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Les ouvriers de la Southern Oil Company ont gagné

Publie le samedi 13 mars 2004 par Open-Publishing

Par Ewa Jasiewicz*

Bassora, le 29 janvier 2004. Après trois mois de lutte, soutenue par la
menace d’une grève armée, les ouvriers de la Southern Oil Company (SOC) ont
obtenu une augmentation des salaires. Tous les travailleurs du pétrole en
Irak seront dorénavant payés en fonction de la grille des salaires négociée
à la SOC. L’unité et le soutien apportés par les ouvriers de la branche des
champs pétrolifères du centre et du nord à Kirkuk, Baaji et à Daurra de
Bagdad furent essentiels pour cette victoire. De plus, l’Autorité provisoire
d’occupation et le Conseil du gouvernement sont très dépendants de la
production et de l’exportation de la SOC, la plus grande et la plus rentable
entreprise pétrolière en Irak, du fait des attaques continuelles contre les
stations de pompage et les oléoducs permettant d’acheminer la production des
champs pétrolifères du Nord. Les seules entreprises qui exportent jusqu’à
maintenant le pétrole brut irakien sont la SOC et la Basra Oil Company.

En décembre, les représentants du syndicat ont dit à Occupation Watch qu’ils
avaient expliqué depuis un mois aux travailleurs que seule la grève pouvait
leur permettre d’assurer leurs salaires. Lorsque les ouvriers de la SOC se
sont rendus compte que leurs salaires étaient fixés par l’Autorité d’
occupation (AO), comme le prouvait l’ordre n° 30 sur les conditions d’emploi
des employés publics, signé par Paul Bremer, et que de plus ces salaires
étaient inférieurs à l’allocation d’urgence versée par l’occupant après l’
effondrement du régime Saddam, ils ont décidé d’établir leur propre grille
de salaires fondée sur les prix du marché en y incluant les prix du fuel, du
gaz, les loyers, les produits alimentaires, les frais de transport et en
tenant compte du niveau du risque. La grille de salaires de l’OA était
fondée pour sa part sur les prix de l’ancien régime. Dans toutes les
entreprises visitées par Occupation Watch les travailleurs se plaignaient de
leurs salaires bas, payés en retard et fluctuants et de la suppression de
toutes les allocations de survie qui leur avaient permis de survivre sous l’
ancien régime.

La grille établie par le syndicat de la SOC réclamait que le salaire minimum
pour un ouvrier du pétrole soit établi à 155 000 dinars irakiens (110
dollars) par mois, soit plus du double des 69 000 dinars fixés par l’
occupant. La grille de la SOC supprimait aussi deux catégories et 20
positions d’une grille comptant 130 positions et 13 catégories. Après deux
jours d’assemblées générales en décembre, le syndicat a convaincu la
direction de soutenir sa demande. Cette dernière a été accompagnée de la
menace des travailleurs de rejoindre la résistance armée si leurs
revendications n’étaient pas acceptées. Cela a incité le Ministre du Pétrole
à se rendre lui-même à Bassora et à ouvrir immédiatement les négociations
avec les représentants du syndicat.

Le résultat négocié a été de porter le salaire minimum de ceux qui forment
le cour de l’économie irakienne à 102 000 dinars par mois, soit une
augmentation de 33 000 dinars. Toute leur grille commence maintenant au
niveau de la catégorie 9 et tous ceux qui en bénéficiaient déjà passent à la
catégorie suivante - les salaires y étant compris entre 120 000 et 155 000
dinars. Le niveau maximum de salaire d’un ouvrier non qualifié peut
atteindre 328 000 dinars par mois - le sommet de la catégorie 6. La
catégorie 5 concerne les ouvriers diplômés et les techniciens, la catégorie
4 les ouvriers avec plus de 30 ans d’ancienneté et les trois suivantes les
ingénieurs et les directeurs.

Mais pourquoi avoir cédé sur le niveau du salaire minimum ? Pourquoi n’avoir
pas poussé l’avantage jusqu’à l’obtention des 155 000 dinars minimum ? Avec
102 000 dinars on peut à peine survivre. Le loyer le plus bas à Bassora est
de 25 000 dinars (pour la plupart des gens 50 000), ce qui ne laisse que
près de 20 000 dinars par semaine pour la nourriture, l’école, les livres,
le gaz, l’essence, l’entretien de la voiture, l’eau potable, les cigarettes
et tout le reste. Un bidon plastique de 4,5 litres d’eau potable fourni par
l’ONU coûte 250 dinars. Un petit poulet - 3 500 dinars, 1 kg de pommes ou d’
oranges - 750, de pommes de terre - 500, de tomates - 500 (à Bagdad, du fait
des coûts de transport, c’est 2 000 dinars.), un sac de pain - 250, une
bouteille de gaz - près de 2 000. Pour des chaussures d’adulte en cuir il
faut compter 20 000 dinars, une paire de chaussettes - 500 et le shampooing
familial le moins cher coûte 750 dinars. Il est donc clair qu’une famille
peut juste survivre, en se limitant à des rations simples, sans pouvoir
économiser ou se payer des extra ni même des habits neufs. C’est la
situation de la majorité du peuple irakien, du mois de ceux qui ont la
chance d’avoir un emploi - car les quelques 7 à 10 millions de chômeurs ont
encore plus d’une lutte devant eux.

Selon la grille de salaires de l’OA plus d’un tiers (35 %) des salariés du
public gagnent entre 69 000 et 155 000 dinars ; 10 % - les directeurs et
administrateurs - reçoivent entre 574 000 et 920 000.

Alors pourquoi ce compromis ? En fait ce n’en est pas un. Les primes de
risque et de déplacement ont été également prises en compte et une autre
prime de 18 % à 30 % de salaire doit être ajoutée au montant de base. Cela
signifie que tous les salaires réels seront potentiellement de 30 %
supérieurs à la grille, selon le lieu du travail - le désert, une région
éloignée, un travail dangereux. Il n’est pas encore clair si Rumeilla Nord,
une zone contaminée par l’uranium appauvri au cours des deux guerres du
Golfe, est incluse dans les zones dangereuses, mais le danger qu’elle
présente pour les ouvriers qui inhalent des déchets radioactifs dispersés
par les troupes d’invasion est immédiat, grave et met en cause leur vie.

Le dirigeant du syndicat de SOC, Hassan Jum’a, a dit à propos de leur
victoire : " C’est quelque chose dont nous étions certains. Notre secteur
est le mieux organisé en Irak et nous avons été élus par les ouvriers
eux-mêmes. "

Concernant les effets de cette victoire sur la lutte qui monte dans le
secteur de l’électricité, Jum’a explique : " Le secteur pétrolier a été le
premier, les autres vont suivre bientôt, cela va changer, l’influence
[syndicale] se fait sentir. " Samir Hanoun, vice-président de la Fédération
des syndicats irakiens, a dit que le résultat de la lutte l’a fait frémir,
car il était " tout bon " et qu’il a déjà eu un impact positif sur les
négociations menées par les syndicats de l’électricité en vue d’augmenter
les salaires. " Nous serons les suivants et bientôt, cela nous a aidé dans
nos négociations qui s’orientent bien ", ont dit les syndicalistes de l’
électricité à Occupation Watch. Le succès des travailleurs irakiens limite
les ambitions exploiteuses de l’Autorité d’occupation et signifie un coup
porté à la logique des entrepreneurs qui se vantent que l’Irak dispose d’une
des mains-d’ouvre les moins chères au Moyen-Orient.

L’administration régionale d’occupation manifeste son ignorance sur les
grilles de salaires, mélangeant celle du SOC avec celle ordonnée par Paul
Bremer en septembre, imprimée dans une brochure en couleurs en décembre afin
que les ouvriers comprennent pourquoi il doit leur être naturel de recevoir
un salaire d’esclave.

Quoi qu’il en soit, le courage des travailleurs du pétrole, affirmant leur
puissance en tant que secteur capable d’imposer ses revendications au
Conseil du gouvernement et de contester l’Autorité d’occupation supposée
avoir toujours " le dernier mot ", montre que la résistance sociale contre l
’occupant et ses diktats est bien vivante et prête à la grève pour imposer
la justice. Personne ne considère que la victoire des travailleurs de la SOC
soit une fin, mais que ce n’est qu’un début après les décennies de silence,
de violence et de meurtres imposées par la dictature de Saddam. C’est aussi
le premier combat dans la guerre sociale qui aura fait faire un saut à la
conscience des travailleurs irakiens, si malmenés par le Baas, qui réalisent
qu’ils sont eux-mêmes une arme puissante contre l’injustice, l’exploitation
et l’occupation.


* Ewa Jasiewicz est consultante de l’ONG Occupation Watch.