’habillage et de déshabillage (12 juillet 2006 no 04-45441)

5- Aujourdh’ui , marche arrière toute ...

Elle fait sienne la position patronale , id est : "Habillez-vous chez vous avant de venir au travail".
C’est exactement l’effet pervers de la seconde condition prévue par l’article L .212-4-3 du Code du travail , dénoncé par un député lors de la séance du 1er décembre 1999.

C’est exactement l’effet pervers de la seconde condition prévue par l’article L. 212-4-3 du Code du travail , denoncé par un député lors de la séance du 1er Décembre 1999 .

6- Il faut que les juges du fond résistent fermement et courageusement à ce revirement aussi rapide qu’injustifié .

L’article L. 120-2 du code du travail doit être mis à contribution : puisque l’employeur oblige, pour ne pas le payer, son salarié, à s’habiller chez lui, il faut démontrer qu’il porte atteinte aux libertés de la personne humaine en dehors des lieux et temps de travail.

On ne voit pas en effet quelles justifications peuvent être données à porter un habit de travail au domicile et entre le domicile et le lieu de travail.

Michel Desrues

Défenseur syndical

Messages

  • précisions

    Certains conducteurs de la Société de transports publics de l’agglomération stéphanoise (STAS) prennent leur service le matin à 5 h 02 dans un dépôt, pour l’achever l’après-midi en centre-ville, tandis que d’autres les relaient en centre-ville et finissent leur service au dépôt.Estimant, d’une part, que les salariés sont ainsi tenus de déposer leur véhicule au dépôt pour prendre leur service ou en revenir et, d’autre part, que les intéressés sont dans l’obligation de revêtir leur tenue sur le lieu de travail.

    Des syndicats demandent :

    1.à ce que le temps de trajet nécessaire pour effectuer la relève ou regagner le dépôt en fin de service soit considéré comme du temps de travail effectif et rémunéré comme tel ;
    2.à que la société soit condamnée à ouvrir des négociations permettant de conclure un accord sur la compensation du temps nécessaire pour revêtir ou quitter l’uniforme, ainsi qu’au paiement de dommages-intérêts pour résistance abusive

    Pour la cour d’appel, la cause est entendue :

    1. le temps de trajet nécessaire pour effectuer la relève ou regagner le dépôt en fin de service doit être considéré comme du temps de travail effectif et rémunéré comme tel. Argumentation rejetée par la cour de cassation

     Argumentation de la cour d’appel : c’est l’organisation du service qui impose aux conducteurs et contrôleurs d’effectuer à la fin de leur service ou avant la prise de relève ce passage au dépôt. De plus, pendant ce trajet, le conducteur ne peut vaquer à ses activités personnelles puisqu’il demeure soumis à un horaire, et reste sous le contrôle de l’employeur dont il porte l’uniforme.

     Rejetant l’argumentation des syndicats, la cour de cassation constate que le temps de trajet ne peut être considéré comme du travail effectif puisque les salariés ne se rendaient au dépôt que pour des raisons de convenance personnelle, les salariés n’étaient pas à la disposition de l’employeur et ne devaient pas se conformer à ses directives : « Qu’en statuant ainsi, alors que le temps habituel du trajet entre le domicile et le lieu de travail ne constitue pas du temps de travail effectif, et qu’elle avait constaté que les salariés n’étaient tenus de passer au dépôt de l’entreprise ni avant ni après leur prise de service et ne s’y rendaient que pour des raisons de convenance personnelle, ce dont elle aurait dû déduire que ces temps de trajet, pendant lesquels les intéressés n’étaient pas à la disposition de l’employeur et ne devaient pas se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles, ne constituaient pas un temps de travail effectif, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».

    2.à que la société soit condamnée à ouvrir des négociations permettant de conclure un accord sur la compensation du temps nécessaire pour revêtir ou quitter l’uniforme, ainsi qu’au paiement de dommages-intérêts pour résistance abusive Argumentation rejetée par la cour de cassation

     Argumentation de la cour d’appel : l’entreprise doit engager des négociations permettant de conclure un accord sur la compensation du temps nécessaire pour revêtir ou quitter l’uniforme au sein de l’entreprise car les salariés sont, en vertu du règlement intérieur, soumis au port d’une tenue de travail qu’ils revêtent et enlèvent non pas au dépôt mais à leur domicile.
    L’entreprise ne peut imposer à ses salariés la persistance d’une pratique extérieure au temps de travail qui porte atteinte à leurs droits et qui n’est ni justifiée par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnée au but recherché.

     Rejetant l’argumentation de la cour d’appel, la chambre sociale revient sur sa jurisprudence antérieure en considérant que l’article L. 212-4 n’impose pas que l’habillage et le déshabillage aient lieu dans l’entreprise ou sur le lieu de travail pour en déduire que l’employeur n’est pas tenu d’allouer une contrepartie au temps nécessaire à l’habillage et au déshabillage.

    Il faut donc selon la chambre sociale que deux conditions soient réunies pour qu’il y ait du temps de travail effectif :
     A. le port d’une tenue de travail obligatoire ;
     B. l’habillage et le déshabillage doivent être effectués dans l’entreprise ou sur le lieu de travail.

    En l’espèce, seul le port d’une tenue de travail était obligatoire, l’habillage et le déshabillage étant libre. Les salariés ne pouvaient donc exiger de l’employeur l’ouverture de négociations destinées à conclure un accord sur la compensation du temps nécessaire pour revêtir ou quitter leur uniforme : « qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que les salariés, astreints en vertu du règlement intérieur au port d’une tenue de travail, n’avaient pas l’obligation de la revêtir et l’enlever sur leur lieu de travail, la cour d’appel a violé le texte susvisé ; » ( Cass.soc., 26 mars 2008 )