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Les retraites dorées des seigneurs du capitalisme
Publie le lundi 26 avril 2010 par Open-Publishing3 commentaires
Les retraites dorées des seigneurs du capitalisme
Par Ivan du Roy (15 avril 2010)
Une centaine de grands patrons d’entreprises cotées en Bourse bénéficient d’un précieux régime de retraite complémentaire, les fameuses "retraites chapeaux". Grâce à elles et pour parer à une baisse de leur rémunération, ils seront à l’abri du moindre besoin pour leurs vieux jours. Car c’est en millions d’euros que les prestations faiblement soumises à l’impôt leur sont versées. Une injustice qui rime avec folie des grandeurs, à l’heure où le droit à la retraite du plus grand nombre est remis en cause.
Pas question d’augmenter les cotisations patronales pour financer le régime des retraites. Cela handicaperait la compétitivité des entreprises, dixit la patronne du Medef, Laurence Parisot. Les grandes entreprises cotées en bourse ne se privent pourtant pas de provisionner des dizaines de millions d’euros pour financer de faramineuses retraites complémentaires à leurs dirigeants, ces « retraites chapeaux » qui défraient régulièrement la chronique. Comme si malgré leurs salaires souvent excessifs, leurs stockoptions, et leurs parachutes dorés, les PDG à la retraite risquaient de galérer, tel un smicard qui voit san pension baisser irrémédiablement.
La « retraite chapeau », c’est un régime de retraite complémentaire qu’une grande entreprise offre à ses dirigeants pour compléter le régime de base. C’est le Conseil d’administration qui en fixe les modalités etnles conditions d’obtention.
Exemple : un dirigeant de la World Company perçoit un salaire annuel d’un million d’euros. Lors de son départ en retraite à 60 ans, et même si son ancienneté ne dépasse pas quelques années, son entreprise lui assure un taux de remplacement de sa rémunération (salaire, primes, jetons de présence…) de 50%. Elle lui versera donc directement une rente qui viendra largement compléter, à hauteur de 500.000 euros par an, les pensions versées par la Sécurité sociale et la caisse de retraite des cadres (celles-ci sont soumises à un plafond). Et ce, jusqu’à son décès. Comme vous allez le constater, la réalité dépasse allègrement cette modeste fiction.
400 fois le minimum vieillesse
Selon l’Autorité des marchés financiers, une centaine de dirigeants d’entreprises cotées (CAC 40 et SBF 120) bénéficient en France de ce régime très spécial. Dans notre tableau ci-dessous, nous avons regroupé les montants des retraites chapeaux versées à 24 dirigeants de grandes entreprises. Ces informations sont publiques mais dispersées dans les volumineux bilans financiers des grands groupes, divulguées ici ou là, au gré des révélations sur les faramineuses rémunérations des patrons, par un article dans la presse économique ou dans des blogs juridiques et financiers. Chaque année, ces 24 dirigeants reçoivent ensemble près de 30 millions d’euros en pension retraite !
Dirigeant | Société | date de départ de l’entreprise | Pension retraite annuelle | Equivalence en minimum vieillesse |
Owen-Jones Lindsay | L’Oreal | 2006 | 3,4 millions | 400 |
Zacharias Antoine | Vinci | 2006 | 2,2 millions | 259 |
Landau Igor | Aventis | 2005 | 1,8 million | 211 |
Fourtou Jean-Rene | Aventis | 2002 | 1,6 million | 188 |
Dehecq Jean-François | Sanofi-Aventis | En fonction | 1,6 million | 188 |
de Royere Edouard | Air Liquide | 1995 | 1,6 million | 188 |
Beffa Jean-Louis | Saint-Gobain | En fonction | 1,5 million | 176 |
Forgeard Noel | EADS | 2007 | 1,2 million | 141 |
Bernard Daniel (1) | Carrefour | 2005 | 1,2 million | 141 |
Fourtou Jean-Rene (2) | Vivendi | 2005 | 1,2 million | 141 |
Pauget George | Credit agricole | En fonction | 1,13 million | 133 |
Proglio Henri | Veolia | 2009 | 1 million | 117 |
Schweitzer Louis | Renault | 2005 | 1 million | 117 |
Collomb Bertrand | Lafarge | 2003 | 1 million | 117 |
Joly Alain | Air Liquide | 2001 | 1 million | 117 |
Potier Benoit | Air Liquide | En fonction | 1 million | 117 |
Morin Thierry | Valeo | 2009 | 880000 | 94 |
Pebereau Michel | BNP-Paribas | 2003 | 800000 | 94 |
Bouton Daniel | Societe Generale | 2008 | 730000 | 86 |
Folz Jean-Martin | Peugeot Citroen | 2007 | 630000 | 74 |
Weinberg Serge |
PPR | 2005 | 600000 | 70 |
Richard Pierre | Dexia | 2008 | 583000 | 68 |
de Pouzilhac Alain | Havas | 2005 | 137500 | 16 |
Gazet du Chatelier Christian | Solendi | 2007 | 130000 | 15 |
en euros / par an | |
Retraite moyenne tout regime | 15500 |
Minimum vieillesse | 8500 |
(1) La Justice a annulé fin 2008 la provision d’environ 30 millions d’euros destinée à la retraite chapeau de Daniel Bernard.
(2) Jean-René Fourtou a renoncé en 2005 à sa seconde retraite chapeau octroyée par le Conseil d’administration de Vivendi.
Lindsay Owen-Jones, l’ancien PDG de L’Oréal, reçoit ainsi une pension annuelle de 3,4 millions d’euros.
Soit 400 fois le minimum vieillesse ! Deuxième sur le podium de ces retraites qu’on ne peut même plus qualifier de dorées, l’ancien PDG de Vinci, Antoine Zacharias touche 2,2 millions d’euros. Il est talonné par Igor Landau et Jean-René Fourtou, tous les deux anciens dirigeants d’Aventis. L’argument patronal pour justifier ces mégas pensions est toujours le même : il faut « fidéliser » les dirigeants en intégrant ces retraites chapeaux dans leurs contrats et les protéger d’une chute brutale de revenus lors de leur départ en retraite. Cette justification ne tient pas un instant lorsqu’on connaît les différentes et colossales rémunérations de ces dirigeants en activité. La moyenne de la rémunération brute globale des patrons du CAC 40 atteignait avant la crise 2,2 millions d’euros annuels (chiffres de 2006). Et ce n’est qu’une moyenne.
Rente à vie
Pendant les dix années qui ont précédé sa retraite, la rémunération d’Antoine Zacharias, champion des stock-options, s’est ainsi élevée au total à 250 millions d’euros. En lui assurant une retraite conséquente, on ne peut que saluer la charitable initiative de Vinci pour éviter l’indigence à son ancien PDG. Sans sa retraite chapeau, celui-ci aurait sans doute été obligé d’hypothéquer son pavillon de banlieue pour errer de centres d’hébergements en hôtels meublés tout en pratiquant la mendicité. Sa généreuse pension le protègera de ces désagréments. Mais qu’en est-il des 90.000 autres salariés du groupe de BTP dont le salaire mensuel moyen est de 2.750 euros ? Le misérable régime général, c’est bon pour la plèbe !
« L’ex PDG d’Airbus a également réussi à négocier une retraite ’’chapeau’’ de pas moins de 100.000 euros par mois. Avec à peine plus de 60 ans, il peut ainsi espérer amasser une rente cumulée de 30 millions d’euros sur les 25 prochaines années. Si ce chiffre de 100.000 euros par mois a été par la suite démenti par l’interessé, ce dernier n’a pas infirmé l’information du versement par Airbus d’une retraite chapeau conséquente », observe, en octobre 2007, Le Figaro à propos de Noël Forgeard qui a laissé, comme chacun sait, Airbus (EADS) dans une situation loin d’être admirable.
Des provisions par millions
Pour financer les retraites chapeaux de ces hauts dirigeants, les grandes entreprises provisionnent des sommes considérables : 40 millions à Vinci, 32,9 millions à la Société générale, 28,6 millions à BNP Paribas, 13 millions à Veolia pour la retraite chapeau du seul Henri Proglio (quand il prendra sa retraite après son passage à EDF), entre 8 et 11 millions au groupe PPR (Fnac, Conforama, Gucci…) pour Serge Weinberg, 3 millions à Solendi, une entreprise qui gère le « 1% logement »…
Bizarrement, on n’entend pas Laurence Parisot monter au créneau pour défendre la « compétitivité » des entreprises menacées par les retraites chapeaux. Pourtant, ces provisions représentent un pourcentage non négligeable de la trésorerie : près de 5% du bénéfice net 2009 de la Société Générale [1], 2,2% du résultat net 2009 de Veolia [2] dans le cas d’Henri Proglio. Et calculées sur l’espérance de vie moyenne après 60 ans, ces provisions devront être ré-alimentées si un ex-PDG vit plus vieux que prévu. Et ce, quelle que soit la situation financière de l’entreprise dans 10, 20 ou 30 ans. Une garantie durable dont ne bénéficient pas la grande majorité des salariés.
Le cas Daniel Bernard, ancien PDG de Carrefour, demeure emblématique. Lors de son départ en 2005, les actionnaires apprennent qu’il va bénéficier à ses 60 ans d’une retraite complémentaire annuelle de 1,243 million d’euros par an, correspondant à 40% de sa dernière rémunération. « Compte tenu d’une espérance de vie moyenne de 85 ans, cela représentait donc la coquette somme de 31 millions d’euros. Outre cette confortable retraite, Daniel Bernard avait obtenu le versement d’une clause de non-concurrence, équivalent à trois années pleines de salaires, soit 9,4 millions d’euros », précise Le Nouvel Observateur. Soit près de 40 millions… Manque de chance, trop pressé de profiter de sa rente viagère, Daniel Bernard s’en va à 58 ans. La nouvelle direction de Carrefour conteste la retraite chapeau devant la Justice. La pension sera
finalement annulée en appel fin 2008. Rassurez-vous, privé de ses droits à la retraite, le malheureux Daniel Bernard a su rebondir : il a pris la présidence d’une chaîne de bricolage britannique Kingfisher (Castorama…), est administrateur d’Alcatel (100.000 euros en 2009 pour participer aux réunions) et de Capgemini.
Trois ans de cotisation : 1,2 million de pension
Autre cas insolite : celui de Jean-René Fourtou. Il figure deux fois dans notre tableau, et ce n’est pas une erreur ! Car les retraites chapeaux peuvent se cumuler. Aventis s’est engagé à lui verser une pension de 1,6 million d’euros après son départ en 2002. Puis Vivendi Universal, dont il est PDG de 2002 à 2005, lui promet, pour à peine trois années de labeur, une retraite complémentaire de 1,2 million [3]. Dans un magnifique accès de sobriété, l’ancien triple PDG (Rhône-Poulenc, Aventis, Vivendi) renonce à toucher sa seconde retraite complémentaire. « Je considère que celle que je touche comme ancien président d’Aventis est suffisante », déclare-t-il, en 2005, devant l’assemblée générale des actionnaires, craignant d’être éclaboussé par le scandale de la retraite chapeau de son collègue de Carrefour. Quelle délicate attention !
Il reste cependant Président du Conseil de surveillance de la multinationale et touche à ce titre une
rémunération d’un million d’euros annuel. Et après Aventis, Vivendi lui assure un bien-être minimum pour plusieurs générations : « Au total, en trente mois, il avait virtuellement amassé 27 millions d’euros au moment de son départ, essentiellement en stock-options (son dernier salaire s’élevait à 3,4 millions d’euros). De quoi goûter paisiblement sa semi-retraite de président du conseil de surveillance (un million d’euros par an) », rappelle le quotidienLes Echos.
La discrète multinationale Air Liquide, fournisseur de gaz « rares » (hydrogène, azote…) pour l’industrie, est aussi particulièrement généreuse avec ses anciens dirigeants. Son président d’honneur, Édouard de Royère, empoche chaque année une modeste pension de retraite équivalente à 188 allocations de solidarité aux personnes âgées (minimum vieillesse). Édouard de Royère est également membre du Conseil d’administration du groupe financier Fimalac, propriétaire à 60% du groupe Fitch et de son agence de notation financière du même nom (Fitch Rating). Celle-là même qui, avec les agences Moody’s et Standard Poors, évalue les États en fonction de leurs dettes publiques. C’est elle qui a récemment abaissé la note de la Grèce, précipitant le pays dans la crise… et l’obligeant à affaiblir son système de protection sociale, dont son régime de retraite. C’est, entre autre, pour éviter un tel sort, que le gouvernement Sarkozy accélère la remise en cause de l’assurance vieillesse. Remise en cause qui, bien évidemment, ne concerne pas les retraites chapeau.
Vous frisez l’exaspération ? Ce n’est pas terminé. Les montants provisionnés par les entreprises pour financer ces retraites chapeaux sont très faiblement imposés. Les contributions de l’entreprise ne sont pas soumises aux cotisations sociales, ni à la CSG ou à la CRDS. Elles n’alimentent donc pas les caisses de retraite. Jusqu’à fin 2009, elles étaient imposées entre 6% et 12%. Quant aux pensions versées aux dirigeants, elles étaient taxées à 8%. Considérées comme une rente viagère, elles bénéficient d’un abattement de 10% pour le calcul de l’impôt sur le revenu. Le Premier ministre François Fillon a annoncé en avril 2009 qu’il taxerait les retraites chapeaux « de façon confiscatoire ». En 2010, la taxation de ces provisions a été doublée (entre 12% et 24%) et une contribution de 30% est mise en place pour les rentes dépassant huit fois le plafond de la Sécurité sociale, soit au-delà de 276.960 euros annuels. On reste très loin d’une mesure confiscatoire. À l’aune de la réforme des retraites, ces mégas privilèges ne sont, pour l’instant, pas menacés. La baisse des pensions du retraité moyen – qui touche 1.288 euros par mois [4] –
est, elle, déjà programmée. Vous avez dit inégalités ?
Ivan du Roy
Nota Notes
[1] 678 millions d’euros en 2009, trois fois moins qu’en 2008.
[2] Résultat net part du groupe de 584 millions d’euros, en hausse de 44% par rapport à 2008.
[3] Montant cité dans le rapport parlementaire du député Philippe Houillon sur les rémunérations des
dirigeants, juillet 2009.
[4] Selon le Conseil d’orientation des retraites
Messages
1. Les retraites dorées des seigneurs du capitalisme, 26 avril 2010, 11:47, par momo11
Normal,ils sont de la race des saigneurs !!!momo11
2. Les retraites dorées des seigneurs du capitalisme, 26 avril 2010, 18:10, par airelle
En 1789, n’avez t-on pas aboli les privilèges ??? Il va vraiment falloir leur rafraîchir la mémoire !!!
3. Les retraites dorées des seigneurs du capitalisme, 26 avril 2010, 23:02, par Cheminot
Des privilèges fiscaux : Quand l’Etat exonère c’est 140 milliards qu’il perd
Extraits d’un dossier publié dans Libération le 28 janvier 2010
1. Les exemptions d’assiette sociale (tickets restaurant, intéressement…) 34,5 milliards
Qu’est-ce que c’est ? C’est le gros trou noir des finances de la Sécu. Et le plus controversé. Tickets restaurant, chèques vacances, indemnités de départ à la retraite ou encore intéressement et participation des salariés aux résultats de l’entreprise : autant de dispositifs qui échappent aux cotisations sociales censées financer la Sécu.
Des « exemptions d’assiette » que le gouvernement se refuse à évaluer, estimant que cela impliquerait de « faire des hypothèses sur les taux de prélèvement ». Instaurées pour stimuler les dispositifs précités, ces exemptions représentent pourtant, selon la Cour des Comptes, un manque à gagner annuel compris entre 30 et 34,5 milliards d’euros.
Est-ce que ça marche ? Incontestablement, ces exemptions d’assiettes ont permis à nombre de dispositifs de prendre leur envol. Il en est ainsi de la participation et de l’intéressement des salariés aux résultats de l’entreprise, qui concernent plusieurs millions de personnes. Problème : ces dispositifs largement subventionnés profitent peu aux salariés des petites entreprises et avantagent les plus gros salaires. Et ce, sans même parler des stock-options, qui ne concernent, pour le coup, qu’un petit nombre de privilégiés. Efficaces, donc, mais assez peu redistributifs, et surtout à « un coût trop élevé pour des objectifs très divers », selon le rapport parlementaire Bur de juin 2008.
2. Les exonérations générales de cotisations sociales sur les salaires 21,4 milliards
Qu’est-ce que c’est ? Créés en 1993 pour protéger l’emploi peu qualifié, les allégements généraux de cotisations sociales sont accordés de manière aveugle à toutes les entreprises, quelle que soit leur taille ou leur secteur d’activité. Dégressifs pour les rémunérations comprises entre 1 et 1,6 Smic, ils ont représenté 21,4 milliards d’euros en 2008, soit une augmentation de 5,4%, après deux bonds de plus de 10% les deux années précédentes. Seule 2009, crise oblige, semble retenir leur envol.
Est-ce que ça marche ? Bonne question. Selon les études, l’impact en termes d’emplois créés ou sauvegardés depuis 1993 varie de 200 000 à… 1 500 000. A la (grosse) louche, le rapport parlementaire de juin 2008 évalue l’effet emploi à 800 000, donnant l’impression d’avoir coupé la poire en deux. Pour la Cour des comptes, l’efficacité sur l’emploi de ces allégements est ainsi « trop incertaine pour ne pas amener à reconsidérer leur ampleur, voire leur pérennité ». En 2006, elle estimait même que de nombreux travaux « concluent que l’allégement aurait plutôt conduit à ralentir ou à reporter des destructions d’emplois, qu’à susciter des créations d’emplois ». Tout en concédant que le dispositif « offre un certain répit [aux entreprises] pour s’organiser […] face à la concurrence ». Reste que « ces allégements bénéficient pour l’essentiel à des activités tertiaires, notamment de la grande distribution, non soumises directement à la concurrence internationale, pour lesquelles ils constituent un effet d’aubaine ». Et de préconiser d’abaisser le seuil de 1,6 à 1,3 Smic, tout en limitant ces allégements aux entreprises de moins de 20 salariés.
3. Les exonérations sur les plus-values de cessions de filiales 8 milliards
Qu’est-ce que c’est ? L’intitulé est jargonnant mais le principe de cette superniche fiscale découverte par le président socialiste de la Commission des finances, Didier Migaud, est simple. Mise en place en 2004 par le ministre délégué au Budget d’alors, Jean-François Copé, elle permet d’exonérer d’impôt sur les sociétés (33,3 %) les plus-values encaissées par les entreprises lorsqu’elles vendent leurs filiales ou participations détenues pendant au moins deux ans (elles ne paient plus qu’une ridicule quote-part). Prise au nom de la compétitivité fiscale, cette mesure visait à aligner la France sur les régimes d’imposition de sociétés holding les plus favorables tels les Pays-Bas et à éviter la délocalisation des grands sièges sociaux.
Est-ce que ça marche ? Tellement bien que la mesure, prévue selon les calculs de départ de Bercy pour coûter autour de 1 milliard d’euros par an à l’Etat a représenté 12,5 milliards d’euros de manque à gagner en 2008 et 8 milliards en 2009, soit un tiers de l’impôt sur les sociétés l’an dernier ! Des groupes comme Danone ou GDF/Suez en ont profité pour optimiser leur dépense fiscale mais aussi des fonds d’investissement dans le montage de leurs opérations de LBO (achat d’entreprise avec recourt à l’endettement). D’un rendement moyen de 15,5 % en France selon le Conseil des prélèvements obligatoires, ces LBO se retrouvent nets d’impôts. Sans limitation de durée, la mesure n’a pas été retoquée en 2010 malgré deux amendements en ce sens.
4. Les exonérations ciblées de cotisations sociales 6,4 milliards
Qu’est-ce que c’est ? A la différence des allégements de cotisations sociales généraux, les allégements ciblés, sont, par définition, concentrés sur des publics particuliers (contrat d’alternance, jeunes, aides à domicile, arbitres sportifs, marins, vendangeurs…) ou sur des territoires (zones franches urbaines, zones de revitalisation rurale, DOM-TOM…). En 2008, l’ensemble de ces allégements ciblés a représenté 6,38 milliards d’euros. Des dispositifs nombreux (une cinquantaine), dont le nombre a tendance à augmenter chaque année.
Est-ce que ça marche ? Si l’efficacité des allégements généraux peut être discutée, l’incidence globale sur l’emploi des allégements ciblés semble, elle, carrément proche de zéro. Ainsi, selon le rapport parlementaire Bur de juin 2008, « les exonérations ont des effets dans les secteurs ou les zones concernés » mais « leur incidence sur l’emploi, par construction, est plus limitée, sinon inexistante ». Des dispositifs qui contribueraient « dans le meilleur des cas à "changer l’ordre de la file", sous entendu à opérer une substitution d’un emploi aidé à un autre, et au pire à « des effets d’aubaine ». Et de dénoncer, à l’arrivée, un « impact marginal difficile à apprécier ».
5. Le crédit impôt-recherche 5 milliards
Qu’est-ce que c’est ? Créé en 1983 afin de réduire le coût des investissements en recherche et développement des entreprises, le crédit d’impôt recherche a été modifié et élargi en 2008 afin, selon Sarkozy, d’offrir en France le « meilleur accueil fiscal au monde » pour la recherche. Appel bien reçu par les entreprises puisque son montant a explosé.
Est-ce que ça marche ? Pour la ministre de la Recherche, Valérie Pécresse, le fait que davantage d’entreprises y recourent et que son coût pour la collectivité ne cesse d’augmenter prouve son efficacité. Ce n’est pas l’avis du Conseil des prélèvements obligatoires qui y voit « une baisse déguisée de 2 à 3 points du taux d’impôt sur les sociétés ». Ni celui du rapporteur du budget, l’UMP Gilles Carrez, qui note que ce n’est pas l’industrie mais le secteur de la banque-assurance, très actif dans la recherche en ingénierie financière, qui en a le plus bénéficié en 2007. « Une bonne idée mais catastrophique dans ses modalités d’application », pour l’économiste Philippe Eskenazy, qui pointe un effet pervers : les suppressions d’emplois de chercheurs dans le privé afin de les remplacer par des partenariats avec des laboratoires publics pour bénéficier au maximum des avantages fiscaux du crédit d’impôt.
6. Les aides à domicile 3 milliards
Qu’est-ce que c’est ? Instaurée en 1992 par Martine Aubry, alors ministre du Travail, cette mesure accorde une réduction d’impôts à ceux qui emploient une personne à domicile (nounou, prof particulier, femme de ménage, etc.). Le plafond d’origine, fixé à 3 800 euros, visait les classes moyennes mais son élévation régulière par la droite jusqu’à 15 000 euros permet aujourd’hui de déduire de l’impôt sur le revenu l’équivalent de onze mois de Smic.
Est-ce que ça marche ? Si elle a permis de réduire le travail au noir, c’est une bénédiction pour les ménages les plus aisés. Très inégalitaire, comme l’atteste une étude de Bercy montrant sa forte concentration sur les hauts revenus, elle constitue un effet d’aubaine pour ceux qui emploieraient de toute manière une personne à plein temps à domicile et qui en profitent pour financer la quasi-totalité du salaire annuel de l’employé par la déduction d’impôts.
7. Les exonérations sur les contrats d’assurance-vie 3 milliards
Qu’est-ce que c’est ? La fiscalité très favorable pour les revenus de l’assurance-vie (7,5 %) et leur exonération lors de leur revente au-delà de huit ans de conservation - cinq ans pour les plans d’épargne en actions – est censée « stimuler l’épargne à long terme » et « financer l’économie », dit-on à Bercy. Est-ce que ça marche ? Placement préféré des Français, l’assurance-vie bénéficie d’un plafond de défiscalisation très élevé de 152 500 euros. Mais la mesure coûte cher, pour un « fléchage » médiocre vers le financement de l’économie. Lors de son passage à Bercy, DSK avait cherché à modifier cette situation. Sarkozy s’est également ému que cette épargne fiscalement très avantageuse soit aussi peu orientée vers la création d’activité et se porte surtout sur des placements en titres d’Etat. Mais sans changer grand-chose. Les actions ne représentent ainsi qu’une part très minoritaire des placements réalisés par les assureurs, qui se sont engagés à financer davantage les PME. Outre une réduction du plafond, il s’agirait d’imposer plus de contreparties. Ou de les rendre moins attractifs.
8. Les heures sup (« travailler plus, pour gagner plus ») 3 milliards
Qu’est-ce que c’est ? Mesure phare du « travailler plus pour gagner plus », l’exonération fiscale et sociale sur les heures supplémentaires, essentiellement centrée, pour une fois, sur les salariés, et non sur les employeurs, a représenté plus de 3 milliards en 2008. L’objectif du gouvernement, à l’époque, n’était autre que de faire travailler davantage les salariés afin d’augmenter leur pouvoir d’achat. Est-ce que ça marche ? D’après nos calculs, les 18 millions de salariés du secteur privé se seraient partagés, en 2008, 3 milliards d’euros d’exonérations, soit 166 euros par an, ou encore 13,80 euros par mois. Pas vraiment de quoi faire exploser le pouvoir d’achat. Impossible d’ailleurs de savoir quelle a été l’augmentation réelle du nombre d’heures sup depuis l’application de la loi au 1er octobre 2007, les statistiques antérieures étant incomplètes. Seule certitude : si les heures sup ont augmenté en 2008, elles ont baissé dans des proportions plus importantes en 2009. Par ailleurs, subventionner les heures supplémentaires en période de chômage est une hérésie qui n’a, semble-t-il, échappé qu’au gouvernement.
9. La TVA à 5,5% dans la restauration 2,4 milliards
Qu’est-ce que c’est ? Promesse de Chirac honorée par Sarkozy, la baisse de 19,6% à 5,5% dans la restauration a été accordée en contrepartie d’un « contrat d’avenir » signé par les organisations d’employeurs. Engagement de ces derniers : une baisse de 3% des prix du secteur, la création sur deux ans de 20 000 emplois en CDI et de 20000 formations en alternance, ainsi que la signature d’un accord social avec les syndicats de salariés. Coût pour l’Etat : 2,4 milliards d’euros.
Est-ce que ça marche ? La baisse des prix, point phare du contrat d’avenir, aura fait long feu. Après trois mois de (très) légère baisse, les tarifs sont repartis à la hausse. Résultat : la diminution n’aura été que de 1,3% au lieu des 3% promis. Question emploi, s’il est encore tôt pour l’évaluer, les premiers chiffres sont peu optimistes : des « estimations » évoquent 6 500 embauches pour 2010, mais uniquement pour les chaînes, la restauration rapide et les cafétérias, soit 30% de l’activité du secteur. Finalement, seul le volet social a été respecté, via un accord prévoyant une revalorisation de la grille salariale, une prime égale à 2% du salaire annuel (plafonnée à 500 euros), la création d’une mutuelle santé et deux jours de congés supplémentaires. .
10. Le bouclier fiscal 0,7 milliard
Qu’est-ce que c’est ? Institué en 2006 par le gouvernement Villepin à hauteur de 60%, le bouclier fiscal a été abaissé à 50% des revenus par la loi Tepa de 2007. Il prévoit que nul contribuable ne doit payer plus de la moitié de ses revenus en impôts (impôt sur le revenu, CSG, CRDS, etc.).
Est-ce que ça marche ? Ce dispositif, dont 18 880 personnes ont bénéficié au 31 mai 2009, n’est pas en soi le plus coûteux. Mais il est particulièrement concentré puisque plus des deux tiers de cette mesure ont profité à des patrimoines supérieurs à 15 millions d’euros. « 5% du total des foyers fiscaux qui ont fait jouer le bouclier ont reçu 74% des sommes reversées par le fisc », écrit le rapporteur du budget, l’UMP Gilles Carrez, dans son rapport 2009. Justifié par l’objectif de faire revenir des exilés fiscaux, le bouclier fiscal devait donner lieu à un rapport annuel précis sur les départs et les arrivées de contribuables dans l’Hexagone. Un chiffre jamais communiqué selon l’opposition.
Et aussi… plus de 53 autres milliards
La TVA à 5,5% sur les travaux de rénovation : 5,1 milliards d’euros
Elle a permis de réduire le travail au noir et de créer des emplois dans le bâtiment. Mais c’est la plus coûteuse des niches fiscales. Selon Bercy, son coût rapporté à chaque emploi reste très élevé : entre 40 000 et 50 000 euros par an.
La prime pour l’emploi en faveur des salariés à faible revenu : 3,2 milliards d’euros
Créée par le gouvernement Jospin, elle doit favoriser le retour à l’emploi tout en soutenant les bas salaires par un supplément de pouvoir d’achat.
Le crédit d’impôt pour les économies d’énergie : 2,6 milliards d’euros
Une carotte fiscale pour doper l’équipement en matériel d’isolation et de chauffage dont le coût explose : il a été multiplié par 2,6 depuis 2006. Bercy note des effets d’aubaine chez les fabricants, « une captation de la rente par les effets prix ». Autrement dit, on en profite pour augmenter les tarifs.
La réduction d’impôts pour les DOM : 1,1 milliard d’euros
Une niche à l’efficacité parfois discutée qui a permis à 12 000 foyers de fortement réduire leur imposition l’an dernier. « La situation économique et sociale de l’outre-mer justifie le maintien du volume actuel des aides à l’investissement », juge cependant le rapporteur du budget, Gilles Carrez, dans son rapport.
Sans compter 458 autres niches représentant 41 milliards d’euros.