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Maison après maison, les colons étendent leur territoire au coeur d’Hébron
Publie le mercredi 14 avril 2004 par Open-PublishingAzmi Ezzak Dandis était prêt à accepter la présence de soldats israéliens sur le toit de sa
maison. Mais pour les colons de Beit Hadassah, l’un des quartiers-bunkers créés par des juifs dans la
vieille ville d’Hébron, cette protection venue du toit ne suffisait pas, ils ont pris possession de
la maison tout entière, obligeant les Dandis, une famille commerçante autrefois parmi les plus
prospères du sud de la Cisjordanie, à s’installer en dehors du souk. "Les colons sont restés là deux
mois, puis ils sont partis, raconte ce vendeur de souvenirs, contraint de fermer neuf de ses dix
boutiques. Ensuite, l’armée a condamné ma porte et depuis, je ne peux plus entrer chez moi."
A mille lieues des perspectives de retrait israélien de la bande de Gaza, M. Dandis, comme des
milliers de commerçants et d’habitants de la vieille ville d’Hébron, paye la présence des quelques
centaines de colons vivant là sous haute protection militaire.
Ceux-ci, installés dans la zone restée sous contrôle israélien à la suite du protocole de 1997
(zone H2), profitent à plein de la bienveillance, voire du soutien, du gouvernement israélien pour y
conforter leur présence. A l’occasion des vacances de la Pâque juive, des milliers d’Israéliens
sont venus à Hébron témoigner leur solidarité avec les colons. Début mars, la cour suprême
israélienne a autorisé la démolition de deux maisons palestiniennes situées sur la route qui mène de la
grande colonie de l’est d’Hébron, Kiryat Arba, au caveau des Patriarches, véritable camp retranché en
plein coeur de la vieille ville. Motif invoqué : la sécurité. En septembre 2002, une attaque
palestinienne revendiquée par le Djihad islamique avait fait douze morts sur cette même route.
Ces derniers mois, les colons ont aussi obtenu la fermeture de nouvelles rues à la circulation
piétonne des Palestiniens, l’érection d’une tour de surveillance sur les hauteurs de la ville,
l’installation de barbelés ou de portes métalliques qui entrave toute vie et tout commerce sur un large
périmètre. Ces dernières années, plusieurs centaines d’échoppes ont été fermées sur ordre de
l’armée.
Jamal Marajé, lui, a été chassé par les immondices. Sa boutique, adossée à l’un des immeubles de
la colonie Abraham Avinou, était la cible des ordures et des pierres jetées par les colons.
Harcelé, il a déménagé à quelques centaines de mètres de là avec sa collection de robes palestiniennes
traditionnelles destinées à d’improbables touristes. D’autres habitants de la vieille ville dont les
maisons donnaient sur l’une ou l’autre des colonies ont dû grillager leur terrasse ou bâcher leurs
fenêtres. Beaucoup ont tout simplement plié bagage. "Tous ceux qui avaient les moyens de le faire
sont partis", assure Chantal Abou Eisché, l’une des responsables du centre d’échanges culturels
Hébron-France, qui, en dépit des difficultés, conserve des locaux en vieille ville.
"Aujourd’hui,
malgré les efforts du comité de réhabilitation de la ville qui restaure les maisons, le coeur
d’Hébron a des allures de musée ethnographique."
CIRCULATION INTERDITE
L’ampleur du désastre est difficile à évaluer. Selon les sources, le nombre d’habitants du coeur
de la vieille ville oscille de 3 000 à 10 000 personnes, contre près de 40 000 avant l’Intifada.
Sur les 350 familles que le comité de réhabilitation était parvenu à faire revenir, 200 seraient
déjà reparties. En février, alors qu’il venait de quitter ses fonctions, l’ancien chef de la mission
de la TIPH (Temporary International Presence in Hebron), un groupe d’observateurs internationaux
censés limiter les frictions entre colons et Palestiniens, a même qualifié ces départs forcés de
"nettoyage".
S’abstrayant du devoir de réserve qui caractérise habituellement les membres de la TIPH, l’ancien
militaire norvégien Jan Kristensen a déclaré à la presse israélienne : "L’activité des colons et
de l’armée dans la zone H2 crée une situation irréversible. Si cela continue encore quelques
années, il n’y aura plus un seul Palestinien dans cette zone. C’est un miracle qu’ils aient réussi à
rester sur place jusqu’à présent."
Observateurs privilégiés de l’activité des colons - ils sont les seuls à pouvoir encore pénétrer
dans certaines rues interdites même aux diplomates -, les membres de la TIPH ne cachent pas leur
pessimisme.
Lors de l’une des six patrouilles qu’ils effectuent chaque jour, deux observateurs ne peuvent que
constater les dégâts. "Pour les Palestiniens, la cause de la vieille ville est perdue", assure
l’un d’entre eux, en désignant l’enfilade de boutiques fermées, les appartements abandonnés. "Même si
seuls 200 colons vivent ici en permanence, il est clair qu’ils étendent leur territoire, maison
par maison.
Leur entreprise est de longue haleine et leur but est clair : relier la vieille ville
aux grandes colonies de Kiryat Arba puis de Givat Hakharsina -au nord-est de la ville-", ajoute son
collègue, en esquivant le crachat d’un jeune colon croisé en plein coeur de Beit Hadassah.
A l’entrée principale de Kiryat Arba, justement, des travaux de terrassement entrepris récemment
dans un champ palestinien dessinent un chemin destiné à relier la colonie mère (7 500 habitants,
selon les colons) à une implantation plus petite située en surplomb de la route principale. Coincées
entre les deux, quelques habitations palestiniennes survivent. Sur la route qui passe devant chez
eux, la circulation automobile est interdite aux Palestiniens. Pour éviter de croiser les colons,
les enfants se rendent à l’école par les jardins et les cours, escaladant une chaise et une
échelle posée contre un mur.
Stéphanie Le Bars
LE MONDE