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Les tempêtes de Belleville

Publie le vendredi 21 avril 2006 par Open-Publishing
7 commentaires

Bobos contre lascars

Menaces, intrusions, jets de pierres... A Belleville, une exposition de caricatures antireligieuses a failli tourner au drame. Et révélé un malaise profond entre nouveaux arrivés et anciens habitants

Un air de jazz, un prof qui corrige ses copies, un papy à moustaches qui regarde le temps passer : c’est un beau café zen aux larges baies vitrées comme on en trouve de plus en plus dans l’est de Paris. On pourrait se croire à la Bastille, on est sur les hauteurs de Belleville. Le café, baptisé La Mer à Boire, est branché ; le quartier, pas encore. Ce coin du 20e arrondissement, c’est « Amélie Poulain » retouché par Kassovitz. Les intellos y roulent à vélo, les lascars foncent à Vespa. Paris s’étale tout en bas, sous le parc à tonnelles qui dévale la colline. Maisonnettes, petites épiceries, ateliers d’artistes, restaurant-musette qui figure dans les guides japonais, c’est encore le vieux Paris. Mais ici il y a aussi une cité en béton, une grande, une vraie de 650 logements, dénommée Piat-Faucheur-Envierges, enfermée derrière des grilles, dans le labyrinthe des rues tortueuses, à l’abri du regard.

Derrière leur comptoir, les trois associés de La Mer à Boire, Marika, Marianne et Zayed, font grise mine. La veille, il y a « encore eu des problèmes ». Trois gamines aux yeux rougis se sont enfermées ensemble dans les toilettes. Marika les a délogées, elles ont frappé un client. Des filles maintenant ! Comme si les incursions à répétition des mecs du quartier ne suffisaient pas... Depuis trois semaines, on les a vus débarquer plus d’une fois, ces jeunes qu’on « connaît bien ». Des 10-12 ans, armés de bâtons, sont venus casser des cadres de l’exposition en cours, « Ni Dieu, ni Dieu », accrochés au mur. Des plus grands se sont pointés pour s’excuser, puis menacer : ces dessins, c’était « pas bien », les Frères musulmans allaient leur « régler leur compte ». Un soir, à la fermeture, une baie vitrée a même failli voler en éclats sous le coup d’un pavé.

L’objet de leur courroux ? Des caricatures au vitriol pondues par la bande de dessinateurs de « Charlie Hebdo ». Des bites à l’air, des barbus féroces ou idiots au langage débridé croqués par Willem, Siné, Charb et les autres. Visibles de la rue, elles ont vite mis le feu aux poudres dans tout le quartier. « Ils ont mis des choses qu’on peut pas mettre », lâche un lycéen énervé. « On n’a pas penséqu’on pouvait avoir des ennuis, répond Marika, alias Marie-Caroline, compagne de Charb et ancienne gérante du magazine. L’expo est contre toutes les religions, le droit à la caricature est universel, et on a refusé de croire qu’on est dans un quartier d’abrutis ! D’ailleurs, il y a des musulmans qui nous soutiennent. »

L’expo se termine cette semaine. En haut lieu, on respire : car les ennuis de La Mer à Boire ont fait craindre le pire. Sans la fièvre nationale autour du CPE, la petite polémique bellevilloise aurait peut-être dégénéré en version française de « l’affaire des caricatures danoises ».« On l’a redouté. Voile, communautarisme, islamisme, extrême-gauche, on aurait eu droit à tout... », lâche un haut fonctionnaire. Probable que la police, muette sur l’affaire, a veillé à contenir la violence sur place. « Se faire de la pub, c’est juste ce qu’ils voulaient, ceux du café, balance Sébastien, un jeune du quartier. Si on avait voulu... »

Les caricatures de Belleville ont mis le quartier en ordre de bataille. Mardi 4 avril, deux camps se sont révélés au cours d’un débat musclé à La Mer à Boire. Chacun sur sa planète, avec sa bonne foi, ses dogmes et ses langues... D’un côté, une masse de républicains bon teint pour qui « la liberté d’expression n’est pas négociable, un point c’est tout ». « On a besoin de blasphèmes ! a lancé un dessinateur remonté. Balade-toi dans le monde et va dans les dictatures ! » De l’autre, quelques jeunes, blacks ou beurs, qui se veulent les porte-parole d’une majorité silencieuse blessée. « Vous parlez de démocratie, on vous parle de rapports humains, a balancé l’un d’eux. N’obligez pas les gens à voir ce que vous voulez montrer ! » Triste réunion, qui a révélé le méchant climat d’insécurité régnant dans le quartier et l’exaspération qu’il suscite chez les nouveaux installés, commerces et artistes branchés en tête. C’est dans leurs ateliers sur rue que les « petites frappes » se pointent le plus souvent. Insultes machistes, intimidations... « Chez moi, en deux ans, ils sont venus quatre fois, explique Estelle, une modeuse qui créée des chapeaux de rêve pour le music-hall. Leur leitmotiv : ton bizness, on va le fermer ! »

Chez les vieux grognards du coin, installés là depuis des années, les positions sont moins tranchées. Les « conneries » des délinquants, personne ne les cautionne. Mais le ramdam médiatique provoqué par Marika et ses amis est loin de faire l’unanimité. Au conseil de quartier, beaucoup regrettent que La Mer à Boire n’ait pas fait un « petit effort » pour s’adapter aux « réalités » du cru.

S’adapter ou ne pas s’adapter, c’est la question qui tue. Qu’on le déplore ou non, les jeunes du haut Belleville n’ont pas le même décodeur mental que les lecteurs de « Charlie Hebdo ». Pour Leeroy, Sélassié et Loïc, trois grands frères en veine de paroles, La Mer à Boire n’est pas qu’un bar à BD, c’est un océan de fantasmes dont la principale chimère s’appelle le « bourgeois-bohème » ! Le fameux bobo, ils le voient partout, ils en parlent tout le temps, et ils ne l’aiment guère. « Dans les quartiers populaires, on se mélange, on se supporte. Les bobos, eux, ils nous prennent de haut. Ils viennent avec leurs soi-disant Lumières, mais leur arrivée annonce des choses. Leur but, en fait, c’est de nettoyer le quartier et de nous envoyer en banlieue. Si tu veux réussir aujourd’hui, il faut faire le bobo ! »

Cette haine un peu confuse du bourgeois étonne. Mais elle s’appuie sur une sourde réalité. Belleville est un territoire à part dans la métropole parisienne. On y retrouve des populations situées aux deux extrêmes de la pyramide sociale. D’un côté donc, les fameux bourgeois-bohèmes, qui investissent les anciens immeubles ouvriers remis à neuf. De l’autre, des familles maghrébines ou noires-africaines, regroupées dans les grands ensembles HLM. D’un côté, la constellation des bars « tendance » et des lofts pour bienheureux. De l’autre, des isolats comme la cité Piat, où se concentrent tous les stigmates de la précarité sociale : 17% de chômage, 22% de familles bénéficiaires d’aides sociales et une petite délinquance suffisamment ancrée pour que le quotidien des habitants soit rythmé par les descentes musclées des flics.

Entre ces deux mondes, les passerelles se sont peu à peu effondrées. Dans son petit atelier de gravure à flanc de colline de la rue des Cascades, Raul Velasco, ancien président des « artistes de Belleville », voit son quartier se « refermer » année après année. « L’espace est devenu à la fois plus cher et plus restrictif.

Auparavant, les logements étaient insalubres et la rue servait de salon. Maintenant, les nouveaux venus imposent leurs moeurs et leur argent. On ferme les passages, on pose des digicodes, on « protège » ses enfants en les envoyant à l’école privée. Les gamins ne cassent pas par hasard. Leur révolte n’est pas formulée. Mais ils sentent très bien qu’ils sont persona non grata et que la logique économique ne tardera pas à les chasser. » De fait, si les bourgeois-bohèmes sont souvent les premiers à se réjouir de la mixité colorée du quartier, leur arrivée massive se solde paradoxalement par l’éviction des classes populaires. La pression foncière dont parlent Leeroy et Sélassié est une réalité qui s’impose avec brutalité. Rue des Envierges, la « mauvaise réputation » n’empêche pas les prix d’atteindre 5 000 euros le mètre carré ! Résultat : un titi du quartier ne peut pas se loger sur place, sauf à jouer les Tanguy à perpétuité dans le HLM familial.

Reste que le conflit de classes n’explique pas tout. Lorsqu’en été des bandes de gamins hauts comme trois pommes caillassent les promeneurs du parc de Belleville, la rancoeur sociale cède la place à une hostilité beaucoup plus primaire. Entre Marika et ses tourmenteurs, c’est bien plus qu’une confrontation bobos-prolos qui se joue. « Ce sont deux mondes qui se superposent sur le même espace avec des règles parfaitement antagoniques », explique le sociologue Didier Lapeyronnie. L’univers de la ville, où l’anonymat garantit la liberté de chacun, côtoie le monde de la cité, son omerta et son système d’entraides entre « frères », où tout le monde se connaît. « Pour avoir la paix, il faut connaître tout le quartier, même ceux qui sont morts ou en prison », sourit Makhlouf, le patron des Trois Chapeaux, un « café-tagine-concert », installé rue des Cascades. Makhlouf connaît tout le monde, et cela se sait... Gare en revanche aux nouveaux venus, surtout quand ils se confrontent frontalement aux valeurs du quartier. « Les gars de La Mer à Boire, ils sont arrivés la fleur au fusil ! Ils ne savent vraiment pas où ils sont, les patrons... »

Dans ce petit monde construit en réaction aux séductions de Paris-Paname, le sexe, les filles, la religion des pères sont encore des sujets tabous, autant de valeurs auxquelles on ne touche pas. « Il ne faut pas sous-estimer le poids de l’islam, note le géographe Christophe Guilluy (1), voisin de la cité Piat. Ça ne veut pas dire qu’il y a un salafiste à chaque coin de rue, mais l’islam dans les cités parisiennes est culturellement très fort, en termes de référent, même quand les types ne sont pas du tout pratiquants. »

Alors, rupture ? Pas forcément. Des passerelles et des échappatoires existent. Comme le souligne encore Christophe Guilluy, « parler de relégation sociale n’a pas grand sens quand on est à dix minutes du métro et au coeur d’un marché de l’emploi gigantesque ». Vivre à Belleville n’est pas une punition. Et tous les enfants de la cité, loin s’en faut, ne sont pas dans la conflictualité. Certains tirent même partie des évolutions en cours. De jeunes patrons de bars kabyles ont su ainsi métamorphoser les vieux tripots communautaires de leurs pères pour les adapter au goût des branchés. De l’autre côté, tous les bobos ne vivent pas nécessairement en parias. Raul Velasco s’est fait voler un Nikon et du numéraire il y a quelques mois par une bande extérieure au quartier. Le « caïd du coin » a été contacté, et le Nikon est revenu dans la journée.Anne Fohr et Gurvan Le Guellec

(1) Il a publié « Atlas des nouvelles fractures sociales en France », Editions Autrement.

Anne Fohr Gurvan Le Guelec
http://www.nouvelobs.com/articles/p2163/a302772.html

Messages

  • La religion c’est l’opium du peuple...pas de futur sans une sévère cure de désintoxication. Tout ceux qui s’imagunent que l’on peut composer avec les barbus se trompent lourdement.

    • Ni les barbus ni les curés ni les pasteurs : AUCUN GOUROU.La religion ne doit plus etre tolérée mais combatue sans cesse jusqu’à ce qu’elle crève.Là seulement on commencera à pouvoir parler de libertés.

      François

    • Bonjour.je suis moi mm convertie a l’islam,depuis deux ans,je n’ai pas changé de comportement envers les gens.au contraire,on m’apprend a encore plus respecter l’étre humain,quel qu’il soit,d’ou qu’il vienne,avec quelque opinion qu’il ait,et mm le plus petit des insectes.mais les gens m’ont bien fait ressentir leur haine,leur dégout de ma convertion.ma famille voulait me renier,mes collégues de travail me demandaient quand est ce que j’allai faire "sauter une bombe",m’appelaient ben laden avec le peu de barbe que j’ai et j’en passe et pas des meilleurs.il m’a fallu deux ans et encore pour que les gens comprennent que j’étais toujours le mm,que dés qu’ils avaient un soucie ils pouvaient et peuvent toujours compter sur moi bien que certains sont toujours contre les barbus comme ils disent.mais j’en ai reçu des giffles.pour rien.et ça est ce que c’est logique ?et je suis vraiment pas le seul dans ce cas la.c’est vrai et je suis le premier a le dire que certains musulmans méritent des bons coups de pied au derriere,voir pire.tout ça pour vous dire que je suis français,j’essaye de suivre les lois françaises du mieu possible et que je suis musulman tout simplement et pas terroriste,islamiste,fondamentaliste et tout ces mots qui finissent en ..iste.en espérant si Dieu le veut vous montrer une autre face de la religion musulmane.la vraie face.sur ce je vous souhaite une bonne continuation et prenez soin de vous. sébastien mahmud issa

  • Le problème est que dès que l’on tape sur une religion qui n’est pas la religion catholique on passe pour des racistes automatiquement, les politiques et les médias entretiennent ce système du politiquement correcte ils sont trés contents que les gens se divisent. Ils ont même inventé un nom ils appelent ça Islamophobe, qui ne veux rien dire on a le droit d’être contre le principe de la religion qu’elle qu’elle soit, le seule délit et d’être contre une race, contre un type de personne. Pour en revenir à l’islam le gouvernement se réjouis qu’un grand nombre des fils d’immigrés se tournent vers la religion et pas vers la politique ça pourrai faire un raz de marrée contestataire. Toutes les religions et de tout temps ont servis de canalisateurs !

  • "Raul Velasco s’est fait voler un Nikon et du numéraire il y a quelques mois par une bande extérieure au quartier. Le « caïd du coin » a été contacté, et le Nikon est revenu dans la journée."

    Lamentable, non ...?

  • Ce que vous appelez des "nouveaux arrivés", ce sont des colons qui veulent imposer leurs us et coutumes par la violence et qui y arrivent.