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Lettre de Yotopoulos des Prisons de Korydallos en Grèce

Publie le mardi 1er novembre 2005 par Open-Publishing

Lettre de Yotopoulos de la prison de Korydallos

Elle a été publiée dans le journal Eleftherotypia le 31/10/2005

Instigation immorale*

On dit qu’une personne peut abuser longtemps une autre, qu’elle peut abuser plusieurs pour peu de temps, mais plusieurs personnes et pour longtemps, ça elle ne le peut pas. C’est ce qui s’est produit avec le conte du chef-Yotopoulos, annoncé par des roulements de tambours il y a trois ans, qui s’est effondré avec le temps. La combinaison de la logique, de l’expérience historique et du temps n’a rien laissé debout. Même le tribunal a été obligé, pour éviter de se faire ridiculiser, de recourir à une autre version dans sa décision.
L’existence d’un chef ou d’un membre de la direction d’une organisation armée qui ne participerait pas à ses actions armées n’a pas de sens. C’est ce qui s’est passé dans les organisations armées comptant un petit nombre de membres qui sont apparues en Europe occidentale dans les dernières décennies.
Dans les Brigades Rouges en Italie, Curcio et les autres membres du groupe dirigeant Franceschini, Moretti etc, participaient eux-mêmes à l’activité armée de l’organisation.
Dans la Fraction Armée Rouge allemande, Baader ou Meinhof participaient eux-mêmes à la lutte armée de l’organisation. Cela s’est passé de la même manière pour l’Action Directe en France. Enfin, la même chose s’est produite dans la guérilla de qualité différente de Bolivie, avec le Che, lequel, bien qu’il fut une personnalité dirigeante reconnue, participait lui-même aux batailles.
Alors comment, en Grèce, l’inconnu total Yotopoulos aurait-il pu être le chef pour plus de deux décennies sans participer lui-même à aucune action armée, comme l’accusation et la décision du tribunal l’acceptent ?

La logique, mais mon action de résistance pendant la dictature aussi, me permettent de soutenir qu’on ne peut être même un simple membre sans participer à l’action armée.
Ceci pour la raison simple qui suit : dans ces organisations, surtout à cause des mesures de sécurité et des dangers, il existe initialement une méfiance parmi les membres. Cette méfiance disparaît ainsi. Par la participation commune aux actions, où tous se mettent en face de dangers importants. C’est à ce moment que la méfiance se tranforme en une confiance complète. Donc, si quelqu’un ne participe même pas pour une petite période, ses camarades le considèrent comme un type bizarre, voire suspect, et la conséquence est que n’importe quelle activité de l’organisation se paralyse.

Ceci est la réponse à quelques-uns qui s’efforcent de sauver la fable. Et bien, il n’était pas chef mais il était membre. Un membre de ces organisations n’est pas pensable sans action armée. Sans participer lui-même au moins à une action.

J’ai été condamné à 21 perpétuités relativement à 21 actions pour responsabilité morale
(comme « instigateur moral ») dans ces actions, sans aucune preuve. Si elles existaient, il y aurait des détails pour le lieu, le moment, les personnes qui ont été impliquées, la façon dont chacune de ces actions s’est produite, et tout ceci 21 fois. Rien de tel n’a existé au cours du procès.
D’après les attendus de la décision qui ont été publiés 7 mois après la fin du procès, le chef Yotopoulos se transforme en membre d’une direction, qui a porté les décisions aux membres. Mais si cette direction avait existé, il devrait exister également des détails pour la manière dont elle a été constituée, quelles personnes la constituent (lesquelles auraient été frappées des mêmes peines), pour combien de temps, quand et à quelles personnes elle rendait compte, avec quel mécanisme les décisions étaient transférées. Rien de tel n’a été entendu au cours du procès, et donc juridiquement, mais aussi réellement, il n’existait pas de groupe dirigeant.
Le principe de preuve, caractéristique fondamentale d’un procès équitable, a été écrasé de manière criante. Le groupe dirigeant est une invention commode pour justifier après coup ma condamnation pré-décidée par des services secrets étrangers.

Après mon arrestation, quand j’ai entrevu le rôle qui m’était destiné, je leur ai dit : « je dénoncerai vos mensonges en public. » Le procureur Diotis m’a répondu en riant : « On ne te laissera parler à aucun journaliste. »
En effet, ils m’ont mis à l’isolement complet dans les sous-sols de Korydallos, tandis que les médias jetaient quotidiennement de la boue sur moi. Quand, après trois mois, j’ai réussi à donner une interview à Lamiakos Typos, ils ont amené des juges à Korydallos parce que j’avais commis le crime d’exprimer mon opinion, et de mettre en doute leurs accusations.
Durant le procès, une fois que l’on avait réussi à exclure les médias télévisés pour que l’opinion publique ne soit pas directement informée, les avocats de la partie civile, qui avaient toutes les facilités de communication, m’accusaient d’orienter les journalistes, tandis que j’étais isolé d’eux par une double ligne de policiers : c’est seulement au p’tit bonheur la chance que j’ai eu la possibilité de leur adresser une parole.

Tout ce que j’ai soutenu durant le procès a été ou bien passé sous silence ou bien est resté sans réponse, et de manière provocante. La machination continue aussi aujourd’hui avec la censure de mon interview, qui ne date pas de longtemps. Ils ont présenté la moitié de mon interview, coupée, censurant tout le reste, qui les intéressait.
La ligne reste la même. Il faut que Yotopoulos soit muselé, pour que sa voix ne puisse être entendue quand il parle pour les accusations, pour sa condamnation, pour le Tribunal, pour les juges, pour son innocence. C’est le comportement du coupable qui s’efforce de cacher sa machination, de cacher à l’opinion publique la vérité, de cacher qu’ils m’ont condamné à 21 perpétuités sans aucune preuve.
Et en ce qui concerne mes prétendus empreintes et écrits, ils seraient authentiques et dignes de foi si c’était par eux qu’ils avaient été conduits à moi, et non le contraire. Mais deux ans avant mon arrestation, des services secrets étrangers me photographiaient dans des articles à la presse, me présentant comme le chef du 17N qu’ils recherchaient.
Avec cette donnée que ces « pièces à conviction » ont été trouvées dans l’appartement clandestin qui a été découvert après le fait accidentel de l’explosion au Pirée, si ceci ne s’était pas produit alors qu’ils m’arrêtaient, avec quels éléments pouvaient-ils m’emprisonner ?
Il est difficile que quelqu’un pense que les deux services secrets les plus importants dans le monde auraient pu agir d’une manière si légère sans avoir dans leurs mains certaines « pièces à conviction », qu’ils possédaient depuis la dictature. La réponse à cette question a été donnée involontairement par le procureur du tribunal à la séance du 30 juillet 2003, démasquant le secret. S’adressant à un accusé pour lequel il n’y avait aucune « pièce à conviction », mais seulement ses « aveux » qu’il avait rétractés, il lui a demandé : « s’il s’agissait d’une machination contre toi, pourquoi ne pas construire des empreintes à toi et pourquoi ne pas présenter des écrits à toi, imitant ton écriture, pour « te piéger » ? »

En mathématiques et en sciences exactes les théorèmes et les lois sont valables dans un cadre de présuppositions rigoureuses. Si ces dernières ne sont pas remplies, les lois ne sont pas valables non plus. Il apparaît que le même principe vaut pour la science du droit.
Quand la « conviction intime » du juge n’est pas appuyée sur la démonstration, sur le raisonnement, sur l’élément discursif et le rationalisme, c’est un simple préjugé et un idéologisme. Il se produit un subjectivisme sans limite. Et le principe de la « preuve morale » se transforme en un principe immoral, en un voile de l’amoralisme. Via ce mécanisme se dissout l’acquis le plus important depuis pas mal de siècles de civilisation juridique occidentale, la protection de la liberté de la personne, avec l’emprisonnement et la condamnation sans preuves de n’importe quel civil.

Alexandre Yotopoulos
Prisons de Korydallos, octobre 2005

*L’expression juridique grecque, détournée ici par Yotopoulos, est ithiki aftourgia ce qui renvoie dans la langue cette responsabilité morale à celle d’une instigation morale (du délit).