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de Naja
Militer. Vendre des journaux. Participer à des manifs. Prendre part à des réunions. Écrire des articles. Distribuer de la soupe. Donner du temps, donner de l’argent. Partir en bénévole dans des pays pauvres. Adhérer à un parti. Animer une association. Et puis rentrer chez soi. Consommer des produits fabriqués pour des salaires de misère. Regarder la téloche. Prendre sa voiture. Aller travailler. Passer devant des clochards. Bouffer chez MacDo. Acheter un ananas en hiver.
Contradiction étrange apparue avec la société de consommation. Les actes les plus banals de notre existence sont aussi des actes de collaboration au système contre lequel nous luttons. Ce paradoxe peut être vécu comme un échec. L’impossibilité de s’extraire du système. La preuve de la toute-puissance de ce dernier. Le monde est comme ça. Arrête d’utopiser dans ton coin camarade…
Alors on continue de se prendre la réalité quotidienne en pleine gueule. Tentant d’oublier les limites de notre supportable. Choisis ta drogue. Légale, illicite, cathodique. Niant la résonance de nos actes, ici, aux antipodes.
J’ai du sang sur les mains
quand j’ouvre un journal
Poisseux et froid
il s’incruste sous mes ongles
J’ai du sang dans les yeux
quand j’allume la télé
Visqueux et chaud
il barbouille mes joues
J’ai des caillots dans les oreilles
quand j’écoute la radio
Mielleux et tièdes
ils poissent dans mon cou
Le sang des enfants qui fabriquent mes vêtements
Le sang des femmes qu’on lapide dans un trou
Le sang des hommes si facile à rougir
Le sang de mon espèce
coulant à mes veines
Et si cette faiblesse, décourageante d’impuissance, était notre force ? Et si on tentait, juste pour voir… Abandonner une bonne fois pour toutes l’espoir des lendemains qui chantent, des avenirs radieux grâce à la science, des paradis religieux, mange ta soupe, ne lorgne pas sous les jupes, et tu verras la barbe du bon Dieu. Toutes ces promesses qui nous tiennent en esclavage. Remplacées depuis peu par la peur du lendemain. Et de tout ce qui va nous tomber sur le coin de la gueule. Désastres écologiques, terrorisme, épidémies, Sarko président (ah non, ça c’est fait). Tous ces espoirs, et toutes ces peurs, qui ont pour but de nous immobiliser. Attendant la rédemption ou l’apocalypse, comme de fragiles hérissons pris dans les phares d’un 4X4 radioactif.
Il ne s’agit plus de militantisme triste, parenthèse dans notre vie de consommateur, mais de résistance joyeuse. De création constante. L’imagination au pouvoir compadre ! Pour se réapproprier le présent, notre présent. On nous martèle à longueur de tout que nous ne pouvons rien faire, que ceux qui savent font ce qu’ils peuvent, que si on bouge, tout bascule, et l’arrière cuisine des partis "révolutionnaires" parlent d’alliances électoralistes, de journées de mobilisations... Dans le même temps, la planète foisonne d’expériences diverses, variées et contradictoires. De Rio à Paname, d’Auroville à Summerhill, de Gênes à Seattle, de la Grèce aux Cévennes, de la Commune de Paris à celle d’Oaxaca, ça cherche, ça creuse, malgré la récupération constante, et souvent ça marche. Parfois pas longtemps, mais chaque acte de résistance, chaque seconde de gagnée est un grain de sable supplémentaire.
L’assomption de la tristesse, inhérente à notre société, ne doit pas empêcher celle de la joie. Militer au quotidien, c’est d’abord vivre. Ne pas attendre qu’on nous en donne la permission une fois que toutes les conditions préalables seront mises en place. Non ! vivre maintenant, consciemment, au plus proche de cette société humaine construite en filigrane par l’histoire des résistances depuis des siècles. En assumant notre part du paradoxe. Trouver sa solution. Pas la définitive. Celle convenant à la situation, à la personne, au collectif, à la lutte de l’instant. Tout à gagner, rien à perdre.
Messages
1. Militant du quotidien, 9 février 2009, 14:04, par Boroh Piotr
Magnifique,
pour des journées qui chantent
Salut et fraternité
Boroh Piotr