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Les "feeder funds" à la fois victimes et complices de l’escroquerie Madoff

Publie le mercredi 24 décembre 2008 par Open-Publishing

Les "feeder funds" à la fois victimes et complices de l’escroquerie Madoff

LE MONDE | 24.12.08 | 10h47 • Mis à jour le 24.12.08 | 10h49

LONDRES CORRESPONDANT

Thierry Magon de la Villehuchet, 65 ans, a mis fin à ses jours, mardi 23 décembre à la veille du réveillon de Noël, dans son bureau de Madison Avenue, à New York. Ce Français était cofondateur d’Access International Advisors, une société qui, dans le cadre de son fonds Luxalpha, avait confié 1,5 milliard d’euros levés en Europe, à la société de gestion de Bernard Madoff. La gigantesque escroquerie organisée par le courtier américain avait plongé cet ancien banquier du Crédit lyonnais dans une profonde dépression.

Access International est un feeder fund, une structure qui recueille des capitaux auprès de banques, des hedge funds ou des associations philanthropiques pour les confier à un gestionnaire. Access International mais aussi Kingate, Fairfield, Optima, Ascot ou Thema, etc., toutes ces enseignes défrayent aujourd’hui la chronique. Elles étaient inconnues au bataillon des stars financières. L’espace d’un scandale, les feeder funds, apparus il y a une dizaine d’années, sont devenus le nouveau symbole des maux de la planète finance.

"A l’inverse des fonds d’investissement traditionnels, les feeder funds ne gèrent pas un portefeuille diversifié. Il s’agit d’intermédiaires distribuant des fonds collectés auprès de grosses fortunes et d’institutions qui sont ensuite investis dans les produits commercialisés par une société de gestion. Ce sont comme des démarcheurs utilisant des techniques de vente sophistiquées en promettant des rendements spectaculaires et réguliers", insiste Simon Hopkins, directeur général du Fortune Group, une société-conseil aux hedge funds basée à Londres.

Il existe deux sortes de feeder funds. Un premier groupe comprend les sociétés extraterritoriales (offshore) de taille moyenne mais dotées de capitaux importants : Fairfield, Access International, Tremont, Kingate, etc. Access International est ainsi immatriculée dans le grand-duché de Luxembourg.

Ces firmes proposent en général un nombre limité de produits. Souvent, ce sont des affaires de famille opaques et ces intervenants constituent un univers fermé. Leurs géniteurs sont en général des personnages à l’entregent reconnu et aux relations nombreuses dans les salons mondains comme dans les allées du pouvoir financier. A l’instar de Thierry Magon de la Villehuchet, ils savaient briller en société tout en restant discrets.

PIRATES

Le second groupe est constitué des grandes banques agissant de concert avec des gestionnaires, à l’instar des Santander-Optimal, Union bancaire privée ou Unicredit Pioneer. Pour attirer le chaland, ces grandes institutions mettent alors en avant la solidité de leur bilan et leur dispositif de contrôle en vue de rassurer les investisseurs.

Aujourd’hui, les feeder funds se présentent en victimes de l’escroquerie Madoff, montrant du doigt les lacunes du régulateur boursier américain (SEC). Pour M.Hopkins, ces fonds sont tout simplement complices de la fraude, car "c’est presque impensable qu’ils n’aient pas été au courant des tenants et aboutissants du système Madoff", précise-t-il.

Ces fonds ont été audités par des commissaires aux comptes ayant pignon sur rue. Mais ces pirates de la finance n’ont pas prévenu leurs clients que l’évaluation du rendement de leur investissement était effectué par Madoff Investiment Securities elle-même, au lieu d’un expert indépendant, comme le réclame la gouvernance d’entreprise.

Où sont passés les 50 milliards de dollars (35 milliards d’euros) perdus par Bernard Madoff ? "Partis en fumée. L’effondrement des marchés a fait capoter le petit commerce des feeder funds. Quant à Bernard Madoff, il a creusé des trous pour en combler d’autres. C’est une escroquerie vieille comme la Bourse", souligne M. Hopkins.

Les investisseurs lésés peuvent par ailleurs difficilement traîner en justice des feeder funds aux caisses vides, immatriculés de surcroît dans des paradis fiscaux.

C’est pourquoi, à l’exemple de l’université de New York, bon nombre de victimes de Bernard Madoff envisagent désormais de réclamer des dommages aux commissaires aux comptes accusés d’avoir fermé les yeux sur les liens de ces fonds avec le funeste courtier.

Marc Roche

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