Accueil > Lycéens : Après les coups faites entrer les accusés

Lycéens : Après les coups faites entrer les accusés

Publie le jeudi 16 juin 2005 par Open-Publishing

de Marie-Noëlle Bertrand

Arrêtez tout ! Appel à la raison ou injonction, c’est, quoi qu’il en soit, le cri lancé par une cinquantaine d’organisations, politiques, syndicales ou associatives (1) qui réclament l’abandon des poursuites judiciaires engagées contre les lycéens qui ont combattu la loi Fillon. Les signataires s’adressent à Gilles de Robien, ministre fraîchement nommé de l’Éducation nationale, prenant au mot sa volonté d’user de la concertation. Le collectif de soutien qui s’est constitué autour d’eux dénonce la démesure des procédures et n’hésite plus à parler de « chasses aux sorcières » et de « procès politiques ». Des mots sévères, qui mettent directement en cause le fonctionnement démocratique.

une Chasse aux sorcières

Selon le décompte avancé, une quarantaine de jeunes sont poursuivis par la justice. Des procès ont eu lieu. Certains retentissants, comme celui de Samuel Morville, membre de la Coordination lycéenne, condamné, pour outrage, à cinq mois de prison avec sursis et à 500 euros d’amende (l’Humanité des 25, 26 mai et 2 juin). D’autres, discrets. Comme celui de ce - lycéen dionysien, non syndiqué, non organisé, isolé. Le 14 avril, il est intervenu, dit-il, pour faire la médiation entre deux de ses amis et des policiers. Il passera la nuit au poste, sa famille n’aura de ses nouvelles que le lendemain matin. Le 30 mai, le tribunal de Bobigny l’a condamné à 100 jours de travaux d’intérêt général (TIG) et à 600 euros d’amende. Au total, une dizaine de jeunes ont déjà été jugés pour outrage, violences ou encore dégradations. Les condamnations prononcées vont de quelques jours de TIG à de la prison ferme - le cas de deux lycéens du Mans dont le casier n’était pas vierge - en passant par de très lourdes amendes - jusqu’à 6 000 euros, à Toulouse.

Répression politique ou sanctions à l’encontre d’éléments perturbateurs ? Pour la Ligue des droits de l’homme qui, depuis le début de l’affaire, se dit en état d’alerte, la volonté de criminaliser les jeunes relève de l’évidence, et elle se lit dès les premières arrestations. « Le gouvernement a profité des conditions que l’on connaît pour procéder aux interpellations », estime Jean-Pierre Dubois, nouveau président de l’organisation. Les conditions ? Ce sont celles d’un mouvement qui, alors, dure depuis presque trois mois. Les manifestations d’ampleur ont laissé place aux occupations de lycées, jusqu’à 750 établissements bloqués selon la Coordination à l’apogée du mouvement. Arc-bouté sur ses positions, le gouvernement, suivi par les responsables du syndicat des personnels de direction (SNPDEN), hausse le ton et qualifie les lycéens en lutte d’éléments d’extrême gauche agités. Très vite, il leur envoie les CRS. « C’était un enjeu de communication : on a voulu faire croire qu’ils étaient des éléments violents, estime Jean-Pierre Dubois. Leur minorité les rendait fragile. On a fait le pari qu’ils avaient échoué et qu’ils ne seraient pas défendus. Mais cet excès ne passe pas auprès de l’opinion. »

L’excès, c’est effectivement ce qui chiffonne tout le monde. Au-delà des procès en cours, le nombre des interpellations ne manque pas d’interroger. Deux cas retiennent singulièrement l’attention. Le 12 avril, l’inspection académique de Bobigny est investie par quatre-vingts lycéens. Accusés d’avoir saccagé des locaux, une cinquantaine de manifestants passeront la nuit en garde à vue et cinq seront poursuivis. Le 20 avril, 200 jeunes occupent une annexe du ministère. Plus de 170 seront interpellés. Là encore, les gardes à vue se prolongent jusqu’à 48 heures, y compris pour les mineurs. Quatorze personnes seront poursuivies.

« Sans doute, y a-t-il déjà eu des condamnations suite à des manifestations, estime Robi Morder, historien et président du Groupe d’études et de recherche sur les mouvements étudiants (GERME). Mais, à ma connaissance, jamais de vagues de procès aussi massives ». Depuis l’affaire Gilles Guiot, en 1971 (2), aucun lycéen ne s’était vu inculper sans qu’il y ait eu flagrant délit. Nacer Lahiouel, membre du Mouvement de la jeunesse communiste, a été un des animateurs du mouvement en Seine-Saint-Denis. Il est lui aussi convaincu que la répression vise à discréditer le mouvement. Faute d’avoir su le décourager. Alors que la mobilisation s’étendait, certains chefs d’établissements prohibaient les assemblées générales. « On nous disait de les faire devant le lycée... sous l’oeil des CRS. Des élus nous ont traités de bolcheviques, nous ont assurés que nous nous faisions manipuler. » Beaucoup, aujourd’hui, parlent d’arrestations ciblées pour certaines, faites au hasard pour d’autres.

discréditer le mouvement

Ciblées, quand il s’agit de lycéens politiquement repérés. Lors de son procès, Samuel Morville témoignera avoir été, plusieurs fois, apostrophé nommément dans la rue, par des policiers en uniforme ou en civil. D’autres témoignages convergent dans ce sens. À l’opposé, beaucoup de jeunes nourrissent le sentiment d’être victimes d’une loterie arbitraire, songeant au mieux à un malentendu, au pire, à servir de boucs émissaires. Hicham hésite entre les deux. Il doit passer devant le juge, jeudi 16 juin, mais espère obtenir un report, car ce jour est justement celui de son épreuve de maths au baccalauréat, et il est en terminale scientifique. Interpellé le 20 avril, il manifestait devant l’annexe du ministère. Accusé de violence à l’encontre d’un représentant des forces de l’ordre après un mouvement de foule, il dément. Pas de hargne dans ses propos, plutôt de l’incompréhension. « J’étais uniquement venu pour manifester mon opposition à la loi. Je pensais pouvoir donner librement mon opinion. »

impunité aux casseurs

Pour Me Bérion, avocate, toutes ces affaires « relèvent, à tout le moins, d’un traitement très grossier, dépourvu d’analyse ». Des procès fixés en périodes d’examen, se contentant d’opposer parole d’accusateur contre parole d’accusé, sans réels questionnements. « Quid de l’état d’esprit de policiers, peut-être excédés et à qui les consignes de fermeté ont pu donner le sentiment d’impunité ? » De plus, l’absence de suites données aux violences policières, ou à celles imputées aux casseurs du 8 mars, ne passe résolument pas. Cela nourrit le sentiment qu’il y a là deux poids, deux mesures. « Il y a là un réel paradoxe, note Constance Blanchard, présidente de l’UNL. Quand on se fait taper dessus, rien ne se passe. Quand un jeune est accusé d’injure, il est poursuivi en justice. »

Samedi dernier, pour la première fois, une délégation du collectif de soutien aux lycéens était reçue par le cabinet du ministre de la Justice. Gilles de Robien assurait, quant à lui, la semaine dernière, vouloir comprendre les raisons qui ont provoqué la révolte. Signe de détente ou civilité d’usage ? La réponse est entre les mains du ministre.

(1) Parmi lesquels la Coordination lycéenne, AC, AITEC, Alternative libertaire, ATTAC France, CGT-Paris, FCPE Île-de-France, FSU, LCR, LDH, MRAP, PCF, Résistons ensemble contre les violences policières et sécuritaires - RP, SNES Créteil, fédération SUD éducation, SUD étudiants, Union syndicale Solidaires,

les Verts. Contact : comite.soutien@laposte.net

(2) Le jeune homme avait été interpellé en périphérie d’une manifestation.

http://www.humanite.presse.fr/journ...