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Liberté d’expression et obscurantisme

Publie le dimanche 5 mars 2006 par Open-Publishing
5 commentaires

Sur le cite d’ Al Jazeera ( http://english.aljazeera.net ) Soumaya Gannoushi publie un article sur "les caricatures du Prophète publiées au Danemark puis reproduites par une chaîne de journaux européens (qui) ont mis en évidence le gouffre qui sépare l’Occident du monde musulman".

Les dessins et les réactions qu’ils ont enflammé dans la sphère de l’Islam, symbolise pour beaucoup la confrontation entre 2 systèmes de valeurs irréconciliables, l’un basé sur la tradition des lumières, l’autre se cramponnant au dogme religieux.

Ces explications simplistes pourraient être plus facilement admises si la plupart de ceux qui les proposent avait été plus loquaces dans la dénonciation de l’assaut continuel sur la libre parole dans les sociétés occidentales au nom de la guerre contre le terrorisme.

La réalité est que la controverse sur la liberté d’expression et ses limites est un symptôme d’une crise infiniment plus profonde qui affecte les relation de l’Occident, Européeen et Atlantique, au vaste monde Musulman de Tanger à Djakarta.

Dans le vide, il ne se passe rien. Dès lors que nous sommes des êtres historiques, nous ne pouvons nous abstraire de notre tradition herméneutique et de notre environnement historique.

Nos actions ne sont compréhensibles qu’à l’aune de ces contextes. Toute explication de la crise des caricatures qui ne prend pas en compte le climat explosif du monde de l’après 11 septembre et la montée des droites en Europe et aux USA est condamné à rester superficielle.

L’Islam qui est resté oublié durant la guerre froide et l’obsession de la menace communiste occupe maintenant le devant de la scène et pénètre au cœur du débat public. Ce n’est pas par hasard que les caricatures ont été publiées au Danemark dans un journal de droite, sous un gouvernement de droite puis ré-éditées dans des pays notoirement hostiles à leurs minorités musulmanes et à la diversité culturelle et raciale des sociétés Européennes d’aujourd’hui.

Que les réactions aux caricatures aient été aussi passionnelles ne devrait pas surprendre pour quiconque à suivi de près l’évolution du monde arabe. Pour les musulmans les caricatures ramènent de manière frappante aux scènes de démolition d’habitations palestiniennes à Jénine par les bulldozers israéliens, à l’invasion de l’Afghanistan, à la chute de Bagdad, aux horreurs d’Abu Ghraib et aux humiliations de Guantanamo.

A l’agressivité politique s’est ajoutée l’arrogance culturelle. Les musulmans se sont accoutumés au torrent d’images terrifiantes qui les associe, eux et leur foi, aux pratiques les plus violentes et les plus cruelles, au fanatisme et à l’oppression. Mais lorsque l’Islam en est l’objet, il n’y a plus ni limites ni frontières. L’inacceptable devient parfaitement acceptable, convenable et respectable.

La vérité est que de nos jours, le racisme, l’intolérance, la xénophobie et la haine de l’autre se cachent derrière la façade sublime de la liberté d’expression, de la défense de « nos » valeurs de la protection de « notre » société contre l’agression étrangère. Ne soyons pas dupe de cette rhétorique de liberté. Les caricatures danoises n’ont rien à voir avec la liberté d’expression et tout avec la haine de l’autre dans une Europe aux prises avec ses minorités musulmanes croissantes et toujours incapable de les accepter.

Mahomet , qui a été dépeint dans les légendes du moyen-age comme un guerrier assoiffé de sang, l’épée dans une main et le Coran dans l’autre, est maintenant montré brandissant des bombes et des fusils. La perception occidentale de l’Islam semble avoir peu changée. La mémoire collective chrétienne du moyen-âge a été recyclée, purgée de l’eschatologie et incorporée à une rhétorique séculière aujourd’hui incontestable. Le moyen-âge abondait en contes, poèmes et sermons hostiles à Mahomet où l’imagination se donnait libre cours. De lui, tout pouvait être dit depuis que Guilbert de Nogent, Chroniqueur du 11° siècle, a proclamé : « On peut sans crainte dire du mal d’un homme dont la malignité transcende et surpasse tout ce qui peut-être dit de lui. (Dei Gesta per Francos 1011).

Le Mahomet de Guilbert, comme celui de la plupart des auteurs médiévaux n’a qu’une vague ressemblance avec le Mahomet historique et son parcours. Comme dans les caricatures danoises, il apparaît comme un vaurien qui utilise la licence et la promesse d’un paradis rempli de jolies vierges pour inciter les hommes à le suivre. Sa carrière est dépourvue de toute vertue. Son vaste empire s’est construit par le massacre et le bain de sang. Dans les chansons de gestes populaires écrites du 11° au 14° siècle, à l’apogée de la ferveur pour les croisades, en reflet des sentiments et croyances largement répandus, Mahomet et ses fidèles, les « Sarazins » sont décrits dans les termes les plus grotesques. Créatures de Satan, ils sont représentés avec des nez et des oreilles énormes, plus noirs que l’encre avec leurs seules dents montrant du blanc, des yeux comme des charbons ardents, des dents pouvant mordre comme des serpents et quelques uns avec des cornes comme des bois de cerfs.

Les hommes hérites de leurs préjugés en même temps que de leur language. L’Europe a hérité d’un solide corpus de stéréotypes sur les musulmans élaboré tout au long de plusieurs siècles de confrontation avec la civilisation musulmane. L’islam ne peut être regardé avec la même curiosité détachée que les cultures et croyances lointaines de l’Inde ou de la Chine. L’Islam a toujours été un facteur majeur de l’histoire de l’Europe. Comme l’a avancé l’historien Richard Southern, l’Islam a été le plus grand problème du christianisme latin, un défi culturel et militaire, éblouissant par sa puissance, sa richesse, son savoir, sa civilistion. Au cœur de l’Europe, son pauvre voisin du nord, il a engendré un éventail d’émotions qui vont de la fascination à la peur et au ressentiment.

Lorsqu’au 11° siècle des écrivains européens ont commencé à avoir conscience de la signification d’être Européen, ils se sont trouvés face à un Islam puissant, qu’il ne voulurent ni ne purent comprendre. L’Islam a fait partie intégrante de la notion Européenne du Moi. La rencontre avec l’Autre Musulman a été fondamentale pour la formulation de la perception occidentale du monde, particulièrement dans les siècles qui vont des croisades au démembrement de l’Empire Ottoman. En forçant le continent à trouver les voies d’une action concertée, l’islam a encouragé l’Europe a un sentiment plus fort du Moi et de l’Autre. A plus d’un sens, l’Islam a été la « sage-femme » de l’Europe.

Dans le climat de tension post 11 septembre, avec les frappes préventives, les interventions militaires et la montée en puissance des partis de droite, l’arsenal médiéval de fantasmes et de stéréotypes sur l’Islam et les musulmans a ressuscité. Les diables et les Antechrists des légendes et des polémiques moyenâgeuses ne sont plus. Mais leurs lugubres silhouettes demeurent inchangées. Ils survivent dans un discours essentialiste autocentré sur un Moi mythique et pur opposé à un imaginaire Autre musulman, déshumanisé et démonisé.

Dans le passé comme dans le présent, la religion, la culture, les politiques de la peur sont au service du grand jeu de la domination et de la maîtrise.

Ne nous y trompons pas : il s’agit d’un conflit politique qui s’exprime par le language de la culture et de la religion. Il n’est pas entre « nous et « eux » pas entre les cultures et les civilisations, mais interne à une même culture et un même front politique.

La bataille doit être livrée : contre l’intolérance, la haine, le mythe de la supériorité culturelle et le désir d’hégémonie sur l’autre.

Soumaya Ghannoushi est chercheuse en histoire de la pensée à l’Ecole des Etudes Africaines et Orientales de l’Université de Londres.

Traduction : Valère

Messages

  • Et pendant ce temps, les Chinois et les Indiens travaillent (un bon tiers de l’humanité) et le centre de gravité du monde se déplace inéxorablement à l’Orient de l’Orient.

  • Je crois que Valère a quelques difficultés à comprendre certaines choses, pourtant élémentaires :

    L’islam est une religion. Comme toutes les religions, l’urgence est de rétablir un délit de blasphême. Mais comme en occident les projecteurs sont braqués sur l’islam, les réactions de celui-ci sont plus entendues.

    Valère ne semble pas comprendre qu’il n’y a aucune raison pour que l’on puisse caricaturer toutes les institutions, toutes les formes d’organisation, critiquer toutes les formes de convictions, SAUF l’islam. Peut-être Valère ferait-il bien de réfléchir à cela.

    Par ailleurs, les messages des religions à l’encontre des femmes, des homosexuel-les et des autres nations sont très dévastateurs. Et si l’on peut se permettre de se moquer ou de critiquer des idées, on ne peut pas se permettre de se moquer ou de critiquer l’essence de la personne, et donc cela veut dire que si l’on peut se moquer ou critiquer l’athéisme ou les religions, par exemple, on ne peut pas (et elles non plus) se moquer ou critiquer une femme, une personne homosexuelle (quelque soit son sexe), les origines ou la couleur de peau de quelqu’un-e (ce que font pourtant fréquemment les religions). Donc les holà doivent plutôt être adressés à l’encontre des religions sur cette affaire et non des laïc-ques

    A bon entendeur ...

    • Je dois avouer que j’ai quelques difficultés à comprendrre... votre commentaire.
      Pour le reste je vous fais remarquer que je n’ai fais que traduire un article de Soumaya Ghannoushi que je ne connais absolument pas et auquel je n’ai ajouté aucun jugement personnel.
      Je ne vois donc pas trés bien ce qui vous permets de juger de ma compréhension de quoi que ce soit...Au demeurant cet article, plutôt modéré, me paraît digne d’intérêt du fait des origines et de la qualité de son auteur qui donnent une approche un peu différente du problème de celle de certaines publications pseudos anarchisantes qui dissimulent de plus en plus mal leur adhésion au néo-conservatisme.

      A bon entendeur....

      Valère

    • Alors en ce cas, vous me voyez désolé de mon post, Valère. J’avais cru qu’il s’agissait de ton commentaire perso, puisque tu n’as pas fermé les guillemets à ta citation. J’ajoute qu’il est bien regrettable que tu ne comprennes pas mon post. Enfin, peut-être voulais-tu dire que tu ne comprends pas que ce post t’ait été adressé alors que tu as juste fait un copié-collé sans chercher à analyser ou à prendre position dans un commentaire personnel que cet article est censé susciter

  • paix
    juste une précision rapport à la traduction, dans le but d’apporter quelquechose et non de critiquer :
    le nom du Prophete de l’Islam est Muhammad
    le terme mahomet est a la base une appelation dépréciative
    utilisée par ses détracteurs, et donc forcément repris par les occidentaux...
    (on remarquera la fréquence de "mauvaises" utilisation de mots pour mieux semer la confusion...)
    c’est le terme utilisé dans la quasi totalité des publications sur le sujet, c’est pénible pour la signification et cela montre l’ignorance des auteurs de leur sujet, l’Islam (ou alors c’est volontaire ?...c’’est pas vraiment mieux...)
    je ne dit pas ca pour Valere car je le remercie pour sa traduction, les avis "alternatifs" étant tellement rares...
    je pense juste que c’est un renseignement à savoir, voila tout est dit !

    Peace