Accueil > MEDEF : Bienvenue en terre brûlée
MEDEF : Bienvenue en terre brûlée
Publie le dimanche 5 septembre 2004 par Open-Publishing1 commentaire
http://www.humanite.fr/journal/2004-09-04/2004-09-04-399879
À l’occasion de sa traditionnelle université d’été, au-delà de ses revendications traditionnelles sur la baisse des " charges " et du nombre de fonctionnaires, l’organisation patronale élabore son projet d’une société tout simplement invivable.
C’est une forteresse d’arbres et de verdure, protégée par la police. Depuis plusieurs années, le MEDEF convoque, fin août début septembre, une université d’été sur le campus de l’école de commerce HEC à Jouy-en-Josas. Comme toujours, il offre un théâtre à l’habituel bal des amnésiques, voire des menteurs : le patronat veut toujours plus d’allègements de charges et toujours moins de règles. Des profits, pas de contraintes. Cette année, la mise en scène d’un affrontement entre Ernest-Antoine Seillière et Jean-Pierre Raffarin a occupé les médias. Mais pas vraiment l’université d’été en tant que telle où les ministres Jean-Louis Borloo, Renaud Dutreil et, en particulier, Nicolas Sarkozy ont été ovationnés par près de 2 000 patrons de la France entière.
" En tant qu’entrepreneurs, nous ne nous payons pas de mots, nous sommes dans l’action ", aime répéter le président du MEDEF. Rien n’est plus faux. En fait, avec les dirigeants des entreprises du CAC 40 aux manettes et aux tribunes, ses patrons des PME qui fournissent la cohorte de figurants nécessaires et, au beau milieu, l’armada de consultants en tout genre accourus pour soigner leurs affaires dans les couloirs, l’université d’été de ce fragment du patronat qu’est le MEDEF constitue une fenêtre sur un monde à part, une espèce d’" autre monde possible ", ici aussi, mais proprement invivable, une utopie à l’envers, la jungle. C’est donc un monde de concepts, de réfutation des termes du débat, de théorisation de la domination, de construction des nouvelles mythologies que bâtit chaque année le patronat français lors de cet événement. C’est parfois odieux, souvent obscène. Pincez-vous le nez si vous voulez, voilà comment les patrons rêvent de nos cauchemars.
A comme assassins
" Vous devez être ceux qui menacent, pas ceux qui sont menacés. Vos dents doivent rayer le parquet. L’indulgence est comme la pitié, elle vous déshonore et elle déshonore aussi ceux qui en bénéficient. La société a besoin de durs, pas de mous. L’ennui, c’est qu’il y en a beaucoup, des mous, beaucoup trop. Il faut arrêter de reculer le moment de l’effort. Ne soyez pas indulgents avec vos salariés. Il y a tout plein de bac + 12 qui sont infoutus de travailler, ils ne sont même pas capables de trouver un balai pour faire le ménage. Quand on doit licencier quelqu’un, il ne faut pas cacher la vérité. Vous savez, c’est aussi difficile pour celui qui coupe que pour celui qui est coupé. Moi, je préfère les assassins aux escrocs : les escrocs, les gens les trouvent sympas. Les assassins, non, évidemment ; mais pourtant, ils ont un grand mérite, c’est de ne pas être hypocrites. " André Daguin s’y connaît en la matière. Le 14 décembre 2003, par voie de presse, le président de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (UMIH) avait, à mots fort peu couverts, menacé le gouvernement d’un vote massif au FN pour les régionales en cas de report de la baisse de la TVA.
B comme Bosch
C’est un beau geste : quand Philippe Carli, PDG de Siemens qui, depuis l’Allemagne, a lancé la mode européenne du chantage généralisé à la délocalisation, aperçoit son homologue de chez Bosch, artisan de la déclinaison française, il offre immédiatement son épaule, un écrin où verser une larme. " Ah, je vois mon collègue dans la salle, surjoue Philippe Carli. Les gars, les dirigeants de Bosch se battent, se décarcassent pour que leur groupe reste en France et qu’est-ce qu’on retient ? C’est cette malheureuse heure travaillée de plus, acceptée du reste par les salariés et par les partenaires syndicaux. Je vous le dis, aujourd’hui, on travaille en France à détruire la conviction des patrons. "
C comme charisme
" Nous avons un système d’enseignement mandarinal qui repose trop sur le QI et pas sur le caractère, ni, plus grave encore, sur le charisme ", fustige Henri de Castries, président du directoire d’Axa. Attention, nouvelle tendance dans la logorrhée managériale : c’est leur " charisme " qui justifie le pouvoir des puissants. Devant une assemblée rassemblée autour d’un thème pompeux et fallacieux (" L’entrepreneur sur le divan"), un flatteur qui vit aux dépens de ceux qui l’écoutent naturalise cette supériorité transformant le boss en leader. " Connaissez-vous l’intelligence émotionnelle ? interroge Jacques Fradin, psychothérapeute et coach de patrons. Elle loge dans la partie la plus développée du cerveau, le cortex préfrontal. C’est la création, l’invention, la capacité de penser la nouveauté, de faire face à la gazéification d’un monde en phase de déstructuration. Quand on la détruit, c’est la lobotomie. Mais quand on a percuté, quand on est capable de recruter le préfrontal, on s’aperçoit que la vie humaine n’est pas scindée entre le coeur et l’esprit, entre vie professionnelle et vie privée. C’est dans le cortex préfrontal qu’on trouve le charisme, donc l’intelligence émotionnelle, les ressources pour affronter le changement. " Au fond, cette manière de transformer la domination en essence (" surhommes " contre " pauvres hères " se retrouve, en écho mais sans surprise, chez Nicolas Sarkozy quand il s’adresse aux patrons comme à des pairs : " Vos clients comme nos électeurs ont besoin d’une seule chose : savoir si ceux à qui ils ont confié des responsabilités sont prêts à les assumer. "
E comme épouvantail
Comment soigner la " peur du rouge " des patrons français candidats à la délocalisation de leurs productions en Chine en deux leçons :
" Ne vous en faites pas : le Parti communiste chinois n’est pas un parti idéologique. En Chine, on adhère au Parti communiste quand on a de l’ambition dans la vie. C’est comme rentrer à l’ENA en France. " (André Chieng, PDG de l’Asiatique européenne de commerce)
" Il y a plus de communistes en France qu’en Chine " (Propos attribués à Carlos Ghosn, PDG de Nissan et rapportés par le journaliste Erik Izraelewicz).
G comme "Gouevara"
Ben quoi ? Vous ne connaissez pas " Ché Gouevara " ? Pourtant, il est tous les soirs au 20 heures ; c’est du moins ce qu’affirme, dans son improbable diction, le gominé patron de General Electric France, Francis Bailly. " Quand on voyage sur la planète, ça ne manque pas : à l’autre bout du monde, tous les jours, on voit à la télé des images de la France. C’est toujours une bande de gens avec des sacs plastiques sur le torse et des drapeaux. Il y a la manif quotidienne dans le 7e arrondissement de Paris sur un problème corporatiste, puis il y a la manif hebdomadaire entre Bastille et Nation à vocation généraliste. Ce sont des tueurs d’image : cela donne l’impression à l’étranger que quand on veut travailler en France, on va se prendre un défilé, une grève sur le coin du nez. Et puis, dans les cortèges, on voit souvent "Ché Gouevara". Ah, ça c’est tendance ! C’est l’héritage d’une culture néomarxiste qui fait que le privé est méchant, que la richesse est toujours indûment acquise. Nous devons corriger radicalement notre image. Il va falloir faire de la pub au produit France sur le thème du secouez-la, secouez-la."
I comme intello de service
" Je vous présente François Ewald, c’est l’intello de service. " Tout de suite, la phrase encore au coin des lèvres, à peine lâchée, Ernest-Antoine Seillière mesure l’étendue de la bévue. Et reprend, au prix d’une dénégation magistrale : " C’est l’intello de service, non pas au MEDEF, mais en France. Ah, je vois que Denis Kessler trouve mon expression forcée et il a raison. François Ewald, c’est l’intello tout court. " Et pourtant, c’est si vrai : ce théoricien du fondamentalisme libéral, apôtre de la " société du risque " régulièrement stipendié par l’assurance privée, charrie ses connaissances sur les terres ultraarides de ce qui tient lieu de " pensée " au MEDEF. " Ce qui caractérise la période, c’est que l’on considère aujourd’hui que la liberté est toujours une menace, ratiocine-t-il. L’évidence sécuritaire a pris un tel poids qu’avant même que la liberté s’exerce, il faut prendre des précautions. À cet égard, l’État développe des pratiques assez classiques, mais il leur donne une importance nouvelle : avec le fameux "principe de précaution" comme lors des réformes de l’État-providence, nous sommes en train d’assister à la régression des pratiques de responsabilité et, à rebours, à l’augmentation des pratiques de police administrative. "
J comme jouir sans entraves
En pur " intello de service ", François Ewald dresse un tableau général qui permet à d’autres, ou à lui, de tirer la conclusion qui s’impose. Ainsi, par exemple, Jean-Charles Simon, ex-trader, ex-directeur des études du RPR, ex-conseiller à la Fédération française des sociétés d’assurance et président de l’Association française des entreprises privées (AFEP) : " Dans les domaines économiques, sociaux et sociétaux, on a une extension de la sécurité collective, mais jamais on ne se pose la question de l’atteinte que cette extension porte aux libertés. Or certaines mesures vont à l’encontre de nos libertés d’entreprendre, de contractualiser. D’un point de vue de marketing électoral, l’État se pense aujourd’hui comme pourvoyeur de sécurité collective ; c’est vrai dans les relations de travail, il entend toujours protéger les gens contre certains risques comme les licenciements. Or prenons le temps de travail : sans la négation des libertés contractuelles, sans cette situation absurde d’absence de demande de réduction du temps de travail d’un côté comme de l’autre, on aurait pu imaginer dans les entreprises un autre partage. Alors, à présent, on se trouve dans un autre cadre avec une nouvelle majorité qui avait promis de privilégier la liberté contractuelle, mais qui crie quand même au chantage en citant Doux et Bosch. " Tout ça pour ça, pas plus de deux objectifs : brûler le Code du travail et négocier la norme derrière les portes des entreprises.
M. comme maladie professionnelle
Le polytechnicien Guy Maugis n’a pris les rênes de la filiale française de l’équipementier allemand Bosch que depuis janvier dernier, mais il a déjà une cote d’enfer dans les travées de l’université d’été du patronat. À lui, la palme de la recherche et développement du meilleur coup tordu de l’année pour son ouvre, " Avenir Vénissieux ", un accord d’augmentation du temps de travail extorqué à ses salariés. Merci, merci, mais il n’est pas là pour ça... Il est juste venu parler souffrance au travail... Enfin, celle de l’entrepreneur et de personne d’autre. " Le dirigeant souffre à des degrés plus ou moins supportables dans sa pratique quotidienne. C’est la peur de disparaître qui nous réunit tous. Nous sommes confrontés à une compétition qui est loin de celle que l’on a connue précédemment. Y a-t-il d’autres solutions que la délocalisation ou la mort ? Les sources de stress ne manquent pas pour les dirigeants. Aucun chef d’entreprise ne dort tranquillement avant un comité d’entreprise important, comme quand il faut fermer un site qui n’est hélas plus compétitif. À un niveau plus personnel, on est parfois amené à se séparer d’un collaborateur ; cela s’accompagne de souffrance qui cadre mal avec l’imaginaire collectif et que, du coup, il faut cacher : un patron ne doit pas avoir de sentiment. Pour éviter ces situations, certains diffusent la mauvaise nouvelle par e-mail. Il y en a qui développent des maladies psychosomatiques parce que le stress auquel ils sont soumis est trop fort. "
Article paru dans l’édition du 4 septembre 2004.
Messages
1. > MEDEF : Bienvenue en terre brûlée (suite et fin), 6 septembre 2004, 19:07
O comme otages
Cravaté contre tous les usages en vigueur à l’université d’été du MEDEF où les patrons n’aiment rien tant que de montrer leur côté détendu, splendidement cool, en tombant la veste et leurs autres attributs, l’homme lève la main parce qu’il a une question à poser pendant la plénière. « Quelles parades peut-on trouver contre le terrorisme des mots qui influent sur nos économies et sur nos échanges ? » Malgré les apparences, comme d’habitude dans cette enceinte, la question n’est pas philosophique, mais au ras des pâquerettes : « Comment peut-on contester les mots des normes juridiques utilisés pour déstabiliser nos entreprises ? » Dans l’esprit des patrons, les normes juridiques sont donc des espèces d’« armes du pauvre », « non conventionnelles » - ne qualifient-ils pas le « code du travail » d’« usine à gaz » ? - et ceux qui les utilisent, des « terroristes » qui, en cas de conflit social, poussent la menace jusqu’à prendre en « otages » les Français. Avec le culot narquois de l’aristocrate qu’il est, Ernest-Antoine Seillière renverse la charge et avance ses pions idéologiques, drapé dans la bannière française à l’heure de l’unité nationale : « Il n’est pas tolérable que le même terme, celui de "chantage", soit utilisé pour qualifier les manoeuvres atroces en Irak et le cas d’entreprises qui ont fait une proposition à leurs salariés pour sauver des centaines d’emplois. On a encore parlé des "patrons voyous". Ce sont des choses qui nous heurtent. »
P comme pacification
« La classe politique doit admettre officiellement que c’est le monde de l’entreprise, et lui seul, qui finance et fait vivre la France, admoneste Sophie de Menthon, présidente d’Ethic et membre du comité d’éthique du MEDEF dans les Échos de mardi. Cessons de considérer l’entreprise comme le creuset de la lutte des classes. Pour que ça tourne, il faudrait redevenir révolutionnaire et chasser les réactionnaires contestataires assis sur des droits acquis qu’ils font passer pour du progrès social. » En fait, le MEDEF rêve d’une « société réconciliée », mais où tout le monde, sauf les patrons bien entendu, se serreraient les coudes face à un peloton d’exécution, un couteau sous la gorge, le revolver sur la tempe. À la mode, en quelque sorte, de la guerre de « pacification » en Irak. L’idéologue du patronat, François Ewald, n’est pas bien loin de l’aveu : « Il faudrait, nous demande-t-on, trouver un usage des mots affranchi des rapports de forces ou de domination, trouver un usage pacifié du langage. Que la France se parle ! Qu’on libère la parole pour que les conflits disparaissent ! Mais c’est une utopie, ça ! Le langage ne peut pas échapper à l’ordre de la bataille, et si on l’oublie, on sera dominés... »
R comme recherche
Qui suis-je ? Je suis le seul mouvement social de la Fonction publique qui trouve grâce aux yeux du patronat et que, dans ses assemblées, on va jusqu’à applaudir. Pour être compétitif dans l’« économie de la connaissance », comme dit Denis Kessler, redevenu bras droit de Seillière le temps de l’université d’été, il faut « sauver la recherche ». Mais pas forcément au sens du collectif Sauvons la recherche, moteur de la mobilisation du printemps dernier. Pour le MEDEF, la recette ultralibérale classique peut s’appliquer à la recherche comme d’ailleurs à l’éducation en général. L’État collectivise les pertes et privatise les bénéfices : du fric pour les très bons chercheurs dans le public (sélectionnés comment ?), rien pour ceux que le patronat considère comme « médiocres » (et peut-être, pourquoi pas aux yeux de ceux qui parlent de certains chercheurs comme des « acrobates des aides sociales », dans les sciences humaines trop inutilisables, pas rentables) et toutes les bonnes idées, les découvertes exploitables qui passeraient au privé. Philippe Camus, patron d’EADS, interroge avec gourmandise son voisin de tribune le professeur Étienne-Émile Beaulieu, médiateur lors du mouvement entre le gouvernement et les chercheurs : « Est-ce qu’il y a des représentants des entreprises dans le comité d’initiative et de proposition des futurs états généraux de la recherche ? » Négatif. « Ah ! c’est déplorable, ça montre qu’il y a une fracture culturelle, c’est un des obstacles à surmonter collectivement. » Tous ensemble, tous ensemble ! ? !
S comme scout
« Par rapport au risque, notre société se trouve dans un cadre de quasi-régression mentale, assène Henri de Castries, président du directoire du géant des assurances Axa. Le principe de précaution est dangereux et ambivalent : il sert de justification au manque de courage politique. On n’empêche pas les catastrophes avec de la réglementation. Aujourd’hui, encadrer des jeunes, être chef scout, c’est être à la merci d’une mise en examen. Je le sais, j’ai un enfant qui est chef scout. Pour les patrons, les mises en examen, c’est presque naturel, mais pour les scouts... On doit arrêter cette litanie d’incohérences : si nous ne voulons pas de risque, nous n’aurons pas la croissance. C’est une des grandes règles de l’économie : plus il y a de risque, plus il y a de retours sur investissement. »
T comme type bien
« Et si l’on arrêtait d’utiliser le mot "capital" ou "capitalisme", s’exclame Xavier Fontanet, PDG d’Essilor international et président du comité d’éthique du Medef. Ce sont de pures et simples inventions de Marx. Je préfère, moi, utiliser le mot de "marché". Quand nous parlons de nous, on se définit comme des "opérationnels", moi je pense qu’on devrait privilégier la notion de "type bien". Dans notre système de marché, et c’est sa grande force, quand on fait une erreur, on la paie soi-même et du coup, on apprend de ses erreurs ; dans les systèmes communistes ou socialistes, quand quelqu’un fait une erreur, c’est toute la collectivité qui paie. Nous vivons dans une méritocratie, c’est reconnu et c’est parfait : dès lors quand on se comporte en gens bien, cela se voit, les gens comprennent. Mais la presse est toujours sensible à l’exception, au train qui n’arrive pas à l’heure, et parfois, dans les têtes, l’exception devient la norme. C’est malheureux. Quand on est libéral en France, on est souvent un "sale libéral". Ce mot a été martyrisé par des débats et la France est un cas unique sur la planète. Mais moi, avec mes trente ans de business, je peux vous dire que, quand je vais voir notre usine à Manille, en repartant, il m’arrive d’aller faire un tour dans les faubourgs pour voir la pauvreté. Ça fait du bien à ceux comme nous d’aller voir la pauvreté de temps en temps. Il y a trente ans, les ouvriers arrivaient en savates à l’usine. Aujourd’hui, vous verriez leurs voitures sur le parking ! Certains d’entre eux réussissent même à présent à envoyer leurs enfants dans les écoles de commerce américaines. »
U comme utopie
« Si la fin des utopies fut un soulagement, son contre-choc sociologique actuel se traduit par la fin d’une espérance. Les croyances s’affadissent. Le discours politique, depuis qu’il n’a plus d’enjeux idéologiques, s’enfonce dans un décalage avec la réalité des choses » (Ernest-Antoine Seillière).
V comme vouvoie-moi
Nicolas Sarkozy achève son show, lundi soir. Il part, rendez-vous pour discuter le budget avec Jean-Pierre Raffarin. Il lance à la salle : « Alors, j’ai bien compris qu’il fallait baisser toutes les dépenses... Sauf les tiennes. » À qui s’adresse-t-il ? Mais à tous, bien sûr. Il parle à la deuxième personne du singulier pluriel : tutoiement de politesse, de révérence, comme une promesse de connivence éternelle. Le patronat n’est pas si fâché que ça contre le gouvernement.
Y comme yuppie
Grande fortune de l’écran de fumée baptisé « nouvelle économie », Charles Beigbeder, frère de publicitaire, s’est trouvé deux nouveaux créneaux qu’il espère rentables : d’un point de vue économique, la distribution d’électricité dans un marché désormais ouvert à la concurrence ; et en matière idéologique, le crachat à la gueule des « nantis » d’EDF qui « coûtent si chers à la collectivité ». « Vous savez, en 1999, quand il y a eu la grande tempête, EDF s’est beaucoup vantée d’avoir rétabli, grâce à ses agents, le courant sur tout le territoire en un temps record, ânonne-t-il en promettant la jubilation dans la salle. Mais quand on y regarde de plus près, ce sont bien souvent des sous-traitants qui sont allés travailler le 27 décembre à 3 heures du matin... Alors ils étaient en bleu, mais ce n’était pas EDF, ils avaient des bleus de travail. » Il a l’air de savoir, ce serait un complot du mensonge, il l’a peut-être vu, lui, en sortant, à 3 heures du matin, d’une soirée de la jet-set.
Z comme Zzzzz
« Ahahahahah », « Merci, bravo » ; « Voilà qui est roboratif » ; « Je te félicite vraiment, je crois que tu as remonté le moral à beaucoup de gens » ; « Clap clap clap », etc. Pendant les trois jours de l’université d’été du MEDEF, les patrons se sont bien congratulés. Les maîtres à penser ont ébloui les petits et moyens. « Tu as remonté le moral à beaucoup de gens. » Et « tu » auras peut-être filé la rage à beaucoup, beaucoup plus de gens encore, à quelque chose comme un peuple qui reste encore, les hippopotames, les mammouths, les « chômeurs volontaires », les salariés qui se tuent au boulot à petit feu ou dans un grand incendie, etc. Quand tout le monde aura identifié le bruit de fond de la haine, du mépris, du cynisme et du trucage, le patronat pourra-t-il continuer de proclamer, comme cette année, à l’ouverture de l’événement : « Nous sommes loin du grand soir, très très loin » ?
Thomas Lemahieu