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Mondialisation : L’avenir des paysans n’est pas écrit d’avance

Publie le lundi 12 février 2007 par Open-Publishing

La place et le potentiel de l’agriculture dans la société française demeurent largement sous-estimés au regard des ravages de la mondialisation libérale sur ce secteur économique et stratégique.Faut-il regarder ce qui se passe aujourd’hui au Mexique pour réfléchir sur le futur de l’agriculture française et européenne ? Oui, assurément ! La tortilla, modeste galette de farine de maïs, est l’aliment de base des Mexicains. Son prix a augmenté de 14 % en 2006 et de 30 % en trois ans. Pourquoi ? Parce qu’un accord de baisse des tarifs douaniers intervenu voilà quelques années entre le Mexique, les Etats-Unis et le Canada a fait reculer la production mexicaine de maïs au profit de celle des Etats-Unis, beaucoup plus compétitive. Désormais, comme le pays de George Bush consacre 40 millions de tonnes de maïs par an à la production d’éthanol, le prix de cette céréale flambe et les entreprises qui contrôlent le commerce de la farine spéculent. Ajoutons que les paysans mexicains ne sont pas en mesure de relancer la production après avoir été ruinés par la concurrence américaine. L’augmentation du coût de l’alimentation est douloureusement ressentie par des millions de Mexicains pauvres. La même tendance pourrait se développer dans toutes les régions du monde pour peu que les responsables politiques y abandonnent toute régulation des politiques agricoles. Depuis 2002 les tensions spéculatives sur les prix alimentaires sont déjà vives (lire encadré). C’est à la lumière de ces exemples qu’il convient de réfléchir sur les conséquences d’une nouvelle libéralisation mondialisée du commerce des denrées agricoles et alimentaires.

LES DANGERS D’UNE NOUVELLE BAISSE DES TARIFS DOUANIERS

Croire que les consommateurs peuvent gagner du pouvoir d’achat via la baisse des prix des produits agricoles importés est un leurre tant la capacité des distributeurs à empocher la différence est connue. En témoigne la flambée du prix de la pomme dans les grandes surfaces depuis quelques années. Mais dans une étude (1), l’Insee prévient à propos de la baisse attendue des prix : « Ces effets pourraient être perturbés par de nouveaux facteurs affectant les cours mondiaux. » Selon l’institut, « le développement des bio-carburants et l’accroissement de la demande chinoise peuvent notamment tirer ces cours mondiaux des productions végétales vers le haut dans un contexte où l’instabilité des marchés risque de s’accroître ». Bref le scénario mexicain pourrait très bien se produire en Europe si une ouverture trop grande des frontières faisait demain reculer le nombre de paysans et les volumes de production dans des secteurs comme la viande bovine, porcine ou de volaille pour s’en tenir à trois exemples. S’agissant des pays les plus pauvres, et notamment de l’Afrique, l’Insee commente les résultats obtenus par les simulations en ces termes : « La libération des échanges risque de porter atteinte aux systèmes de préférences que leur offrait notamment l’Europe. Au total, les gains à attendre au niveau mondial seraient modestes. » En revanche, les risques seraient gros d’offrir de nouvelles parts de marché à des pays comme le Brésil, l’Argentine, l’Australie au détriment des cultures vivrières des pays les moins avancés. Ajoutons que l’Australie ne présente pas les meilleures garanties pour devenir l’un des greniers à blé et l’un des frigos à viande du monde, après cinq années de sécheresses consécutives.

COMMENT NOURRIR 9 MILLIARDS D’HUMAINS EN 2050 ?

Dans son livre Nourrir la planète paru en 2006 (2), l’agronome Michel Griffon plaide pour « une révolution doublement verte » qu’il présente ainsi : « Produire beaucoup plus, en limitant la progression des surfaces pour ne pas détruire les espaces naturels et les espèces qui les habitent, en devant dès lors, selon les lieux, doubler ou tripler les rendements, tout en limitant et bien souvent en réduisant les atteintes à l’environnement, et en utilisant des techniques économiques, accessibles aux plus pauvres ! Ce programme donne l’impression d’être impossible. On a d’ailleurs entendu suggérer au nom du réalisme un programme opposé : confier la nourriture de la planète aux plus productifs, aux plus modernes, aux exploitations les plus grandes, rendre plus productives les régions les plus favorisées, là où le progrès sera le plus facile à promouvoir, et résoudre le problème de la pauvreté séparément et spécifiquement. Cette deuxième voie n’est ni réaliste ni socialement acceptable car elle oublie que près de neuf agriculteurs sur dix relèvent de l’agriculture familiale et font partie du monde pauvre (...). Pour nourrir neuf milliards d’humains, pour sortir de la sous alimentation plus d’un habitant sur sept et pour promouvoir une agriculture des pauvres dans le respect des lois de la nature, il faut donc inventer une nouvelle agriculture », poursuit Michel Griffon. Le futur des paysans n’est pas écrit d’avance. Mais ces propos de Michel Griffon identifient très bien les termes d’un arbitrage qui ne peut venir que de responsables politiques. S’ils suivaient demain les orientations préconisées par Peter Mandelson et Pascal Lamy, ils approuveraient la multiplication de vagues spéculatives et dévastatrices sur les agricultures du monde, y compris en privilégiant la production de carburants pour les riches au détriment du pain pour les pauvres. La preuve par la tortilla.

Sources :

http://laterre.fr/
(1) L’agriculture, nouveaux défis, édition 2007, 312 pages, 15 euros. (2) Nourir la planète, 2006, 456 pages, 23,90 euros aux éditions Odile Jacob.