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Les géants du CAC 40 crèvent les plafonds boursiers

Publie le jeudi 4 août 2005 par Open-Publishing

de Sébastien Ganet

La déconnexion est de plus en plus visible. Les résultats financiers des groupes français sont, comme en 2004, mirobolants alors que la croissance économique est à l’arrêt. Les très grandes entreprises françaises publient en ce moment leurs comptes du premier semestre 2005. Comme l’année dernière, se dessine une tendance lourde : profits et bénéfices explosent (voir tableau) grâce à la stagnation, voire la régression des salaires, d’une part, et grâce à de vastes plans de restructuration, d’autre part (voir articles ci-après). Sur les six premiers mois de l’année, France Télécom multiplie par trois son bénéfice par rapport au premier semestre 2004, à 3,4 milliards d’euros. Son profit augmente de 50 %. Le groupe sidérurgique Arcelor engrange un bénéfice de 2 milliards d’euros, en augmentation de 122 %. Son profit explose lui aussi, de 117 %.

Dividendes contre emplois

Des chiffres qui donnent le tournis au moment où Dominique de Villepin fait adopter en Conseil des ministres son plan d’urgence prétendument pour l’emploi. Il permet aux entreprises de moins de vingt salariés de licencier sans justification aucune sur une période de deux ans (voir article ci-après). Une telle coïncidence en dit long. En effet, comment ne pas s’interroger quand, d’un côté, l’automobiliste Renault augmente, au premier semestre 2005, son bénéfice de 52 % à 2,2 milliards d’euros et que, de l’autre, nombre de ses PME sous-traitantes sont aux abois ? Dans la filière industrielle de la plasturgie, par exemple, deux petites entreprises disparaissent tous les mois, nous indiquait Claude Nerrière, président de l’AFIM, l’Association française de l’industrie du moule (voir l’Humanité du 2 juillet 2004). « Le face-à-face entre PME et grands donneurs d’ordres, c’est le pot de terre contre le pot de fer », soulignait-il, évoquant les pressions financières intenables des grands groupes et des banques sur les PME. De même, dans le secteur de l’équipement des télécoms, Alcatel réussit à faire grimper de 104 % son bénéfice sur les six premiers mois de 2005 après avoir fait disparaître plusieurs de ses sous-traitants. Loin d’aider les petites entreprises face à leurs difficultés, le gouvernement les incite à licencier. Un comble quand le chômage est vissé au-dessus de 10 % et que les PME éprouvent toutes les difficultés à embaucher des personnels qualifiés, à accéder aux crédits bancaires et à se faire payer par leurs très gros clients industriels.

Les mesures du gouvernement amplifient et pérennisent une situation paradoxale où, d’un côté, les groupes et leurs actionnaires accroissent leurs capitaux de façon très rapide et, de l’autre, l’économie tout entière est à l’arrêt, amorphe, comme le souligne l’« indicateur avancé de l’activité économique en France d’Ixis CIB ». La banque prévoit en effet un taux de croissance du PIB (produit intérieur brut) de 1,3 % en 2005. L’atonie de l’économie française est saisissante et pèse sur l’emploi. Pour freiner la hausse du chômage en France, une croissance du PIB de 3 % au minimum serait nécessaire. Mais loin du compte, aujourd’hui, la politique du gouvernement et la gestion des groupes empêchent un tel résultat. Tout est mis en oeuvre pour gonfler le profit et le bénéfice au service du dividende de l’actionnaire, comme le montre le cas Alcatel où le résultat net par action est prévu en hausse de 40 % cette année. Les gros actionnaires sont doublement gagnants. D’une part, en poussant les directions d’entreprise à pressurer comme jamais les dépenses sociales (salaires, formation, retraites, etc.) et l’emploi, ils font croître mécaniquement les bénéfices disponibles pour augmenter les dividendes. D’autre part, les actionnaires bénéficient d’exonérations d’impôts de plus en plus importantes sur les plus-values réalisées à la revente de leurs actions. Privilégier ainsi la rente au détriment de l’emploi et de l’activité réelle est mortifère.

Rémission boursière ou Bérézina ?

À ce titre, l’adoption dès cette année des nouvelles normes comptables anglo-saxonnes IFRS ne va rien arranger. Elles permettent aux marchés financiers d’évaluer chaque entreprise par rapport à une norme internationale de rentabilité financière, et non plus par rapport à son activité réelle. La déconnexion entre profits d’une part et croissance et emplois d’autre part est ainsi renforcée. Pour l’instant, cet écart entraîne la Bourse de Paris vers de nouveaux plafonds. L’annonce de profits et de bénéfices en hausse a fait rebondir le CAC 40 depuis vendredi jusqu’à 4 465 points, soit son plus haut niveau depuis trois ans.

La rémission boursière des groupes français intervient seulement trois ans après que le CAC 40 a dévissé sévèrement. Au printemps 2002, l’indice avait dégringolé jusqu’à 2 600 points, un niveau qu’il n’avait pas atteint depuis le 28 octobre 1997. Enfoncées par une secousse tellurique de très grande ampleur, les quarante plus grandes sociétés françaises avaient vu leur valeur dégradée de plus de 40 % par les marchés financiers en à peine six mois. Par exemple, le cours de l’action France Télécom, qui culminait à plus de 250 euros en 2000, s’est vu alors « douché » à moins de 10 euros. La cause : les grands groupes français s’étaient lourdement endettés pour multiplier les opérations de fusions-acquisitions. Aujourd’hui, après avoir réduit fortement leurs dettes et licencié à tour de bras, les groupes s’apprêtent à se relancer dans de vastes opérations transfrontières (voir article et tableau ci-dessous). Il y a fort à parier qu’un tel mouvement sera lourd de conséquences. Le gouvernement y prend une responsabilité non négligeable en déclarant vouloir protéger les noyaux durs d’actionnaires sous couvert de patriotisme, suite à la rumeur d’OPA sur le groupe Danone. Agiter le drapeau tricolore n’a pas de sens alors que la part des investisseurs étrangers (fonds d’investissement, fonds de pension, compagnies d’assurances) atteint plus de 40 % aujourd’hui en moyenne dans les grands groupes du CAC 40. Les coopérations entre entreprises de nationalités différentes ne sont pas un problème, au contraire. Ce qui pose problème, c’est d’accumuler sans cesse du capital contre les dépenses en salaires ou en formation par exemple. Reconnecter l’activité des groupes à la croissance du pays et à l’emploi nécessite d’extraire les groupes de l’étouffoir des marchés financiers.

http://www.humanite.fr/journal/2005...