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Les implantations sauvages de Cisjordanie prennent racine

Publie le mercredi 3 décembre 2003 par Open-Publishing

Il y a six mois, Israël s’était engagé à démanteler des dizaines d’avant-postes de colonies illégales. Aujourd’hui, on constate, en les visitant, que 18 d’entre eux sont en train de devenir de véritables implantations. Une colonisation rampante au mépris de la "feuille de route" et instrumentalisée par le gouvernement comme "joker" pour les négociations.

Nouvelles routes, nouvelles caravanes, construction de maisons en dur : les signes de la permanence se multiplient, suivant le schéma classique de la colonisation juive en Cisjordanie. Tout commençait par l’installation sauvage d’un petit nombre de familles dans des mobile-homes, centres de peuplement ensuite légalisés par le gouvernement qui leur fournissait assistance financière et services publics.
Ces nouvelles implantations, de petite taille, sont toujours illégales. Et considérées comme un problème totalement différent des 150 colonies officielles de Cisjordanie et Gaza, où vivent quelque 220.000 Israéliens.

A Mitzpeh Danny, à 10km de Ramallah, quatre nouveaux mobile-homes ont surgi sur la colline ces quatre derniers mois, soit bien après l’acceptation de la "feuille de route". Ils sont arrivés de nuit afin d’éviter d’attirer l’attention, explique le colon Reuvent Gafni. Désormais, 20 familles sont installées, contre six l’année dernière.
Les rues sont pavées, il y a l’eau courante, une dérivation électrique depuis l’implantation de l’autre côté de la route. Les colons de Mitzpeh Danny ne se comportent pas vraiment comme s’ils s’attendaient à en être chassés d’un instant à l’autre.

Gafni entasse de grosses pierres pour border son jardin ; Elichai Dinner amène de la terre pour planter son gazon ; Rami Dayan installe un auvent au-dessus de son terrain de jeux... "Nous bâtissons. Ce sur quoi ils se disputent, je n’en ai aucune idée", affirme Rami Dayan.

Mitzpeh Danny et les autres implantations illégales visitées par l’Associated Press forment une chaîne nord-sud, le long de l’épine dorsale de la Cisjordanie, séparant les principaux centres de population palestinienne, Naplouse, Ramallah, Jéricho. Si elles devenaient permanentes, elles empêcheraient toute continuité de l’Etat palestinien en territoire cisjordanien.

Nombre de Palestiniens et pacifistes israéliens pensent que c’est exactement ce qui est en train de se passer.
Et ce malgré l’acceptation de la "feuille de route" lors d’un sommet en juin réunissant le Premier ministre israélien Ariel Sharon, son homologue palestinien d’alors Mahmoud Abbas et le président américain George W. Bush.
Le plan de paix, actuellement gelé, exigeait le démantèlement immédiat des quelques 60 colonies illégales établies depuis mars 2001 et l’arrivée au pouvoir de Sharon, ainsi que le gel des constructions dans les implantations légales.

Peu après, symboliquement et devant les caméras de télévision, des soldats affrontaient des colons furieux et démantelaient quelques avant-postes. Le gouvernement affirme avoir démantelé ou prévenu l’établissement de 43 avant-postes. Mais a refusé d’en fournir la liste, malgré les demandes répétées d’AP.

Selon La Paix Maintenant, seuls huit ont été démantelés, et cinq autres se sont installés qui sont toujours là. Il en resterait une centaine, dont certains déjà crées avant mars 2001.
Sharon a confirmé la semaine dernière que son gouvernement n’envisageait pas de tous les évacuer, car certains ont une "valeur suprême au regard de la sécurité". "Ce qui est illégal sera démantelé, ce qui est nécessaire demeurera", a-t-il dit.
"La politique d’Israël n’est pas d’évacuer ou démanteler les avant-postes, c’est de les étendre et d’en faire des implantations permanentes", souligne Yariv Oppenheimer, de La Paix Maintenant. "Le reste, ce ne sont que de belles paroles."

Le gouvernement nie : les implantations sauvages qui ne seront pas détruites ne resteront que le temps nécessaire à la sécurité. "Si le processus de paix avance, si les Palestiniens respectent la feuille de route, alors certaines de nos craintes en matière de sécurité seront soulagées, et certains de ces avant-postes deviendront superflus", explique Zalman Shoval, conseiller de Sharon.

En attendant, dans certains avant-postes, mutisme et hostilité accueillent les journalistes. Brandissant des fusils, les colons les font déguerpir : "C’est une propriété privée ! Dégagez !", hurle un jeune homme, armé et portant kippa.
A Mitzpeh Danny, Reuvent Gafni tempère. Le gouvernement ne veut pas que les avant-postes s’étoffent, mais pas non plus que les colons s’en aillent, estime-t-il : ils sont une importante carte à jouer dans la négociation avec les Palestiniens. En tous cas, les habitants de cette implantation-là ne sont pas des furieux. Ils veulent certes rester, mais si Mitzpeh Danny doit être démantelé, ils ne prendront pas les armes...

MITZPEH DANNY, Cisjordanie (AP)